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Fenêtres sur le passé

1914

Une femme tue son amant qui allait se marier
rue Voltaire

 

Drame rue Voltaire 22 juin 1914.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 22 juin 1914

 

Françoise Labat, 32 ans, ménagère, avait fait la connaissance d'Alexandre Laur, 27 ans, mécanicien, il y a quatre ans environ.

Bien vite, ils s'éprirent l'un de l'autre et se mirent en ménage.

C'est ainsi qu'ils vinrent habiter une très modeste chambre au deuxième étage du numéro 23 de la rue Voltaire.

 

Tous deux, déclarent les voisins, semblaient s'entendre parfaitement et on ne perçut jamais entre eux la moindre discussion.

« Pourtant, dit Mme Le Dall, leur plus proche voisine, Françoise Labat m'avait confié que son ami était neurasthénique et qu'au cours de certaines crises il se faisait menaçant, déclarant, en montrant son revolver, qu'il s'en servirait si elle le trompait. »

 

Hier après-midi, les deux amis étaient restés dans leur chambre.

On s'en aperçut, car jusqu'à trois heures environ ils firent marcher leur phonographe.

 

Un silence profond régnait, dans la pièce lorsque, vers quatre heures, deux détonations successives jetèrent le trouble chez les voisins.

Vivement impressionnés, ils en recherchèrent la cause, puis, croyant à la chute d'un meuble, ne s'en inquiétèrent plus.,

 

Cependant, une demi-heure plus tard, Françoise Labat venait heurter du poing la porte de Mme Le Dall et, d'une voix éteinte, suppliait :

« Ouvrez-moi, Françoise, ouvrez-moi vite. »

 

— Je m'étais récemment fâchée avec elle au cours d'une discussion, dit Mme Le Dall, et prise d'une crainte inexplicable et subite je ne voulus point ouvrir.

 

À ce moment, survint une autre voisine, Mme veuve Créach, qui aperçut Françoise Labat affaissée sur le palier, le visage ruisselant de sang.

Elle se précipita vers elle pour la conduire dans sa chambre et, là, vit, étendu sur le lit, râlant, le mécanicien Laur portant à la tempe gauche une affreuse blessure, d'où le sang s'échappait en abondance.

L'infortuné avait en main le revolver dont on venait de se servir.

 

Sans plus attendre, Mme Créach s'en fut en courant vers le poste de police de la rue Kléber et fit connaître aux agents l'horrible constatation qu'elle venait de faire.

 

Bientôt après, MM. les docteurs Lafolie et Le Gorgeu arrivaient et constataient l’inutilité de tout soin pour Alexandre Laur.

Quant à Françoise Labat, affalée sur une chaise, elle demeurait hébétée face au lit où râlait son amant.

La blessure qu'elle portait au-dessus de l'arcade sourcilière droite ne semblait présenter aucun caractère de gravité.

 

Les parents du mécanicien avaient déjà appris la fatale nouvelle et, douloureusement frappés par ce malheur, ils sanglotaient au chevet de leur fils.

La fiancée de celui-ci, arrivée hier de Saint-Brieuc, pleurait silencieusement près de la victime.

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Cependant, M. Ségur, commissaire de police, qui, en compagnie de son secrétaire, M. Jovet, s'était immédiatement rendu sur les lieux procédait aux premières constatations.

Il était peu après rejoint par MM. Bidard de la Noë, juge d'instruction ;

Guilmard, procureur de la République, Astre, substitut ;

Orteu, commissaire central ;

le docteur Mahéo, médecin légiste.

 

Invitée à fournir des explications sur le drame, Françoise Labat déclara que son ami avait, au cours d'une discussion, tiré sur elle deux coups de revolver et que l'un des projectiles l'avait atteinte à la tête.

S'emparant de l'arme, elle aurait à son tour tiré sur son compagnon, le blessant mortellement. Machinalement, elle déposa ensuite le revolver dans la main du blessé.

 

C'étaient là les premières déclarations de Françoise Labat, qui montra ensuite aux magistrats un trou fait dans le plafond, juste au-dessus du lit, par une des balles ;

elle fît également remarquer la présence, sur l'édredon, de plâtras provenant de ce même trou.

 

L'enquête a démontré que le drame ne s'est pas déroulé ainsi.

 

Tout d'abord, le trou qui existe au plafond n'a pas été fait par un projectile ;

quant au plâtras qui maculait l'édredon, il avait été déposé par Françoise Labat.

Au cours de ses investigations, M. Ségur a, en effet, trouvé dans la chambre un couteau avec lequel la meurtrière avait gratté le mur ;

à cet endroit, on a constaté la présence de plâtras sur la rainure de la boiserie.

On en a relevé également dans le manche du couteau.

 

Un examen du revolver a révélé que les trois projectiles tirés ne se suivaient pas dans le barillet ;

entre deux douilles vides se trouvait une balle intacte.

Il y a donc eu un temps d'arrêt.

On en déduit que la meurtrière a dû toucher au barillet après le premier coup.

 

La meurtrière, qui était sous l'influence de l'absinthe et de l'alcool, déclara que le revolver appartenait à son ami, qui le portait quand il revenait nuitamment de son travail.

 

Pendant que Françoise Labat fournissait ces explications, sa victime était placée dans la voiture de secours aux blessés et transportée à l'hospice civil, où elle ne tarda pas à succomber.

Dans l'impossibilité de poursuivre efficacement l'enquête en raison de l'état d'hébètement de la femme, celle-ci était à son tour conduite à l'hospice dans une voiture de place ;

la blessure qu'elle porte à la tête n'a aucun caractère de gravité, la balle ayant glissé sur l'os frontal.

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M. Ségur continua son enquête et ses recherches dans la chambre du drame.

Il découvrit un papier, signé du mécanicien Laur, par lequel celui-ci abandonnait à son amie le mobilier de la chambre et s'engageait à lui verser, en outre, une somme de 100 francs.

Ce papier, signé dans la matinée d'hier, marquait la séparation très prochaine des deux amants.

 

Alexandre Laur, qui était chef mécanicien sur la dérocheuse Tor-ar-Rock, devait, en effet, épouser très prochainement une jeune fille de Saint-Brieuc.

 

Cette union déplaisait fort à Françoise Labat, qui, récemment, devant témoins, déclara qu'elle tuerait son ami s'il manifestait l'intention de la quitter.

Elle a malheureusement tenu parole.

 

Des déclarations invraisemblables de la meurtrière, de la mise en scène qu'elle a préparée, fort maladroitement d'ailleurs, il résulte qu'elle a, après avoir absorbé de l'alcool pour s'étourdir, tué son ami pendant son sommeil.

Alexandre Laur avait travaillé toute la nuit et il s'était couché vers onze, heures, avec l'intention de se lever à temps pour voir la fête d'aviation.

Profitant du sommeil de son ami, Françoise Labat a tiré à bout portant à la tempe gauche, puisque la plaie est noircie par la poudre.

Elle se blessa ensuite à la tête avec un projectile, puis plaça l'arme dans la main droite du blessé.

C'est ce qui résulte des constatations et de l'enquête.

 

Françoise Labat devait comparaître aujourd'hui devant le tribunal correctionnel,

sous l'inculpation de menaces de mort (*) proférées à l'égard de Mme Veuve Queinnec, mariée, il y, a quelques jours, à M. Louis Bonhomme.

Ce dernier était, il y a quatre ans environ, l’amant de Françoise Labat, et celle-ci, à cette époque, avait déjà cassé le mariage que projetait son ami.

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(*) Source : Ouest-Éclair 18 juin 1914

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Menaces de mort Ouest Eclair 18 juin 1914.jpg

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Ils se séparèrent cependant et, la semaine dernière, apprenant que M. Bonhomme convolait en justes noces, elle avait menacé d'un revolver la fiancée de son ex-ami.

Cette dernière ayant porté, plainte à M. Glabèke, commissaire de police, ce magistrat se fit remettre, par Françoise Labat, le revolver qu'elle possédait, et l'inculpa de menaces de mort.

La meurtrière, qui avait tout d'abord déclaré que le revolver avec lequel elle a tué son ami appartenait à celui-ci, a fini par reconnaître qu'elle l'a acheté, ces jours derniers, rue de Paris.

Le magistrat, enquêteur a établi facilement la préméditation.

 

L'enquête se poursuivra aujourd'hui, et l'autopsie de l'infortunée victime sera pratiquée.

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Le drame voltaire 23 juin 1914.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 23 juin 1914

 

De minutieuses investigations ont été faites, hier, par M. Ségur, commissaire de police, accompagné de l’agent Troadec, dans la chambre qu'occupaient Alexandre Laur et Françoise Labat.

Il s'agissait principalement de retrouver les projectiles disparus.

En effet, au dire des voisins, trois coups de revolver avaient été tirés à cinq ou six minutes d'intervalle ;

or, dans le barillet on ne retrouva que deux douilles vides séparées par une cartouche intacte.

 

Une balle avait été logée dans le crâne de la victime ; mais qu'étaient devenues les deux autres, celles qui, au dire de Françoise Labat, l'avaient blessée ?

On avait remarqué au-dessus du lit, dans le plafond, trois trous où les projectiles auraient pu se perdre.

C'est d'abord de ce côté qu'on dirigea des recherches qui n'aboutirent pas.

 

Le lit fut ensuite examiné avec soin, mais sans plus de résultat.

Il en fut de même pour les autres meubles et les autres parties de la pièce.

 

Dans la cheminée, le magistrat enquêteur constata qu'on avait récemment brûlé une grande quantité de papiers, dont il examina les cendres.

Ce faisant, il découvrit, au milieu du foyer, une douille vide de cartouche de revolver.

 

Cette nouvelle découverte venait confirmer les présomptions de la veille, à savoir qu'après le drame, Françoise Labat avait, préparé toute une mise en scène.

 

Pourquoi, en effet, s'était-il écoulé plus de cinq minutes entre chacun des coups de revolver et comment expliquer la présence, dans le barillet, d'une cartouche intacte entre chacune des deux douilles vides ?

Sans doute, cette cartouche avait été substituée à la douille retrouvée dans la cheminée :

Dans quel but ?

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Rappelons encore que M. Ségur avait établi que Françoise Labat s'était servie d'un couteau pour gratter le mur et faire tomber des parcelles de plâtre sur l'édredon dans l'espoir de faire croire que les balles s'étaient logées dans le plafond.

 

Enfin, on sait qu'elle n'appela ses voisins qu'une demi-heure après le drame et qu'elle avait auparavant placé le revolver dans la main droite de son amant, ne songeant pas alors qu'on ne pouvait admettre que, tenant l'arme de cette façon, il se soit tiré une halle dans la tempe gauche.

 

De leur côté, le sous-brigadier Quéruel et l'agent Nédélec, du service de ta sûreté, effectuaient des recherches en ville afin de savoir chez qui Françoise Labat avait acheté son revolver.

 

On sait que, le 17 courant, on lui avait confisqué un revolver avec lequel elle avait menacé la fiancée de son ancien ami, M. Louis Bonhomme.

Or, le service de la sûreté a établi que le lendemain même de ce jour, dans la soirée du 18, elle faisait, acquisition d'un nouveau revolver chez M. Méheux, armurier rue de Paris.

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En raison du peu de gravité de sa blessure, M. Bidard de la Noë, juge d'instruction, après lui avoir fait subir un examen médical, faisait venir à son cabinet, hier après-midi, Françoise Labat.

 

Longuement interrogée, elle a fourni les explications suivantes sur le drame :

 

— Mon ami m'avait fait connaître sa décision, irrévocablement prise, de me quitter et j'en avais été très affectée.

Au cours de l'après-midi, nous étions couchés, lorsqu'une discussion s'éleva entre nous ;

tandis qu'il manifestait le désir de rester avec moi encore jusqu'à samedi, je lui déclarais que j'allais partir sur le champ.

 

— Comme je me levais, il brandit brusquement son revolver et, plaçant le canon à hauteur de ma tête, fit feu.

Le projectile ne m'atteignit pas, mais la flamme me brûla les cheveux.

Une seconde fois, malgré mes efforts pour l'en empêcher, il actionna la détente et, cette fois, je reçus la blessure au front, qui m'ensanglanta.

 

—  C'est alors que, me voyant en sérieux danger, je réussis à tourner le canon de l'arme vers sa tempe et à faire feu.

Il s'affaissa tout, aussitôt sur l'oreiller, qui teinta de son sang.

 

— Je me levais aussitôt, très affaiblie par la lutte désespérée que je venais de soutenir, et ne me souviens guère de ce que je fis alors, tant était grande mon émotion.

 

Comme le magistrat lui parlait des cendres de lettres amassées dans la cheminée, elle expliqua qu'elle s'était servie le matin même de vieux papiers pour faire chauffer de l'eau.

 

Enfin, M. Bidard de la Noë faisait écrouer au Bouguen, à l'issue de l'interrogatoire, Françoise Labat, sous l'inculpation d'assassinat.

 

Dans la soirée, M. le docteur Mahéo, médecin légiste, a procédé à l'autopsie du cadavre de la victime, Alexandre Laur.

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Le drame voltaire 24 juin 1914.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 27 juin 1914

 

M. Ségur, commissaire de police, en vertu de commissions rogatoires de M. Bidard de la Noë, juge d'instruction, a entendu, hier, quelques personnes susceptibles de fournir des renseignements sur le drame de la rue Voltaire.

 

M. Méheux, armurier, rue de Paris, a déclaré qu'une femme répondant au signalement de Françoise Labat s'était présentée chez lui le soir du 18, au moment où la nuit se faisait dans son magasin.

Elle lui acheta, pour dix francs, le revolver bulldog qui a été saisi par M. Ségur.

À ce moment elle était très calme et comme, en plaisantant, un ancien contremaître du témoin, M. Le Doher, lui demandait :

« Avez-vous l'intention de vous suicider, madame ? »

Elle lui répondit :

« Oh ! Non, mais il est prudent de s'armer surtout lorsque l'on rentre tard le soir. »

 

M. Laur, retraité de la marine, père de l'infortunée victime, est ensuite entendu.

 

— Mon fils travaillait depuis trois ans sur la dérocheuse Tor-ar-Boch, en qualité de chef mécanicien. Sa liaison avec Françoise Labat ne nous plaisait guère mais nos conseils à ce sujet demeuraient vains.

 

« Le 14 juillet dernier, nous l'avions invité à dîner et lorsqu'il vint nous constatâmes qu'il portait une blessure à la tête, due, nous confia-t-il, à un coup de bouteille que lui avait porté son amie.

 

« Cet acte de violence détermina une séparation qui dura plusieurs mois ; mais, par malheur, mon fils rencontra de nouveau cette femme et eut la faiblesse de la suivre.

 

« Étant fiancé depuis une vingtaine de jours, il fit connaître à sa maîtresse sa résolution de la quitter. Celle-ci manifesta un vif ressentiment et jura de tirer vengeance de cet abandon.

 

« Ces menaces n'émurent guère mon fils qui lui fit don du mobilier et s'engagea à lui verser cent francs lors de leur séparation.

 

« Dimanche, je devisais tranquillement avec de vieux amis, dans un débit voisin de mon domicile, lorsque ma femme me, fit connaître le malheur qui nous frappait. »

 

Mme Laur rappelle les mêmes faits ainsi que la fiancée de son fils, Mlle Alphonsine Guyomard, qui est en même temps sa nièce.

Toutes deux revenaient du cinéma lorsqu'elles aperçurent un attroupement, rue Voltaire, devant l'immeuble habité par Alexandre Laur.

 

Elles eurent le pressentiment qu'un malheur venait d'arriver.

C'est ainsi qu'elles connurent le drame.

 

Alexandre Laur a été inhumé hier après-midi, à 3 h. 30.

Une très nombreuse affluence suivait le cercueil.

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Source : La Dépêche de Brest 20 octobre 1914

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