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Fenêtres sur le passé

1921

La crise du logement
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 10 novembre 1921

 

« Moins il y a d'habitants, plus les maisons sont pleines », disions-nous il y a six mois, et nous citions les chiffres du dernier recensement, desquels il résultait qu'en 1921 si la ville de Brest comptait 71 maisons de moins qu'en 1911, elle comptait également en moins 2.358 ménages représentant 16.666 personnes.

 

Dans ces conditions il pouvait paraître étrange qu'en 1911 les propriétaires étaient toujours en quête de locataires, tandis qu'en 1921 il est encore impossible de découvrir un logement vacant.

 

Les causes de cette extraordinaire situation ont été maintes fois exposées :

Arrêt complet de la construction, transformation en garnis d'appartements privés, développement de certains logements familiaux, mais le remède paraissait difficile à découvrir.

Et l'on assista aux quatre coins du pays aux scènes les plus pénibles provoquées par cet état de choses.

 

Par malheur, cette crise n'atteignait pas, n'atteint pas seulement les villes mais aussi la campagne.

Nous le savons particulièrement nous, Finistériens, qui avons déjà vu partir vers d'autres contrées tant de familles de fermiers, qui pour ne pas demeurer sans abri, qui afin de trouver à employer leurs forces et leur matériel, devaient consentir à un douloureux exil.

 

Nous avons vu cela, et cependant le mal n'est pas encore écarté.

Dans le Sud comme dans le Nord de notre département, les expulsions se poursuivent plus attristantes les unes que les autres.

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Mère dans une grange.jpg

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Il y a quelques semaines à peine, un fermier de Cornouaille, Jean Bourhis, nous exposait sa pénible situation :

 

« Depuis 40 ans, succédant à mon père, notre famille occupait à Balan-ar-Goff, en Leuhan, une ferme de 30 hectares.

Cette exploitation n'était certes pas trop grande pour nous, car j'étais père de seize enfants.

Cinq de mes fils furent mobilisés ; l'aîné a été tué, le second réformé pour faits de guerre.

 

« Mon propriétaire mourut, et la ferme, par l'intermédiaire d'un marchand de biens, devint propriété d'un autre cultivateur désireux de développer son exploitation.

Il m'informa de son projet, et comme mon bail finissait en 1920, je dus songer à déménager.

 

« Mais il m'était impossible de découvrir une autre ferme vacante.

La commission arbitrale m'accorda une prorogation de deux mois.

 

« Une demande en référé eut pour effet d'amener mon expulsion le 15 décembre.

J'obtins de pouvoir placer mon mobilier dans une grange du voisinage.

C'est dans cet endroit que pour la seizième fois ma femme devint mère.

 

« Quelque temps après, la maison que j'avais dû quitter demeurant vide, je résolus d'en occuper le grenier à cause de ma femme, du nouveau-né et de mes autres petits âgés de deux, quatre, douze et quatorze ans.

 

« Le 22 février, un deuxième jugement en référé m'autorisait à rentrer mes meubles dans la maison jusqu'au 1er mai et, provisoirement, jusqu'au 29 septembre dernier.

 

« Or, le 5 septembre, tandis que j'étais absent, un huissier se présenta à la ferme, qui fit procéder à l'expulsion.

Depuis ce jour, je suis sans asile et n'ai pour abri que les dépendances que veulent bien, momentanément, m'offrir les fermiers du voisinage.

Moi aussi je me suis fait inscrire pour aller en Dordogne, mais il est évident qu'il n'est pas possible de trouver ainsi une ferme disponible du jour au lendemain. »

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Aujourd'hui, ce sont les malheurs d'un fermier du Léon qui nous sont narrés :

Lundi dernier, M. Moullec, huissier, accompagné de deux gendarmes et de trois ouvriers de Lannilis, a procédé à l'expulsion de la famille Abiven, qui occupait une ferme au village de Prengourven, en Plouguerneau.

 

La famille Abiven a été très éprouvée par la guerre :

Deux de ses enfants ont été tués, et un troisième, grand blessé, est aveugle.

Elle ne trouve cependant aucun logement.

Des voisins compatissants l'ont momentanément accueillie.

C'est la deuxième famille sans abri dans la commune, où il existe de vastes locaux scolaires disponibles.

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À ces deux exemples simplement exposés, il serait superflu d'ajouter un commentaire.

Il est des faits devant lesquels on ne peut ni discuter ni ergoter :

Ils commandent l'action immédiate pour que s'atténuent le plus complètement possible leurs conséquences douloureuses.

 

Et pourtant combien d'autres exemples du même genre ne trouverait-on pas dans les villes ?

N'avons-nous pas dû intervenir plusieurs fois déjà pour les sans-logis de Quimper, de Morlaix, de Brest ?

 

Qui ne sait qu'en dépit des dangers qui en résultent, la commission sanitaire de notre arrondissement ne peut exiger l'exécution de ses décisions ;

car, si l'on contraignait à l'évacuation des maisons déclarées inhabitables, beaucoup de familles, comptant, de nombreux enfants, seraient, sur le pavé et se verraient dans l'impossibilité d'e découvrir le moindre abri.

 

Ce n'est pas, certes, que les édifices susceptibles de recevoir ces familles en pareille occurrence manquent ;

il en est tout au contraire à Brest comme ailleurs, de vastes, de solides, de bien exposés, de bien aérés, qui demeurent sans emploi.

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Faut-il rappeler qu'en août 1919, M. Charles avaient émis un vœu que notre conseil municipal vota à l'unanimité ?

 

« Le conseil, disait-il, soucieux de procurer aux familles nombreuses des logements salubres où se répandraient l'air et la lumière, émet le vœu que les bâtiments militaires a usage de casernes qui cesseraient d'avoir cette affectation soient remis à la ville de Brest pour être aménagés en logements pour familles nombreuses. »

 

Qu'en est-il résulté ?

Rien !

Les administrations de la guerre et de la marine, jalouses de leurs prérogatives, de leurs droits, de leurs biens, ne s'en priveraient d'une parcelle pour rien au monde, dût-il en résulter pour tous les pires choses.

 

On avait demandé, il y a longtemps déjà, l'autorisation de loger des familles à la caserne d'Aboville, où de vastes salles demeuraient inoccupées.

On ne l'obtint pas.

 

À l’Arch'antel, manutention militaire, le magasin aux farines est bien employé actuellement comme garde-meubles par les officiers qui ont momentanément dû quitter Brest, mais d'autres magasins importants sont sans emploi.

 

Derrière cette manutention existe le parc, d'artillerie de Recouvrance, où 800 prisonniers allemands trouvèrent abri.

Ne pourrait-on aménager à présent ces bâtiments pour recevoir des familles ?

 

À Kervéguen, on avait autorisé des sous-officiers mariés à occuper avec leur famille des locaux disponibles.

Mais ils ont dû quitter les lieux pour venir grossir le nombre de ceux qui recherchent vainement un appartement et céder la place aux deux compagnies de tirailleurs malgaches arrivées dimanche à Brest.

 

Seules, quelques familles privées d'abri à la suite d'incendies ont été autorisées à occuper quelques baraquements des Fédérés, mais vivent sous la continuelle menace d'une expulsion pouvant se produire à tout moment.

 

Plusieurs ménages d'expulsés ont également pu, avec leurs enfants, trouver asile dans une dépendance des halles Saint-Martin, mais cela ne peut constituer qu'un abri provisoire, et dans plusieurs quartiers la population s'entasse, s'empile, étouffe et meurt dans de vieilles maisons, dans des masures chancelantes et insalubres.

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La crise sévit dans toute son acuité, dans toute son horreur ici, là, partout.

Si bien que M. Bovier-Lapierre, rapporteur de la commission d'assurance et de prévoyance sociales, en faisait, ces jours derniers, à la Chambre, ce pénible tableau :

 

" C'est la promiscuité qui engendre tant de douleurs, et peut-être ensuite tant de crimes.

Effectuons la visite de tous les taudis de Paris et de province, car le problème n'est pas un problème parisien, un problème des grandes villes, mais la province y est intéressée.

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Bovier-Lapierre

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« Un de nos collègues M. Inizan, déclarait qu'il était, navrant, de voir la situation faite au point de vue du logement aux populations rurales qu'il représentait.

 

« Notre collègue, M. Even, qui est docteur, ainsi particulièrement qualifié, déclarait que la multiplication des cas de tuberculose, dans les départements bretons, était due justement au mauvais état des logements. »

 

Et M. Bovier-Lapierre poursuivait :

« Il y a un remède à cette situation : Il faut construire.

Mais savez-vous que le prix des matériaux de construction a augmenté,

que son coefficient actuellement varie de 4,5 à 6.

Savez-vous que les salaires ont augmenté également dans une proportion qui atteint 400 % ?

Vous n’ignorez pas qu'ainsi l'ensemble d'un immeuble en construction a un coefficient qui s'élève à plus de 4 ».

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Vincent Inizan

1932

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Puis le rapporteur demandait le vote du crédit permettant d'émettre immédiatement 750 millions d'obligations amortissables en 40 ans.

Ce crédit, affecté à la construction de maisons à bon marché, était voté au cours de la séance du 4 courant.

 

Mais les offices publics d'habitations a bon marché constitués à cet effet ne sont guère encore très développés dans le pays.

Ainsi au 31 décembre 1921, on n'en comptait que 56.

Du 1er janvier au 15 juin 1921, 25 nouveaux offices se sont créés.

À l’heure actuelle, la France en a 86.

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À Brest, séduits par les avantages que leur concédait la loi du 12 avril 1906, une douzaine de petits fonctionnaires et d'employés, décidait, il y a quatorze ans environ, de constituer une société ayant pour but, selon l'esprit de la loi, de permettre à ses adhérents de se loger à bon marché, dans des conditions favorables de salubrité et de moralité, et de faciliter l'accès à la propriété individuelle.

 

Cette société pouvant bénéficier d'un régime spécial tel que prêts consentis à des taux très réduits, affranchissement de la contribution foncière et de la contribution des portes et fenêtres pendant douze ans, ne tarda pas à se développer sur le plateau de l'Harteloire que la ville avait bien voulu lui céder.

Et c'était bientôt tout un quartier nouveau, bien exposé, bien aéré, qui s'élevait en ce lieu.

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L'exemple était excellent.

Désirant le développer, la ville faisait établir des plans d'une nouvelle Cité ouvrière comportant près de 200 logements, dont 146 comprenant, deux pièces, une cuisine et water-closet.

En outre, des lavoirs et bains-douches y étaient prévus.

 

En 1915, elle faisait acquisition, à l'angle de la rue de la Vierge et de l'Allée-Verte, pour le prix de 79.650 francs, d'un terrain d'une contenance de 7.965 mètres carrés.

Mais la guerre vint empêcher l'exécution du projet.

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Un projet de cité ouvrière.jpg

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Dans sa séance du 6 octobre dernier, le conseil municipal fut de nouveau saisi de la question par M. Quiniou, qui présenta un rapport, dont nous détachons le passage suivant :

 

La loi du 12 avril 1900 a organisé et développé la société d'habitations à bon marché.

Déjà, dans cet ordre d'Idées, de nombreux pays étrangers nous ont devancés et des cités entières ont été édifiées sur ces principes.

 

En France, ce sont surtout des sociétés qui se sont occupées de la question.

Certes, lorsqu'il s'agit de l'amélioration du sort des humbles, toutes les initiatives privées sont respectables et sont même à encourager ; mais le législateur lui-même s'est rendu compte qu'il fallait étendre aux communes la faculté accordée à certains groupements et la loi du 23 décembre 1912 prévoit en son titre III la possibilité pour elles de construire des habitations collectives dont la gestion serait confiée soit à des sociétés d'habitations à bon marché, soit à un « Office public ».

 

C'est de la création de cet organe que nous nous occuperons aujourd'hui.

 

Ces offices sont créés par décrets rendus, en Conseil d'État, sur la proposition des ministres de l'Intérieur et du Travail, à la demande du conseil municipal.

 

Ils sont gérés par un conseil d'administration de dix-huit membres, dont six nommés par le préfet, six par le conseil municipal, lorsque c'est lui qui demande la création de l'Office.

Les six autres sont élus par les institutions ci-après existant dans la circonscription de l'Office :

Un membre par les comités de patronage des habitations à bon marché et de la prévoyance sociale ;

un membre par les sociétés approuvées d'habitations à bon marché ;

un membre, par le bureau des sociétés et unions de sociétés de secours mutuels ;

un membre par le conseil départemental d'hygiène ;

un membre par les conseils des directeurs des caisses d'épargne ;

un membre par les unions de syndicats.

 

La variété de ce recrutement assure à ce conseil d'administration l'indépendance qui est, à mon sens, la qualité essentielle pour inspirer confiance au public et pour faire de bonne besogne.

 

Les femmes peuvent faire partie du conseil d'administration.

Le mandat de tous les administrateurs est gratuit.

 

Le receveur chargé de la comptabilité est nommé par le préfet, sur une liste de trois personnes présentées par le conseil d'administration.

 

Toutes garanties sont prises par la loi concernant l'administration de ces Offices.

Pour les actes les plus graves, le conseil municipal est appelé à donner son avis et l'autorité supérieure son approbation.

 

Le principe admis, il reste pour la commune à se conformer aux obligations de la loi, la fixation des ressources financières de l'Office, la constitution de de son patrimoine.

 

L'article 21 de la loi prévoit comme élément principal de ce patrimoine une dotation mobilière et Immobilière constituée par le conseil municipal.

 

Envisageant l'hypothèse de la construction d'un groupe de maisons dont, le dernier devis estimatif se monte à 4.000.000 de francs environ, l'Office devra envisager, dès que sa constitution sera un fait accompli, un emprunt à la Caisse des dépôts et consignations, dans les conditions fixées par l'article 21 de la loi du 23 décembre 1913.

 

Dès maintenant, la ville s'engage à mettre à la disposition de l'Office un terrain de 7.550 mètres carrés et prend l'engagement, au cas où sa demande serait agréée, de doter l'Office d'une somme de 200.000 francs payable en dix annuités.

 

Le rapport fut adopté.

 

Aujourd'hui, grâce à la nouvelle contribution de l'État que vient de voter la Chambre et que ne manquera pas d'accorder le Sénat, ce projet de construction de maisons à bon marché semble enfin pouvoir devenir une réalité.

 

Souhaitons avec tous ceux qui aspirent à vivre dans des conditions salubres que le nouveau quartier de l'Allée-Verte soit bientôt prêt à les recevoir.

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