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1926
Un drame à Landéda
Le Petit Breton - Dimanche 2 Janvier 1927
Kerenoc est un hameau perdu dans les landes à 4 kilomètres de Landéda à l'extrémité d'une presqu'île continuellement, rongée par la mer.
On y accède à pied sec lorsque les flots se retirent.
Des goémoniers l'habitent.
C'est là que mercredi soir Yves Quéré, âgé de 43 ans, causa la mort de son neveu de 18 ans, Ange Merceur.
Voici les faits recueillis, sur place, de cette tragique histoire.
Soir de Jubilé
Yves Quéré venait de terminer son jubilé à la petite église de Landéda.
Le goémonier pensa qu'après s'être recueilli il avait bien le droit à quelque distraction et il s'en fut au cabaret.
Après avoir absorbé force petits verres, il était gris.
C'est donc dans cet état qu'il franchit la porte d'un pas hésitant.
Il rentrait dans son humble maisonnette vers 7 heures du soir.
Sa femme et son neveu l'avaient attendu pour prendre le repas du soir.
M. Quéré se jeta sur son lit tout habillé.
« Mettons-nous à table dit la femme du goémonier. »
L'ivrogne entendit cette réflexion :
« Dis donc vous allez manger tout, je ne veux pas ! »
« Je crois, dit Merceur à sa tante, que nous allons passer
une bien mauvaise nuit, parce que mon oncle est « bien bu ».
En entendant ces paroles, Quéré se leva, et d'un bond il marcha menaçant sur son neveu, l'empoigna dans l'intention évidente de le corriger...
Tout à coup, le jeune homme s'affaissa sans pousser un cri, il était mort !
Le goémonier resta tout d'abord interloqué, mais il se ressaisit vite.
« Ce n'est pas moi qui l'ai tué, je l'ai poussé... il devait mourir comme çà... »
Ce fut toute l'oraison funèbre d'Ange Merceur...
Sa vie
L'existence du malheureux jeune homme n'avait été qu'une longue souffrance...
Il perdit ses parents à l'âge de 5 ans et fut recueilli par la femme du goémonier, mais l'enfant était chétif et atteint d'une grave maladie de cœur, héritage paternel, dit-on...
Après avoir été manœuvre dans une usine de produits chimiques, Merceur dut rester à la maison à cause de crises fréquentes et de son extrême faiblesse.
Le jour où il avait eu 18 ans, il avait voulu s'engager, peut-être pour quitter son oncle, parfois brutal, qui sacrifiait trop à la dive bouteille, mais le major après examen refusa de l'admettre et Ange Merceur dut retourner à Kerenoc.
Il touchait depuis quelque temps l'allocation des incurables, à la Mairie de Landéda.
L'enquête
Lorsque sa tante eut tenté l'impossible pour ramener le jeune homme qui gémissait, elle sortit en criant :
« On a tué mon neveu ! »
Quelques minutes plus tard, le docteur Caraef accourut celui-ci ne constata aucune blessure suspecte sur le corps de l’adolescent qui avait dû succomber à une crise cardiaque, provoquée par une émotion trop vive.
Il prévint aussitôt le Maire de Landéda, qui avertit la gendarmerie de Lannilis.
Dans la soirée, le chef de brigade Sénéchal et les gendarmes Creff et Ando, commencèrent leur enquête.
Quéré fut gardé à vue.
Jeudi vers 8 heures, M. Guilmard, qu'accompagnait M. Auffray, juge et le docteur Rousseau, médecin légiste
et Kusischer, arrivaient à Kerenoc pendant que le procureur procédait à l'interrogatoire du goémonier
qui répéta ses propos de la veille.
Le docteur Rousseau pratiqua l'autopsie du malheureux Ange Merceur et confirma les déclarations
du docteur Caraef.
Yves Quéré reste à la disposition de la justice et sera poursuivi.
Il est coupable d'avoir porté des coups et provoqué des blessures sans intention de donner la mort,
qui l’ont cependant occasionnée.
Ce fut une scène vraiment macabre que cette autopsie dans une grange pendant qu'au dehors la grêle faisait rage sur la dune déserte.
On avait cru tout d'abord, le docteur Caraef l'avait déclaré, qu'Ange Merceur, l'infortuné neveu du goémonier Quéré, était mort dans une crise cardiaque.
Tout semblait l’indiquer ; ses antécédents, ses syncopes, l'allocation des incurables qu'il touchait.
Mais le distingué docteur Rousseau, médecin légiste du Parquet, de Brest, voulut se rendre compte et pratiqua l’autopsie du jeune Breton.
Revêtu d'une longue blouse blanche, le praticien examina minutieusement le cadavre et finit par découvrir une petite fracture à la base du crâne, fracture ayant, vraisemblablement occasionné la mort.
On se souvient de la scène.
L'oncle bousculant son neveu qui dût trébucher sur l'angle de la table et s'effondra sur le sol.
Le cœur, si malade, joua-t-il en même temps un rôle dans cette affaire ?
C'est possible.
Bref, la mort survint foudroyante.
Vendredi, dans l’unique chambre, prés d'un feu étique sur lequel du café chante, Mme Quéré est prostrée.
Nous voulons l’interroger, mais elle ne connaît que la langue bretonne.
Près d'elle, une parente veut nous offrir une tasse de moka brûlant.
À deux pas, le goémonier meurtrier, surveillé par le gendarme qui le garde depuis douze heures, semble très absorbé.
Ça n’est pas ma faute, dit-il ; je l’ai poussé pas très fort et il est tombé.
C’est tout ce que je sais.
Mais dans la crèche attenant à la maison d’habitation, des animaux crient ; ils ont faim.
Escorté du gendarme, Quéré s'y rend.
Surmontant enfin sa légitime douleur, sa femme semble se réveiller d'un long rêve.
Elle se dresse, jette un coup d’œil circulaire qui s'attarde sur les vêtements maculés de boue du cher disparu ;
puis elle vaque à nouveau, machinalement, aux soins du ménage.
Ainsi la vie reprend peu à peu son cours normal dans l’humble maisonnette de chaume du goémonier de Kerenoc.
V. B.