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Fenêtres sur le passé

1938

Au pays des sauveteurs
Molène

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Source : La Dépêche de Brest 29 novembre 1922

 

Il est une crise qu'on ignore à Molène, et le fait vaut bien d'être noté à une époque

où elle sévit si cruellement partout ailleurs : Celle du logement !

On ne compte, en effet, pas moins de 145 maisons pour abriter 673 habitants.

 

Certes, sur cet îlot, presque constamment balayé par de violentes tempêtes,

les immeubles n'ont rien du gratte-ciel new-yorkais ;

cependant, ils n'en sont, pas moins suffisants pour donner asile à une moyenne inférieure à cinq habitants.

 

Mais si tous sont assurés du logis, personne n'a la certitude qu'il pourra, l'année durant, disposer de la quantité d'eau nécessaire à ses besoins.

L'an dernier, par exemple, elle fit complètement défaut pendant deux mois et le port de Brest fut contraint de venir au secours des îliens en leur envoyant un bateau-citerne.

 

On comprend, en présence de pareil fait, qu'une réglementation spéciale soit établie pour la distribution du liquide devenu précieux.

L'île possède bien deux puits, mais l'eau y est souvent saumâtre, particulièrement aux époques de vives eaux, et l'un d'eux se vide très fréquemment.

 

Aussi, lorsque les Anglais voulurent témoigner leur reconnaissance aux Molénais, qui avaient eu une si belle attitude au moment du naufrage du Drummond Castle, eurent-ils l'heureuse idée de leur offrir entre autres choses

une vaste citerne.

 

Seule la pluie recueillie sur un large espace cimenté l'alimente, mais pourtant la porte est soigneusement cadenassée.

Près d'elle, un garde spécial a pour fonction de se tenir tous les soirs, pendant une heure,

pour délivrer un plein seau à chaque famille.

 

De cette façon se perpétue le souvenir de l'effroyable catastrophe maritime de juin 1896.

Le Drummont Castle, qui repose à présent par cinquante mètres de fond à trois milles et demi du sud du phare du Stiff, avait à son bord 350 personnes.

Les passages avaient organisé une fête qui battait son plein lorsque, vers 0 h. 30 du soir,

le paquebot s'ouvrit sur les récifs.

 

Trois personnes seulement échappèrent à la mort.

Deux furent recueillies par le canot de sauvetage de Molène ; une par celui d'Ouessant.

 

Inlassablement, les sauveteurs tinrent la mer pour recueillir les corps des naufragés.

On en ramena 29 à Molène qui furent inhumés dans un cimetière spécial.

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C'est pour témoigner leur gratitude des soins pieux et touchants qu'avaient eus les Molénais que les Anglais firent construire la citerne et offrirent à l'église une croix de procession, une horloge, un calice.

 

Ce calice est une admirable pièce d'orfèvrerie imitée du style anglais du Moyen-Age, enfermé dans une cassette en bois des îles, portant la dédicace :

« À l'église de Saint-Ronan, île de Molène, de la part du Guild of ail Souls, Angleterre, Noël 1896 ».

 

Hélas ! Les naufrages en ces lieux sont fréquents et l'île, perdue au milieu d'innombrables écueils, est devenue la plus importante station de sauvetage de France.

 

« Il importe, écrivait en 1876 Mgr de La Marche, d'y conserver les habitants, marins intrépides, à la position desquels est attaché le salut des vaisseaux du roi et de la marine marchande dans un passage aussi dangereux et aussi fréquenté. »

 

En effet, avec un dévouement admirable, avec un courage bien au-dessus des éloges, les îliens se lancent, quelle que soit l'heure, quel que soit le temps, quels que soient les dangers, au secours de tous ceux dont l'existence est en péril.

 

Tenant compte de la situation de l'île et des services rendus, la Société centrale de sauvetage des naufragés y a établi deux de ses stations.

La première, qui date de 1865, est représentée depuis 29 ans par le canot à 12 avirons et à voiles : l'Amiral Roussin.

Mais il apparut un jour que les dimensions de l'embarcation n'étaient pas suffisantes et la Société résolut d'en faire construire une seconde unité munie des derniers perfectionnements.

 

La chaloupe à moteur Coleman, construite au Havre, quittait ce port en juillet 1921 et,

après une seule relâche à Cherbourg, gagnait Molène par ses propres moyens.

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Placé sous le commandement du patron Cuillandre jeune, le Coleman est le plus puissant engin de sauvetage français.

Mais l'Amiral Roussin n'en conserve pas moins son équipage.

Son patron, le célèbre sauveteur Aimable Delarue, que le gouvernement décorait, en mai dernier,

de la Légion d'honneur, n'eût, pour rien au monde, consenti à en abandonner le commandement.

 

Il avait pris sa place à bord comme matelot en 1883, effectua depuis 92 sorties et parvint à sauver 335 hommes.

Aussi n'est-ce pas sans une émotion qui, pour n'être pas moins apparente n'en est pas moins profonde qu'il fait glisser, comme au tragique moment de l'alarme, les deux grandes portes de l'abri pour nous présenter le canot.

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Aimable Delarue rentre à l’instant de la pêche.

Lorsque nous lui avons fait connaître le but de notre visite, son visage tanné

de vieux marin s'est éclairé d'un bon sourire.

Bien vite il nous a conduits vers l'abri où repose sur un chariot le canot avec lequel il accomplit tant de beaux exploits.

 

— Celui-là n'a jamais chaviré, dit-il avec orgueil.

 

Et, avec des mots d'une touchante simplicité, il nous expose comment se pratique la mise à l'eau.

Quand le sémaphore, dont la, tour carrée surmonte le point culminant de l'île, annonce un naufrage,

Delarue sonne de la corne pour rallier son équipage.

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Aimable Delarue

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— Jamais une hésitation ne se produit.

Toute la population se précipite vers l'abri, et les femmes ne sont, pas moins ardentes que les hommes.

Comme eux elles s'attèlent au chariot, qu'il n'est pas toujours, aisé de faire rouler sur les galets ;

comme eux, en dépit des vagues, elles pénètrent dans l'eau jusqu'aux épaules pour aider au lancement

de l'embarcation.

 

Et c'est en pleine ambiance de courage et de dévouement que les sauveteurs partent pour accomplir

leur mission sublime.

 

Depuis un an, l'Amiral Roussin n'a pas à sortir.

Cette fois, il se porta au secours d'un vapeur grec dont il sauva les 22 hommes d'équipage.

 

Que d'héroïsme, que d'abnégation dans une carrière aussi magnifiquement remplie que celle de Delarue !

Mais aussi que d'efforts, que de souffrances stoïquement consentis !

Parmi la foule de ses souvenirs, celui qui causa la plus violente impression au glorieux patron est le sauvetage du vapeur hollandais Tanberghen.

 

— Il était 10 heures du soir, en décembre 1911, lorsqu'on vint me signaler que navire s'était jeté sur les récifs, dans le sud de Trielen, près de la Vieille-Noire.

Il faisait une tempêté effroyable.

Dans le vent glacial, des grêlons énormes nous aveuglaient.

 

Pendant près de cinq heures, il nous fallut lutter contre une mer déchaînée pour atteindre le vapeur.

Mais quand, dans la nuit noire, l'équipage en détresse entendit nos appels et distingua notre canot ballotté par des vagues monstrueuses, il n'osa pas tenter d'y prendre place.

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Cependant, le Tanberghen menaçant de bientôt disparaître,

une embarcation du bord fut mise à la mer.

Elle s'écrasait tout aussitôt sur la coque.

 

Comme le navire allait sombrer, tous voulurent alors prendre place à nos côtés.

Hélas ! Ils étaient trop.

Dix-huit d'entre eux purent embarquer sur l'Amiral Roussin ;

quant aux autres, ils descendirent dans un de leurs canots.

 

« Après avoir conduit ces hommes à Béniguet, nous repartions aussitôt à la recherche de leurs camarades.

Toute la nuit fut employée à battre la mer, mais vainement.

Nous souffrions tellement de la fatigue et du froid que, cette fois,

j'eus l'impression que nous ne pourrions nous-mêmes continuer à lutter contre le déchaînement des éléments pour regagner un abri.

 

Aimable Delarue.jpg

Aimable Delarue

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« Fort heureusement, le canot qui avait emporté le reste de l'équipage, fut trouvé, le lendemain, en dérive,

aux environs des Tas de Pois, par un torpilleur et conduit en lieu sûr.

En cette affaire, seul le second avait péri.

 

Caressant du regard l'Amiral Roussin qu'il n'avait pas voulu quitter pour prendre le commandement de la chaloupe à moteur, Aimable Delarue formulait, son intime pensée :

— Avec celui-ci, j'irai plus vite et je ferai bien mieux !

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