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Fenêtres sur le passé

1922

Molène, un bon abri dans les récifs
par Charles Léger

 

Un bon abri Molène.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 1 décembre 1922

 

Quand, pour les distinguer d'eux-mêmes, les Molénais appliquèrent un sobriquet aux étrangers qui viennent régulièrement s'établir sur leur îlot de Lédénès, ils se sont souvenus, sans doute, de ces bâtiments toujours enfumés où les calfats faisaient fondre le goudron et le brai dans leurs pigoulières.

Et ils surnommèrent, « Pigouliers » les gars de Landéda et de Plouguerneau qui ont élevé, de façon rudimentaire des abris étroits et bas, sans autre ouverture que la porte, où la fumée règne en maîtresse dès qu'on tente d'y allumer un feu.

 

Cela rappelait aux anciens, qui ont connu le quai de la Fosse, rive droite de la Penfeld, au temps où ils appartenaient à la marine nationale, le platin sur lequel on radoubait les navires et le refrain qu'entonnaient les calfats tandis qu'ils travaillaient :

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Mais les Pigouliers de Lédénès sont des goémoniers qui, depuis deux ans, viennent exercer leur profession aux abords immédiats de Molène.

Il y avait longtemps déjà qu'ils fréquentaient les autres îles de l'archipel, mais ils n'avaient pas, comme ici, un port abrité et des facilités relatives de ravitaillement.

 

Six mois durant, ils demeurent à Lédénès partageant leur existence entre leurs barques et leurs abris où ils s'entassent pour dormir.

La flottille qu'ils composent comptait neuf unités l'été dernier.

Aussi, lorsqu'en fin de récolte ils incinèrent dans les sillons empierrés le goémon sec dont ils veulent extraire la soude, tout l'îlot se couronne d'un épais nuage de fumée âcre et noire.

C'est alors, vraiment, qu'ils prennent figure de « pigouliers.»

 

Le sobriquet a obtenu son succès, mais ceux qui le portent savent, tirer parti de la situation qui en est la cause.

La récolte en ces lieux est, en effet, particulièrement abondante et, comme le prix de la soude a augmenté dans des proportions considérables depuis le temps où les Molénais s'employaient presque exclusivement à sa fabrication, la profession ne manque pas d'être assez lucrative.

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C'est pourquoi. Lédénès étant terrain communal, puisqu'il se rattache directement à Molène dès que la mer a effectué la moitié de son mouvement descendant, le maire, M. Félix Tual, a songé à tirer bénéfice de cette situation au profit de ses administrés.

Et il réclama aux goémoniers une location de 200 francs environ par bateau.

 

Ce fut la première, ressource vraiment sérieuse que se créa l'île.

Et l'on peut dire aujourd'hui, grâce aux « Pigouliers », qu'aussi maigre soit-il, Molène possède un budget et parvient même à le boucler.

 

Cela d'ailleurs vient de lui rendre un important service.

Le port est limité à l'ouest par l'île, à l'est par Lédénès, au sud par le sillon de galets qui couvre à mi-marée, s'ouvre au nord au milieu des écueils.

Si, de jour, les pêcheurs peuvent y pénétrer facilement, il n'en va point de même la nuit, car aucun feu ne leur permet, en cet endroit, de naviguer avec assurance.

Aussi, depuis longtemps déjà, ils réclamaient rétablissement d'un signal lumineux à l'entrée même du port, sur le rocher des Trois-Pierres.

Son utilité se faisait d'autant plus sentir que cette roche se trouve sur la route suivie par les navires se rendant de Brest à Ouessant.

 

Hélas I comme en toute question qui entraîne l’exécution de travaux, la partie budgétaire paraissait devoir, elle aussi, constituer un écueil d'autant plus redoutable qu'on se heurtait à de véritables impossibilités.

En effet, la dépense d'établissement du feu était évaluée à 100.000 francs, et l'exécution était subordonnée, à la prise en charge par les intéressés :

Commune de Molène et département du Finistère, de la moitié de la dépense.

 

Pareille coopération était bien au-dessus des moyens de la municipalité.

Cependant, désireuse de marquer l'importance qu'elle attachait au projet, elle fit un gros effort et vota, à titre de contribution, un crédit de 500 francs.

Le conseil général, de son côté, soucieux de participer à une œuvre si utile, y affectait une somme de 27.000 francs.

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Les Trois Pierres

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Cela ne suffisait pas.

Il fallut toute, l'insistance de M. Lefort, ingénieur en chef des ponts et chaussées, pour que de nouveaux concours soient consentis.

Et l'établissement du feu fut approuvé en automne 1921 avec les crédits des ports de pêche, 25.000 francs, et, des phares et balises, 47.500 francs.

 

Aujourd'hui, sur les Trois-Pierres, s'élève, à dix mètres au-dessus des flots, une tourelle en béton armé, d'une blancheur éblouissante, sur laquelle brillera, dans un mois tout au plus, la première étoile conductrice de l'archipel molénais.

 

Désormais donc, lorsque le vapeur départemental qui assure le service entre Brest et Ouessant sera contraint de passer, la nuit venue, en ces parages, il lui sera bien plus facile de se diriger.

Désormais aussi, les pêcheurs attardés pourront regagner leur mouillage avec beaucoup plus de sécurité.

 

Ainsi le port de Molène deviendra, malgré les écueils innombrables qui l'entourent, le plus sûr de tout l'archipel et même de la plupart de ceux qui s'ouvrent à l'extrême pointe du continent.

 

Ce port, qui se trouvait jadis situé dans l'îlot de Lédénès où une jetée abritait l'entrée d'une crique dénommée Lagon, comprend un môle long de 75 mètres qui fut construit de 1864 à 1867.

Le fond n'assèche que pendant les grandes marées, mais les bateaux de pêche n'y sont à flot qu'à mi-marée.

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La flottille, qui ne compte à présent pas moins de quarante unités, ne s'y loge qu'avec difficulté et ce n'est pas une mince besogne pour M. Le Bousse, surveillant de port, que de déterminer le mouillage de chacune au mieux des intérêts de tous.

 

Passe encore en été, alors qu'une douzaine de barques s'en vont à Ouessant durant les mortes eaux ; mais, normalement, il est devenu indispensable de rechercher le moyen de faire plus de place.

 

Pratiquement, la chose ne présente aucune difficulté.

Quelques curages et surtout l'enlèvement des débris d'anciennes jetées et des galets qui se sont accumulés par endroits, permettraient aux pêcheurs d'atteindre leur mouillage avec plus d'aisance et de laisser plus d'espace entre leurs bateaux.

 

En l'état actuel, le port ne répond plus suffisamment aux besoins et il apparaît d'autant plus étriqué que les Molénais, dirigeant particulièrement leur activité vers la pêche aux crustacés devenue productive, tendent à augmenter le nombre de leurs barques.

 

Puisque cette voie est à peu près la seule qui leur soit ouverte, puisque, sans cette ressource, ils seraient menacés de retomber dans l'affreuse misère dont leurs aînés ont tant souffert, n'importe-t-il pas de les aider ?

 

De leur côté, grâce au concours financier des pigouliers, qui semble devoir devenir bientôt plus important encore, ils pourraient participer de façon sensible aux frais des travaux désirés.

 

Ainsi Molène pourrait se développer économiquement tout comme les communes du continent.

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