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Fenêtres sur le passé
1927
Ouessant - La maison hantée
Source : La Dépêche de Brest 1 décembre 1927
Depuis quelques jours, quand tombe la nuit, on voit des gens, venant de tous les coins de l'île, se diriger vers le village de Keréré, dans le but d'assister aux phénomènes extraordinaires qui se passent dans l'une des maisons de ce village.
La plupart des gens n'ont encore rien vu :
Mais des témoins dignes de foi affirment que, très fréquemment, le soir, quand la maison est vide de ses habitants, on voit tout à coup les fenêtres s'illuminer, comme si plusieurs lampes étaient allumées à l'intérieur ;
d'autres ont vu de véritables flammes s'élever du plancher jusqu'au toit, mettant des lueurs d'incendie aux lucarnes du grenier.
Enfin, un pêcheur prétend avoir aperçu nettement des nains dansant sur la table, parmi des bouteilles.
Cette dernière déposition est sujette à caution.
Reconnaissons, par contre, que la propriétaire de la maison affirme n'avoir jamais rien vu ni entendu :
Elle est, en cela, d'accord avec les témoins visuels, qui ajoutent que les phénomènes ne se produisent
qu'en l'absence de la propriétaire.
Collection Thomas Baccino
On n'a encore trouvé aucune explication satisfaisante.
Les esprits crédules incriminent les revenants, qui ont bon dos ;
d'autres pensent que l'on a affaire à un mauvais plaisant.
Il est infiniment probable qu'en cherchant bien, on trouverait qu'une fenêtre d'une maison voisine,
éclairée de l'intérieur et dépourvue de rideaux, vient tout simplement projeter son faisceau lumineux
sur la maison soi-disant hantée.
Pour peu que quelques vitres présentent une légère convexité, les résultats obtenue sont remarquables.
Mais comment faire accepter une explication aussi simple !
Le surnaturel a beaucoup plus d'attraits.
Source : La Dépêche de Brest 9 décembre 1927
Monsieur le rédacteur en chef,
Comme suite à l'article paru dans votre numéro du 1er décembre, sous le titre « La maison hantée »,
je vous prie d'insérer ce qui suit :
Pour les personnes sensées, il n'existe aucun phénomène surnaturel.
On peut très bien se rendre compte que ce sont les feux des bâtiments passant au nord de l'île
qui projettent leur rayon lumineux sur les fenêtres de ma maison ;
et ce sont ces feux que l'on voit à travers les vitres, quand on se place au sud de la maison,
à une distance d'environ 150 mètres ;
remarquez que c'est seulement dans cette position que les feux peuvent être aperçus ;
si l'on s'en écarte de trop à droite ou à gauche, on ne voit plus rien.
Je puis affirmer que toute cette histoire a été montée par la jalousie de certains voisins.
Les vieilles légendes disent qu'autrefois les pêcheurs allumaient des feux sur la côte pour attirer les navires
et les piller ;
aujourd'hui les habitants de Keréré utilisent au contraire les feux des navires pour s'emparer d'une maison :
En effet, le but cherché est de rendre sa demeure inhabitable à la propriétaire, pour qu'elle la mette en vente
et qu'on puisse racheter à bon compte.
Les nains qui dansaient sur la table parmi des bouteilles n'ont naturellement existé que dans le cerveau d'un pécheur
qui en avait vidé lui-même pas mal de bouteilles en compagnie d'une certaine veuve.
C'est son habitude.
J'ai fait agrandir et embellir ma maison, de sorte que je puis, sans me vanter,
dire qu'elle est maintenant la plus belle du village.
De là vient la jalousie féroce de quelques-uns.
Un jour, j'avais invité une voisine, propriétaire elle-même d'ailleurs, à venir voir les transformations que je faisais effectuer ; en sortant elle dit à son mari, avec aux yeux des larmes de rage :
« Et maintenant rentrons dans notre crèche à cochons. »
C'est de ce jour-là qu'ont commencé à courir les fameuses histoires de flammes et de revenants.
Il est tout naturel qu'on ne voie rien quand la propriétaire est chez elle, puisque son premier soin en rentrant
est d’allumer sa lampe, dont la lueur est naturellement plus forte que celle des feux du large.
Que mes amis se rassurent :
Ces racontars ne m'ont ni affolée ni épouvantée.
Je suis surtout navrée que tant de badauds continuent à aller et venir autour de chez moi.
Je vous prie d'agréer, monsieur, mes sincères remercîments.
Mme Joseph TUAL, propriétaire à Keréré, Ouessant.
Il est inconcevable qu'il se trouve encore des imbéciles pour aller passer chaque soir quelques heures
devant la maison de Mme Tual.
Les autorités du pays, tant civiles qu'ecclésiastiques, ont cependant été unanimes à déclarer qu'il n'y a rien
que de très naturel dans les lueurs qu'on peut, par hasard, apercevoir à travers les vitres.
Les indiscrets se doutent-ils qu'ils sont passibles de poursuites judiciaires, suivies d'amendes sévères ?
Nous croyons savoir que les autorités de l'île s'apprêtent à user de leur droit de police,
pour mettre fin à cette situation ridicule, en empoignant quelques badauds.
Ce serait pain béni.