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Fenêtres sur le passé

1925

Les pigouliers de Quéménès
par Charles Léger

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Source : La Dépêche de Brest 23 mai 1925

 

Le goémon !

Qu'est-ce que cette chose si vaguement définie pour la plupart des gens qui n'entrent en contact avec la mer que durant l'été, sinon un végétal guère plus intéressant que l'herbe folle de la bordure des routes !

 

Cependant, pour le récolter, toute une humanité accepte de douloureuses privations et s'offre aux plus grands risques.

 

Jadis, on ne le recueillait sur les grèves où la mer l'abandonnait, que pour l'étendre sur les champs voisins, à l'époque des engrais.

 

Aujourd'hui, on procède régulièrement à de véritables récoltes et, ce dont on ne tirait parti qu'accidentellement, est devenu la raison d'une industrie des plus prospères.

 

Vers 1830, des usines étaient créées pour extraire des plantes marines des sels de potasse et de l'iode.

Leur nombre s'accrut avec rapidité.

Les besoins n'étant jamais complètement satisfaits, il fallut offrir aux récoltants des primes plus importantes que celles qu'on attribuait jusqu'alors pour une matière dont la valeur n'était encore apparue qu'aux industriels.

 

On se fit goémonier, comme on se faisait pécheur ou charpentier.

Aux basses mers, tout près de la côte, penché sur le bord des barques, on s'efforçait de découvrir les plantureuses prairies sous-marines que l'on rasait d'une faucille emmanchée d'une perche longue, de plusieurs mètres.

 

Soigneusement recueilli, puis séché au sommet des grèves, le goémon incinéré dégageait le produit recherché : la soude.

On la vendait jusqu'à cent francs la tonne aux usines en 1875.

Deux ans plus tard, la concurrence étrangère provoquait la chute du prix à 40 francs.

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Pigouliers

Photographie du peintre Pierre Bertrand

Pour ceux qui s'étaient consacrés à la nouvelle profession, ce fut la misère.

Misère affreuse qui, à Molène, détermina une affection scorbutique des plus graves.

Le pays tout entier apporta ses secours aux victimes.

 

Après de bien tragiques moments, l'industrie qui venait d'être si gravement menacée reprenait son essor.

Au cours de la dernière récolte, la tonne de soude se vendait 1.200 francs aux usines.

 

Pareil prix, on le conçoit, est bien fait pour susciter, de nombreuses vocations.

C'est ainsi que des fermes ont été construites, il y a longtemps déjà, à Béniguet, où il en existe deux,

à Quéménès et à Trielen.

Mais les hauts fonds de l'archipel sont tellement productifs qu’ils ont provoqué les convoitises de bon nombre d'habitants de la côte, particulièrement de Landéda et de Plouguerneau.

 

Comme la distance qui sépare leur port des lieux de récolte est trop grande pour qu'ils puissent songer à effectuer chaque jour le trajet, ils ont pris l'habitude de demeurer sur l'un des îlots pendant toute la saison, de mars à septembre.

Ils se fixent ainsi, soit à quelque distance des fermes, soit sur de simples rochers comme Bannec et Balanec.

Le fermier de Quéménès n'est donc point seul sur son île avec ses vingt-trois employés.

Quarante-six goémoniers du continent lui ont loué des emplacements pour construire leurs abris.

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Pauvres abris !

Minuscules boursouflures, faites de quelques pierres entasses, recouvertes de terre !

Ils se groupent sur quelque pointe ou se blottissent isolément au creux d'un talus.

Certains s'agrémentent d'une sorte de toiture de carton bitumé, mais aucun ne garantit sérieusement d'une averse prolongée.

 

Il faut s'accroupir pour y pénétrer.

 

Tout Je jour, conduisant leur barque au milieu des rochers, ils fauchent les longues plantes brunes ou bien,

aux mortes eaux, ils pêchent afin de pouvoir réserver leurs provisions.

 

De juin à septembre, les îles se couronnent d'immenses colonnes de fumée :

les « pigouliers » font brûler leur récolte.

 

Les habitants de la ferme, eux aussi, en font autant : mais ils n'ont, guère que du goémon épave, celui que la mer arrache et rejette sur la grève, ou du goémon de rive, celui qui peut être atteint à, pied à basse mer.

Ils s'en réservent la propriété, car ils sont locataires de l'île.

 

À l’encontre des goémons de fond que recueillent les « pigouliers » et qui sont riches en iode, ceux-ci contiennent surtout des sels calcaires et alcalins.

 

Tandis que l'an dernier on n'obtenait à la ferme guère plus de 230 tonnes de soude, les « pigouliers », eux, atteignaient près de 500 tonnes.

 

Peut-on s'étonner de voir croître à chaque saison le nombre de leurs demeures primitives ?

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Pigouliers

Photographie du peintre Pierre Bertrand

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