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Fenêtres sur le passé
1910
Séquestration d'enfant à Ouessant
Source : La Dépêche de Brest 7 juillet 1910
Source : La Dépêche de Brest 23 juillet 1910
M. André Berthou, 39 ans, directeur de l'école libre de l'île d'Ouessant, est inculpé de blessure par imprudence.
Voici les faits-qui lui sont reprochés :
Au mois d'octobre 1909, M. Vaillant, matelot a bord du vapeur Confiance, appartenant à l'administration des ponts et chaussées, vint trouver M. Berthou et lui dit :
« Je ne puis, pas arriver à corriger mon fils, monsieur le directeur ;
il fait chaque jour l'école buissonnière.
Aussi vous prierai-je de vouloir bien l'enfermer à l'école jusqu'à ce que je vienne le chercher.
J'espère que cette détention lui fera prendre goût à l'étude.
— Je n'ai pas de chambre disponible, répondit M. Berthou.
Mais mon grenier est vaste.
Voulez-vous que l'on y monte un lit pour votre fils Paul ?
— Je vous donna carte blanche, reprit alors le père de l'enfant.
Faites pour le mieux.
Le lendemain mardi, on enferma l'enfant dans la mansarde, où il demeura un jour et une nuit.
Ce local, bien aéré, fut meublé pour la circonstance, d'un lit très confortable.
Le gamin mangea de bon appétit les mets qui lui furent servis.
Mais celte détention ne plaisait guère à Paul Vaillant, habitué à courir les champs et à escalader les rochers.
Le mercredi, vers midi, il vit, par l'une des lucarnes du grenier, appareiller le bâtiment de son père.
Persuadé que sa mère le recevrait à bras ouverts il songea aussitôt à s'enfuir.
À l'aide de caisses, qu'il plaça les unes sur les autres, il atteignit la lucarne et sauta sur le toit, comptant pouvoir ensuite descendre dans la cour en se laissant glisser le long de la conduite d'eau.
Mais à peine le jeune Paul était-il sur le toit qu'il fut pris de vertige ;
il chancela et tomba lourdement sur le sol, se faisant dans sa chute une blessure assez grave au front et se luxant le pied gauche.
M. le médecin-major Monfort, avisé de cet accident par un habitant de l'île, prodigua des soins à l'enfant, puis le fit reconduire chez ses parents.
M. Vaillant père, qui avait supplié M. Berthou de renfermer son fils, ne songea naturellement pas à porter plainte contre le directeur de l'école.
Mais les délégués cantonaux apprirent le fait, et enquêtèrent.
Dans un rapport, qu'ils adressèrent à M. Fontanès, sous-préfet de Brest, ils accusaient M. Berthou du crime de séquestration d'enfant, ajoutant que celui-ci se livrait fréquemment à des voies de fait sur les enfants confiés à sa garde.
Le rédacteur de ce réquisitoire terminait ainsi son rapport :
« Ces faits, monsieur le sous-préfet, sont suffisamment graves pour ordonner la fermeture de l'école libre de l'île, dont le véritable propriétaire n'est pas M. Berthou, mais le curé d'Ouessant.
« Nous avons pleine confiance dans votre fermeté ;
elle ne peut d'ailleurs être que profitable à l'école laïque. »
M. Fontanès transmit ce rapport à M. le procureur de la République, qui invita le juge de paix de l’île d'Ouessant à ouvrir une enquête.
Cette information ne dura pas moins de neuf mois.
Enfin, la semaine dernière, M. Poulle, le nouveau procureur, voulant en finir, demanda un torpilleur à M. le préfet maritime se rendit lui-même dans l'île, avec MM. Missonnier, substitut ; Bidard de la Noë, juge d'instruction et Laurent greffier.
Au bout d'une heure d'investigations, le parquet acquérait la certitude que M. Berthou n’était pas aussi coupable qu'on l'avait dit tout d'abord, il ne s'était jamais livré à des sévices sur ses élèves et demeurait simplement coupable d'avoir cédé aux sollicitations du père du jeune Vaillant.
C'est donc sous l'inculpation de blessure par imprudence que M- Berthou comparaît aujourd'hui.
Le jeune Vaillant, qui a dix ans, est un fort gaillard ne semblant pas engendrer la mélancolie.
Lorsque M. Spire lui reproche, paternellement sa mauvaise conduite, il baisse la tête et rit lorsque le président ajoute : « Tu es un petit menteur ;
tu avais dit, tout d'abord, que ton maître ne t'avait donné que du pain et de l'eau et aujourd’hui, tu reconnais qu'il a partagé son repas avec toi.
Voyons, est-ce la première fois ou la seconde que tu as dit la vérité ? !»
— La seconde, répond malicieusement !e gamin.
Le père de l'enfant vient ensuite affirmer que c’est sur sa prière que M. Berthou a enfermé son fils.
Il espérait que cette leçon lui serait profitable, et elle l'a été en réalité puisque le jeune Paul, qui fréquente toujours l'école libre, est devenu un élève docile et studieux.
Le président, reproche à M. Vaillant d'avoir fait isoler son fils dans un grenier :
« Un père de famille, dit-il, doit montrer de l'autorité et de la fermeté, mais aussi de l'affection.
On ne doit pas faire enfermer un enfant de cet âge pendant tout un jour et une nuit. »
M. Spire adresse les mêmes reproches à M. Berthou qui, possédant plus d'instruction et plus d'éducation que M. Vaillant, n'aurait pas dû accéder à la prière de ce dernier :
« On peut mettre un enfant en retenue, lui dit-il, mais pas le renfermer jour et nuit dans une mansarde. »
M. Sauty, ministère public, retrace les faits reprochés à l'inculpé, et demande qu'il lui soit fait application de la loi, en tenant compte, cependant, des excellents renseignements fournis à son sujet par M. le maire d'Ouessant.
Me Feillard plaide très éloquemment la cause de M. Berthou.
Il ramène l'affaire à ses justes proportions et s'efforce de démontrer que ce n'est pas M. Berthou que les délégués cantonaux ont voulu atteindre, mais l'école libre, qui est très fréquentée à Ouessant.
Le tribunal, après avoir délibéré, a condamné M. Berthou à 25 francs d'amende, avec sursis.