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Fenêtres sur le passé

1924

La sage-femme d'Ouessant par Henri Reitlinger
 

La sage femme d'Ouessant.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 29 août 1924

 

Mme Fouénant exerce à Ouessant les fonctions de sage-femme depuis 1880.

Ce n'est pas une sinécure ici, où l'on procrée beaucoup, où le salaire est maigre, le médecin quelquefois inexistant, les routes dangereuses par les effroyables bourrasques de l'hiver.

 

Au lendemain de la guerre, Mme Fouénant déjà âgée et restreignant sa clientèle, dut suppléer au médecin encore mobilisé et à la sage-femme de l'Assistance publique défaillante pour secourir à elle seule la population.

Elle fit trois délivrances en trois jours et trois nuits sans sommeil, mettant au monde quatre enfants dont deux jumeaux.

En trois mois elle délivra vingt-neuf femmes, le record de l’îie, qui ne sera peut-être plus approché ;

ici comme ailleurs, les mariages ont subi une recrudescence suivie d'une chute, mais le taux de la natalité reste encore relativement élevé :

les Bretons sont des simples, et ceux des îles le sont encore bien plus.

 

Pour estimer ce que font à l'occasion ces âmes simples, lisez la belle lettre qui fut publiée à son insu à l'organe Officiel du Syndicat des sages-femmes de France (la Sage-Femme du 10 décembre 1922).

Je me contente d'ajouter que Mme Fouénant avait alors 53 ans, et qu'elle souffre cruellement du mal de mer.

Ceux qui réprouvent savent tout ce que cette circonstance triviale ajoute à son action héroïque.

En outre, le passage du courant du Fromveur était une quasi-impossibilité, ainsi que le pilote de l’île le déclarait.

Il fallait toute l'énergie du désespoir d'un mari, ou la notion stricte du devoir professionnel tel qu'il existe chez quelques trop rares sujets, pour tenter une pareille prouesse.

 

Je lui laisse la parole :

« Le 8 août 1910, M. le maire de l'île Molène me signala par télégramme qu'il y avait deux femmes en couches en ce lieu alors dépourvu de tout secours médical (la sage-femme décédée n'ayant pas été remplacée), m'invitant à avoir la bonté de faire mon possible pour m'y rendre.

 

« Je réponds de venir me prendre au point le plus rapproché, mais encore éloigné de plus de deux lieues.

Les marées étaient très fortes ce moment, la brume intense rendant la navigation presque impossible. Navires et bateaux rentraient en relâche.

 

« Cependant, un petit bateau de pêche est arrivé.

En pleine nuit, à deux heures du matin, je m'y embarque à la grâce de Dieu, malgré l'avis d'un pilote et des patrons de navires.

 

En effet, nous fûmes égarés parmi les récifs qui ceinturent l'île d'Ouessant par le sud, faisant la navette de l'est à l'ouest sans pouvoir gagner ni traverser le fort courant du Fromveur, exposés à chaque instant à être brisés ou chavirés, enveloppés que nous étions dans une brume d'un noir d'encre.

 

Après avoir été pendant six heures en face de la mort, et d'une mort plus horrible que la guillotine, qui, elle, permet les adieux et rend les cadavres, nous aperçûmes un éclaircissement, au zénith (huit heures du matin) ; la brume descendit peu à peu, la marée nous devint favorable, et nous avançâmes, enfin, vers le but de notre voyage.

 

Nous arrivâmes à Molène à onze heures du matin, c'était un dimanche après la messe.

Sa population (600 habitants), inquiète à juste titre, accourue au quai, nous fit une ovation.

 

Moi-même, heureuse, d'avoir échappé à. un grand danger et d'être arrivée assez tût pour remplir ma mission, je remerciai Dieu de nous avoir protégés.

 

Je crois qu'en la circonstance, ce qui m'a sauvée de la mort par épouvante, c'est mon habitude de me dominer en face des plus grands dangers.

L'équipage fut très étonné qu'il ne m'échappât ni un cri, ni un geste.

 

Le jour même de mon arrivée, une pétition fut rédigée par les habitants, signée de tous les pères de famille et des fonctionnaires.

Cette pièce, adressée à M. le président du Conseil, ministre de l'intérieur, produisit son effet en me faisant décerner l'humble décoration que je possède, laquelle a pour moi une valeur inestimable, l'ayant gagnée au péril de ma vie. »

 

Souhaitons que le ministère du travail active l'enquête ouverte depuis longtemps déjà, afin que cette femme de cœur puisse jouir pendant quelques années de la Légion d'honneur qui lui est si bien due, avant d'aller dormir le Grand Repos.

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Source : La Dépêche de Brest 28 octobre 1910

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La Dépêche de Brest 28 octobre 1910 Arthémise Riou.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 24  août 1933

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La Dépêche de Brest 24 août 1933 Arthémise Riou.jpg
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