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Fenêtres sur le passé

1910

Les moutons de Ouessant
et
la douane Américaine

Une histoire de moutons.jpg

Source : La Dépêche de Brest 16 juin 1910

 

C'était en août dernier, à l'île d'Ouessant :

Noirs comme des corbeaux, agiles comme des chevreuils, six adorables petits moutons, délicieusement frisés, folâtraient dans un pâturage :

« Aôh ! les jaôlis animaux ! »

S'écria une charmante Américaine, témoin de leurs ébats...

« Comme je voudrais les avoir chez moi, dans ma propriété de New-York ! »

 

Cette Américaine était, en effet, une New-Yorkaise richissime, Mme B..., que les hasards d'une croisière

sur les côtes de France avaient amenée dans l'île d'Ouessant.

Le propriétaire des moutons — un « monsieur très chic » — entendit le propos ; fort galamment il les offrit à Mme B...

 

Alors commença pour les pauvres bêtes la plus extravagante des odyssées.

Expédiés d'Ouessant à Brest par bateau de Brest à Saint-Brieuc par voie de fer, de Saint-Brieuc à Bordeaux

par voie de mer, les six moutons finirent par atteindre les bords de la Garonne :

Là, le consul des États-Unis exigea à leur endroit un certificat de vétérinaire, puis un certificat d'élevage pur, etc..

Enfin ! On réussit à les embarquer sur le paquebot Hudson...

Hélas ! tandis que l’Hudson voguait vers la libre Amérique, un décret fut promulgué aux Etats-Unis,

interdisant brusquement sans préavis, le débarquement sur sol américain de « moutons étrangers »,

— si bien qu'en arrivant en rade de New-York, les malheureux animaux se heurtèrent à d'inhospitaliers gabelous,

qui les consignèrent impitoyablement à bord.

En vain multiplia-t-on les démarches à New-York et même à Washington :

La douane américaine se montra intraitable...

 

Et, quelque temps après, les six mêmes moutons reparaissaient à Bordeaux !

Ce fut au tour de la douane française à exercer ses rigueurs :

déclarés « américains », les six moutons durent payer des droits a entrée fort élevés.

Après quoi, réexpédiés, de Bordeaux à Saint-Brieuc, puis de Saint-Brieuc au Havre, ils furent acheminés finalement vers... Pont-Audemer, où ils viennent d'être livrés à M. le vicomte de X..., beau-frère de Mme B... !!!

 

« Pierre qui roule n'amasse pas de mousse », dit un proverbe.

Il en va tout autrement pour le mouton baladeur, qui « renchérit en voyageant ».

Les six moutons, qui valaient 12 francs pièce à Ouessant, reviennent à 200 francs par tête, rendus a Pont-Audemer !

Voilà qui met le gigot à un bon prix !

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