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Fenêtres sur le passé

1922

Sur le roc aride - Molène -
par Charles léger

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Source : La Dépêche de Brest 25 novembre 1922

 

Lorsqu'en quelques instants on a fait le tour de cet îlot aride et nu ;

lorsqu'on a constaté combien l'existence y est rude, assujettie aux privations de toutes sortes,

on s'étonne que des hommes n'aient d'autre aspiration que de demeurer là toute leur vie ?

 

Et cependant, les Molénais ne songent même pas, s'ils n'y sont contraints, à diriger leur barque vers le continent.

Bon nombre d'entre eux n'y ont pas atterri depuis l'époque de leur démobilisation.

 

Ils vivent là, paisibles entre la mer qui les nourrit et leur famille qui les choie, sans souci de la fièvre des grandes villes, sans autre désir que le calme des flots.

 

Pourtant, quelles affreuses misères n'eurent-ils pas à supporter !

Toute l'histoire de Molène est faite des plaintes de ceux qui en furent les témoins attristés.

 

« Les habitants, écrivait en 1774 M. Bégoc, recteur de l'île, sont dans la plus grande misère,

pour ne pas dire dans l'extrême nécessité.

La source de leur misère ne provient que de la petitesse de l'île qui n'est, pour bien dire, qu'un rocher dont on parcourt la circonférence en moins d'une demi-heure, et qui, par conséquent, ne fournit du blé à la plus grande partie des habitants que pour trois à quatre mois de l'année.

 

« Des personnes les plus dignes d'aumône et de compassion qu'il y a dans cette isle, sont environ deux douzaines de pauvres veuves surchargées d'enfants qui sont presque nuds et n'ont pas, en vérité, un morceau de pain à manger,

et ce qui met le comble à leur misère, c'est que personne n'est en état de leur en donner.

Je les vois assès souvent avec beaucoup de douleur, ces petits pauvres orphelins, manger des poissons pourris et des choux crus n'ayant pas autre chose à manger :

Il faut encore joindre à ces derniers environ une quarantaine de vieilles gens estropiés, insensés, octogénaires et au-delà,

dont une grande partie sont alités et n'ont également aucune ressource.

Les gens même les plus vigoureux de l’isle, qui ne vivent ordinairement que de la pesche, ont mille peines à vivre. »

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Les archives de la marine du XVIIIe siècle signalent également la détresse des habitants qui, bien qu'exempts de toutes taxes, ne subsistaient qu'à l'aide des secours de toutes sortes attribués par les États de Bretagne et par le roi.

 

Les produits de la pêche ne suffisant pas pour assurer leur existence, les Molénais tiraient parti du goémon

qui croît si abondamment en ces lieux.

En le brûlant, ils obtenaient un engrais dénommé terre de Molène.

 

Vers 1830, ils abandonnaient cette fabrication pour se livrer à celle de la soude, dont ils trouvaient,

l'écoulement au Conquet.

Ce fut pour l'île une ressource d'autant plus précieuse qu'elle la soustrayait à la misère affreuse qui, jusqu'alors,

avait été son lot.

 

Du coup, la population s'accrut considérablement.

De 300 habitants qu'elle était en 1850, elle passait à 537 en 1878.

 

Hélas ! Cette période d'aisance relative ne dura guère.

Les avantages que tiraient les Molénais du goémon tentèrent bien des gens et bientôt la concurrence fut telle que le prix de la soude diminua de plus de 60 %.

 

De nouveau, les îliens connurent les privations.

Ils en souffrirent tant qu'une grave épidémie de typhoïde les décimait en 1877.

L'État, le département, la charité publique, durent leur venir en aide.

 

Puis, le prix de la soude augmenta de nouveau, mais dans des proportions trop réduites pour que l'existence redevînt à peu près normale.

 

En 1893, la population, qui comptait alors 580 habitants, fut encore victime d'une épidémie durant laquelle près de cent personnes trouvèrent la mort.

Le choléra sévit là avec une violence d'autant plus grande que les moyens de le combattre faisaient presque complètement défaut.

 

Aujourd'hui encore, le souvenir des scènes particulièrement tragiques qui se déroulèrent durant cette période, n'est jamais évoqué sans déterminer une émotion profonde.

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La pêche qui, de tous temps, fut la principale occupation des hommes, est à présent devenue assez rémunératrice pour que la complète misère ait à peu près disparu dans l’île.

On se livre bien encore peu ou prou à la récolte du goémon ; mais les quarante barques attachées au port s'emploient surtout pour la pêche aux crustacés.

 

Dans ces parages, homards et langoustes sont assez abondants et l'on eut bien moins à souffrir que sur le littoral voisin de l'invasion récente des pieuvres.

 

Ici, où le cadastre est inconnu, chacun possède une parcelle de terre.

L'expression, en la circonstance, prend vraiment toute sa signification, car certaines de ces « parcelles » ne dépassent pas six mètres carrés.

Aussi, nul ne saurait songer à fixer les limites de sa propriété par des talus.

 

Au-delà du bourg, comme le terrain cultivé ne forme qu'une seule étendue, les démarcations sont faites à l'aide de pierres plantées aux angles et sur lesquelles sont peintes les initiales des propriétaires.

 

C'est là que les pêcheurs s'exercent à la culture lorsque les exigences de leur rude profession leur en laissent le loisir.

Et ce n'est d'ailleurs pas très compliqué, car on n'y peut cultiver que l'orge ou la pomme de terre.

Bien entendu, aujourd'hui comme en 1774, la récolte à Molène peut, tout au plus, satisfaire aux besoins des habitants pendant trois mois.

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Comme l'on voit, dans cette île, où les impôts ne sont pas plus connus que le cadastre,

les ressources sont bien réduites.

Aussi, à quelles difficultés ne se heurte pas la municipalité lorsqu'il lui faut consentir une dépense !

 

Il y a bien au budget communal, en recettes, le produit de la taxe de deux francs sur les quarante chiens du pays ;

les deux mille francs que rapporte la location des terrains ;

la maigre somme provenant des amendes ;

mais les dépenses n'atteignent-elles pas un chiffre plus imposant ?

 

La commune doit assurer un traitement, à la sage-femme qui l'habite ;

elle doit verser 100 francs au préposé chargé de la distribution du bateau de sel que lui octroie l'État annuellement ;

elle doit payer le transport du médecin qui, deux fois par mois, aux frais du département, lui fait visite ;

et il lui faut, enfin, s'assurer le concours d'un garde champêtre bien que les interventions de cet agent de l'autorité soient vraiment exceptionnelles.

 

Aussi, lorsque la municipalité se vit récemment contrainte de faire réparer les trois voies principales, se heurta-t-elle à des difficultés insurmontables.

Ces voies, qui ne sont que d'étroites ruelles, devenaient impraticables lorsqu'il pleuvait.

En outre, il était également indispensable d'empierrer le chemin dénommé quai et d'en prolonger le parapet.

 

La question fut soumise au conseil général par M. Cheminant.

Son examen fit connaître que les travaux nécessiteraient une dépense de 3.860 francs.

Comme le budget primitif de 1922, de l'île, ne présentait qu'un excédent de recettes de 113 fr. 02, le problème n'était pas des plus simples.

 

M. le préfet du Finistère eût bien voulu prélever la somme nécessaire sur les disponibilités du fonds commun des amendes de police correctionnelle ;

mais il se heurta à la décision de la commission départementale, qui limitait à 1.000 francs le montant des secours susceptibles d'être ainsi accordés aux communes.

 

C'est pourquoi le conseil général votait un crédit de 3.860 francs à titre de subvention départementale.

Grâce à cette décision, depuis quelques jours les Molénais, satisfaits, peuvent suivre, sans craindre de s'embourber, leurs principales artères soigneusement bétonnées.

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