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Fenêtres sur le passé

1916

Chansons de route par Théodore Botrel

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Source : La Dépêche de Brest 22 mars 1916

 

Auteur : Dr Caradec

 

Mon vieil ami Botrel se rappelle à mon affection en m'adressant ses « Chansons de route »,

spirituellement illustrées par Carlègle.

 

Nos chers « bonhommes » sont tout prêts à exposer leur vie pour la patrie, mais ils entendent accomplir ce sacrifice en chantant.

Ah! comme je comprends l'accueil enthousiaste qu'ont fait nos héros au « Chansonnier des Armées »

et quelle joie en retour, ce dut être pour le poète breton que d'avoir autour de lui ce parterre de malades, de blessés, de poilus et de cols bleus.

Comme accompagnement : le son du canon et même le bourdonnement des balles.

À Dunkerque, un jour, une balle perdue, traversant les carreaux, vint rouler aux pieds du barde.

Sans plus d'émotion, il la ramassa, la mit dans sa poche, monta l'escalier de l'estrade et dit :

« On connaît ça !

— C'est comme au théâtre !

On frappe, au rideau.

Au troisième coup, je commence ! »

Le troisième coup arriva à point et, dans tous les lits, on applaudit.

La séance commença et, une heure durant, continua dans le crépitement des applaudissements et aussi sous la rafale des bombes et des fusillades.

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Voilà des représentations oui ne devaient pas être banales, n'est-ce pas, et qui, pour le réconfort, valaient certes mieux que celles où, au Théâtre municipal, des inconscients de l'arrière vont rire au « Chapeau de paille d'Italie », comme si nous étions en pleine paix.

 

Ce qui donnait, de la saveur à ces auditions de Botrel sur le front, c'est que, soldats ou marins,

exposés à mourir le lendemain, chantaient en chœur, au refrain, la Kaisériole, sur l'air de la Carmagnole,

Guillaume s'en va-t’en guerre, sur celui de Malborough ou en Revenant de la guerre, sur celui de Revenant de noce.

 

Pour donner une idée du genre, j'aurais voulu reproduire ici ces poésies qui ont pour titre :

Sur les roules du Kaiser. — Le petit prince soldat. — La messe au camp. — Dans la boue.

— Si le Kronprinz avait voulu. — La marche des Poilus.

 

En lisant ces chansons de Botrel, j'ai senti mon vieux cœur entrer en folie.

Qu'eût-ce été si j'avais entendu le barde, de sa voix chaude et vibrante, déclamer ou murmurer ces poésies héroïques, tour à tour dramatiques et comiques, terribles aux heures de sainte colère, doucement sentimentales,

aux jours de détente.

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J'ai retenu cette ode au drapeau, à ce drapeau tricolore pour lequel, à ces heures tragiques,

notre grand amour redouble :

 

I

Le drapeau de Jacques Bonhomme

Ne date pas d'hier.

Il a vu cent guerres, en somme,

Et n'est pas plus fier ;

Du bon Peuple il fut l'Espérance,

N'oublions pas cela !

Flotte, flotte, drapeau de France

Jacques Bonhomme est là !

 

II

 

C'est Clotilde ou bien Geneviève

Qui nous l'ont, autrefois,

Découpé d'un revers de glaive

Dans leur manteau gaulois ;

Quelque, chef aux larges épaules

Le mit à son épieu...

Flotte, flotte, drapeau des Gaules.

Flotte, beau drapeau bleu !

 

III

 

Puis ce, fut l'heure, où la Patrie

Quoi que fît Duguesclin,

Vit venir, dolente et meurtrie

Son funèbre déclin...

Quand soudain, Jeanne — la Revanche

La sauva de la mort.

Flotte, flotte, bannière blanche.

Aux trois fleurs de lys d'or!

 

IV

 

Mais un jour, d'un élan suprême,

Jacques, plein de fierté,

Dut défendre et sauver lui-même

Sa jeune Liberté...

Et la Marseillaise à la bouche

Il passa tout puissant !

Flotte, flotte. drapeau rouge.

Rouge de notre sang!

 

V

 

C'est ainsi que — nul n'en ignore

Amis, qu'aux anciens jours

Le drapeau devint tricolore

En sauvant nos amours ;

Jusqu’au bout, jurons de le suivre

Sans crainte d'en souffrir...

Flotte, flotte ! Nous saurons vivre

Et nous saurons mourir :

Pour Toi, vivre et mourir !

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J'ai encore dans l'oreille, cette gentille chanson de La petite maman que, plus tard, après la guerre,

je demanderai à Botrel de venir vous dire :

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I

 

Y'avait chez nous, un petit gâs,

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

Y'avait, chez nous, un petit gâs

Qu'aurait voulu se faire soldat...

Mais avait peur, en partant,

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

— Mais avait peur, en partant,

De faire pleurer sa maman.

 

II

 

Elle était veuve d'un marin.

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

Elle était veuve d'un marin.

Et n'avait plus une ce gamin.

Ce grand câlin de seize ans

Qui l'appelait : « Ma p'tit’ maman ».

 

III

 

L’gâs soupira tant et tant

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

L’gâs soupira tant et tant

Dans son lit-clos, des nuits durant,

Qu'elle lui dit en souriant :

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

Qu'elle lui dit en souriant :

« Embrass' bien fort ta p'tit' maman »

 

IV

 

« Embrass' moi vite et va-t-en,

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

« Embrass' moi vite et va-t-en,

Puisque la France, au « front » t'attend

Elle est ta mère, mon enfant,

— Et lon lon laire, et Ion lon la —

Elle est ta mère, mon enfant,

Quand, moi, je, n'suis qu'ta « p'tit' maman » !

 

N'est-ce pas que c'est là une note gentiment attendrissante ?

Ce livre de Botrel c'est la grande guerre mise en petites chansons...

Petites chansons qui entretiennent dans le cœur des soldats le feu sacré

et cristallisent tout ce qu'ils sentent confusément en eux de fort et de généreux.

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