Source : Le Matin 8 décembre 1911

 

Auteur : Stéphane Lauzanne

 

Traversons la France.

 

Allons-nous sur la côte dentelée de la vieille Bretagne ?

Voici Ouessant, île de femmes et d'enfants.

Tous les gars valides naviguent au loin pour le service de la France ;

ils laissent derrière eux les épouses, les filles et les vieux.

 

J J.-Renaud nous a tracé le tableau étrange de cette île qui n'a que des habitantes.

C'est là que pour complaire à une demi-douzaine de philanthropes à la graisse d'oie, on a transporté tout le rebut de notre armée, les voleurs, les souteneurs,

les apaches des compagnies de discipline.

 

Dès lors, dans la pure île d'Émeraude, c’est la terreur et l'abomination enfants salis, femmes violées, auberges cambriolées, querelles, coups de couteau, mutilations.

Les bordes d'Attila étaient moins hideuses que ce troupeau de bandits.

 

Cependant, par-delà la mer, des plaintes arrivent jusqu'à la côte.

Le conseil municipal délibère, prie, supplie.

 

On s'informe.

Vous connaissez l'admirable enquête de J. J. -Renaud.

Un général est chargé d'aller visiter l'ile de Terreur.

Il revient.

Bon ou mauvais, son voyage va au moins, pense-t-on, avoir un résultat.

On va prendre une décision.

On renverra les disciplinaires dans le bled africain, ou on dira pourquoi on les laisse ici.

Erreur !

Détrompez-vous !

On n'a pris aucune décision.

Une voix mystérieuse est partie des bureaux de la guerre :

 

Attendez, Attendez !

Dans un an, nous verrons !

 

Que si demain le conseil municipal de la malheureuse île, las d'attendre et d'implorer, accomplit les gestes d'autres conseils municipaux, s'il décrète la grève de l'impôt, arbore le drapeau noir, organise un petit pillage, alors on s'émouvra à Paris,

et la même voix prononcera sans doute avec énergie :

 

Attendez! Attendez! Nous allons agir !

 

Et on reportera le camp des disciplinaires cent cinquante mètres en arrière.

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