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Fenêtres sur le passé

1910

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Un contremaître assassiné à Douarnenez

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Source : La Dépêche de Brest 10 octobre 1910

 

Douarnenez, 9 octobre.

 

Un assassinat a été commis dans la nuit de vendredi à samedi, sur le terre-plein de Kérarho,

à deux kilomètres environ de Douarnenez.

 

À sept heures du matin, M. Nouy, instituteur à Pouldavid, avisait la gendarmerie de Douarnenez qu'un homme

d'une cinquantaine d'années gisait inanimé et couvert de sang sur le terre-plein de Kérarho.

 

Les gendarmes Guyader et Péron se rendirent immédiatement sur les lieux, où de nombreux curieux stationnaient.

 

Étendu sur le dos, gisait un homme, la boîte crânienne ouverte, les yeux arrachés des orbites,

les oreilles coupées et le visage tailladé.

 

À deux mètres du corps se voyait une flaque de sang coagulé.

C'était là, sans doute, que la, victime avait reçu le coup mortel.

 

M. Le Hénaff, industriel à Pouldavid, ne tarda pas à arriver.

Il reconnut la victime, Rolland Cariou, 50 ans, qui était à son service depuis quatre ans en qualité de contremaître.

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Le parquet de Quimper, avisé télégraphiquement,

est arrivé vers midi.

 

Les constatations légales faites, M. Jacquier, substitut,

a fait transporter le corps à l'hospice de Douarnenez,

où M. le docteur Colin, médecin-légiste,

procéda à l'autopsie.

 

Cependant, M. Rio, commissaire de police,

secondé par ses agents, le maréchal des logis Landreaux

et les gendarmes Guyader et Péron, ouvraient une enquête, qui n'a encore donné aucun résultat.

 

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La rumeur publique accuse des romanichels d'avoir commis ce crime,

mais les magistrats croient plutôt que Cariou a été assassiné par un ou plusieurs habitants du pays.

 

Rolland Cariou était né à Plogastel-Saint-Germain, le 18 avril 1860 ;

c'était un bon travailleur et un excellent père de famille, très estimé dans la commune,

il laisse une veuve et sept enfants.

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Source : La Dépêche de Brest 12 octobre 1910

 

Voici un succès de plus à l'actif de la brigade mobile de Nantes.

Le commissaire de police mobile Givais et l'inspecteur de police mobile Chabas ont triomphé de toutes les difficultés et, grâce à leur habileté et à leur flair professionnel, l'assassin de M. Cariou vient d'être arrêté à Brest.

 

Il est actuellement sous les verrous.

 

Mais ce n'est pas sans peine que l'arrestation a pu être effectuée aussi rapidement.

 

Rappelons tout d'abord cette affaire, qui continue à causer, à Pouldavid et à Douarmenez, une très grosse émotion :

 

Samedi dernier, M. Rolland Cariou, 50 ans, contremaître à l'usine Hénaff, de Pouldavid, apprenait que sa fille,

Mme Balanec, domiciliée à Douarnenez venait de mettre au monde un gros garçon.

 

Le grand-père, tout heureux, se rendit aussitôt à Douarnenez et fêta, avec son gendre, la naissance de son petit-fils.

 

Vers neuf heures du soir, ayant bu plusieurs petits verres, il reprit gaiement le chemin de Pouldavid.

Arrivé au lieu-dit Kerarho, M. Cariou, se tentant sans doute la tête lourde,

s'allongea sur le sol et ne tarda pas à s'endormir.

 

Deux heures plus tard, une bande de jeunes filles et de jeunes gens, parmi lesquels

Yves Provost, 20 ans, inscrit maritime, Jean-Marie Jeffry, Vély Pascal, Pierre Darchen, Vincent Guillen 

et Eugène Le Brun, passèrent près de M. Cariou.

 

Ils secouèrent le dormeur, le réveillèrent, mais il ne voulut pas les suivre.

 

Le lendemain, M. Nouy, instituteur à Pouldavid, découvrit le cadavre de M. Cariou,

gisant au milieu d'une mare de sang :

 

Le malheureux contremaître avait eu la boite crânienne brisée à coups de sabot ;

l’assassin avait, en outre, tailladé le visage de sa victime à l'aide d'un instrument tranchant, couteau ou rasoir.

 

M. Rio, commissaire de police de Douarnenez, avisa immédiatement le parquet de Quimper,

qui se rendit sur les lieux avec MM. Givais, commissaire de police mobile, et Chabas, inspecteur.

 

Ceux-ci commencèrent aussitôt leur enquête.

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Après de nombreuses investigations, de nombreux interrogatoires dans les environs de Douarnenez,

à Pouldavid notamment, après avoir suivi plusieurs pistes,

la brigade mobile porta ses soupçons sur l'un des jeunes gens qui avaient réveillé Cariou à onze heures du soir :

 

Yves Provost, âgé de 20 ans, originaire de Pouldavid,

où il habite avec sa mère.

 

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Le parquet de Quimper fit une perquisition au domicile de cette dernière, et les résultats en furent concluants.

On découvrit, en effet, des vêtements d'homme qui venaient d'être lavés,

et sur lesquels on remarqua quelques taches de sang mal effacées.

 

De plus, on sait que la victime avait eu le crâne défoncé.

Cette particularité revint immédiatement à l'esprit des magistrats quand ils trouvèrent, parmi les habits de Provost, un sabot unique ; qu'était devenu l'autre ?

 

À cette question, la mère de Provost se troubla et balbutia que le sabot avait été cassé quelque temps auparavant.

Mais la conviction des magistrats était faite.

Un tel faisceau de présomptions était plus que suffisant.

 

La brigade mobile se remit en campagne et, après d'actives recherches, parvint à établir que Provost

s'était rendu à Brest pour s'engager dans la marine,

et se trouvait en subsistance au 2e dépôt des équipages de la flotte.

 

Interrogé, Provost nia énergiquement le crime dont on l'accusait.

 

Mais il avait affaire à forte partie.

Quelques questions, habilement posées, l'amenèrent à se contredire.

 

Finalement, il avoua tout son crime.

 

C'est bien lui qui, seul, larda de coups de couteau le malheureux contremaître de l'usine Hénaff.

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C'est bien lui qui, pour achever sa victime,

lui écrasa la tête à coups de ce sabot qu'il brûla ensuite, pour faire disparaître toute trace de son forfait.

 

Cette enquête, si rapidement menée, fait le plus grand honneur à la sagacité de MM. Givais et Chabas.

On ne se doute pas, en effet, de ce qu'il est difficile d'extraire un renseignement d'un paysan breton

qui ne veut pas se compromettre.

On ignore encore les raisons qui ont pu porter Provost

à assassiner M. Cariou.

Sur ce point, le meurtrier garde un silence obstiné.

 

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La population de Douarnenez, où M. Cariou était très estimé, est outrée.

Elle apprendra avec plaisir que le coupable sera mis, ce soir, à la disposition du parquet de Quimper.

 

Rappelons que la brigade mobile de Nantes s'était déjà distinguée, l'an dernier, dans l'affaire Le Bihan.

Deux cambrioleurs brestois, qui exerçaient leur coupable industrie dans une maison de campagne des environs

de Quimper, furent surpris par le retour inopiné du propriétaire, et l'assassinèrent lâchement.

Grâce à la brigade mobile, les coupables furent vite rejoints et écroués :

l'un d'eux se pendit dans sa prison, le second fut condamné aux travaux forcés.

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Cours d'Assises Provost.jpg
Le crime de Ploaré.jpg

Source : Le Finistère janvier 1911

 

Audience du 11 janvier

 

Tous nos lecteurs ont encore présentes à la mémoire les circonstances dans lesquelles le contremaître d’usine Cariou fut lâchement assassiné par un jeune marin de 20 ans, Yves-François Provost, originaire de Pouldavid.

 

Aussi nous bornons-nous à relater succinctement les faits qui constituent l’acte d’accusation.

 

Dans la soirée du 8 octobre 1910, vers onze heures et demie du soir, un groupe de jeunes gens,

qui revenaient de Douarnenez à Pouldavid, trouvaient couché à terre, dans un terrain vague bordant la grève,

et voisin du village de Kerharo, le sieur Cariou, contremaitre d’usine, qui était en état d’ivresse,

et qu’ils essayèrent de relever et de ramener à son domicile.

 

Le lendemain matin, on trouvait, au même endroit, le cadavre de Cariou ;

la tête affreusement mutilée, portait des traces de violences exercées avec une brutalité inouïe ;

les os du front, du nez et de la face, avaient été fracassés à l’aide d’un instrument contondant manié avec force par le meurtrier, qui s’était manifestement acharné sur sa victime.

 

L’enquête ne tarda pas à révéler que, parmi les jeunes gens qui avaient rencontré Cariou dormant dans le terrain vague de Kerharo, se trouvait le nommé Yves-François Provost, âgé de 20 ans, pêcheur à Pouldavid,

qui était rentré a son domicile avec des vêtements couverts de sang et qui, dès le lendemain,

avait pris le train pour Brest, pour y contracter un engagement dans les équipages de la flotte.

 

Provost dû reconnaître qu’ayant laissé ses compagnons continuer leur route, après leur rencontre avec Cariou,

il était revenu vers celui-ci et avait encore essayé de le ramener chez lui.

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Exaspéré par sa résistance, il avait frappé Cariou et,

s’étant armé d’un de ses sabots, lui avait porté au visage

les coups violents qui ont occasionné la mort.

 

À l’audience, l’accusé, qui est bien musclé,

suit les débats d’un air calme et intéressé.

Le banc de la défense est occupé par Me Alizon.

Dans la salle, un public nombreux se presse.

 

Provost allègue, pour sa défense, que lorsqu’il voulut soulever Cariou, celui-ci lui avait donné une gifle.

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Il résulte de l’information que l’accusé, sans être en état d’ivresse le jour du crime,

était cependant excité par la boisson.

 

Il est extrêmement brutal et redouté.

 

M. le président indique aux jurés que les renseignements sur l’accusé sont de deux sortes ;

ainsi, on dit qu’il était incapable de commettre un pareil crime ;

d’un autre côté, on prétend qu’il est violent et que, quand il a bu, il aime à se vanter de sa force.

 

Enfin, ses camarades le considèrent comme sournois et agité et que, pour cette raison,

ils n’avaient plus continué à le fréquenter.

 

L’accusé ne contestant aucun point de l’interrogatoire, on passe à l’audition des témoins qui sont au nombre de 27.

 

À 6 h. 1/2 l’audience est suspendue et la continuation des débats renvoyée au lendemain matin.

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Audience du 12 janvier.

 

On s’écrase littéralement dans la salle des assises.

On y entre difficilement mais pour en sortir c’est encore pis, sinon impossible.

 

L’audience s’ouvre par la continuation des dépositions des témoins, qui n’apportent que des détails à côté,

aucun d’eux n’ayant vu la scène du crime.

 

Marie-Louise Hénaff, femme de la victime, dit peu de chose :

 

« Mon mari avait quitté la maison, le 8 octobre, vers 7 h. 1/2 du soir, pour aller chez sa fille, à Douarnenez.

Ne le voyant pas rentrer, je ne m’en inquiétai pas plus que cela, pensant qu’il était resté passer la nuit chez elle ; aussi qu’elle ne fut pas ma douloureuse surprise quand j’appris qu’il avait été assassiné. »

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« Mon mari n’avait pas l’habitude de boire, il avait une excellente conduite et je ne lui connaissais pas d’ennemis. »

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La douleur de la pauvre femme fait peine à voir.

Elle déclare qu’elle reste seule avec ses cinq enfants,

dont l’ainé n’a que neuf ans, et qu’elle habite actuellement à Douarnenez, n’ayant pu se résigner à rester

dans la maison qu’elle habitait autrefois avec son mari,

et qui lui rappelle de si cruels souvenirs.

 

Enfin M. le docteur Colin, médecin-légiste, fait connaître, dans un exposé très lumineux, les constatations

qu’il a relevées en pratiquant l’autopsie.

 

Le corps ne portait pas moins de cinq plaies ou fractures.

 

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RÉQUISITOIRE

 

Au milieu d’une vive attention de l'auditoire, le procureur de la République, M. Mazeaud, commence son réquisitoire.

L’honorable magistrat dépeint le caractère de Provost, violent, emporté, brutal ;

ni ses parents, ni ses proches n’ont été à l’abri de ses coups.

Il a osé, le misérable, lever la main sur sa mère.

Il frappe brutalement, sans raison, sans motif.

 

L’organe de l'accusation fait ensuite un tableau saisissant de la scène abominable accomplie en pleine nuit,

sur cette plaine déserte et désormais sinistre de Kerharo, puis il met à nu l’âme du meurtrier qui, après le crime,

n’a témoigné ni pitié, ni remords.

 

Provost n’est pas un être brutal impulsif, c’est un garçon intelligent qui a tout fait pour se soustraire au châtiment.

 

M. Mazeaud déclare en toute franchise qu’il ne voit aucune atténuation dans ce crime monstrueux.

 

DÉFENSE

 

Le distingué Me Alizon se lève à son tour pour présenter la défense de l’accusé.

 

« Provost, dit-il, a été le jouet de circonstances indépendantes de sa volonté.

Il a agi dans un accès de fureur, sous l’empire de la colère, de la colère qui n’est qu’une courte folie,

surtout quand elle se déchaîne dans un cerveau déjà ravagé par l’alcool.

En un mot, il n’était pas dans un état normal.

Il a frappé pour frapper, et non pour tuer ».

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Telle est la thèse que l’honorable défenseur développe

avec une grande puissance d’arguments

et avec une grande logique jointe à un talent consommé.

Plaidant les circonstances atténuantes,

le défenseur invoque la jeunesse de l’accusé.

 

Pendant que son défenseur s’exprimait ainsi, Provost qui, jusqu’à ce moment, avait eu une attitude déplorable,

se met à manifester subitement des regrets

et verse des larmes qui paraissent sincères.

 

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Après une réplique du ministère public et de la défense, le jury se retire pour délibérer.

 

VERDICT

 

Provost, reconnu coupable de meurtre, avec circonstances atténuantes, est condamné à huit ans de réclusion,

sans interdiction de séjour.

 

À la sortie de la salle d’audience, le public commente vivement le verdict rapporté par le jury,

qu’il trouve trop empreint d'indulgence.

 

Néanmoins aucun cri n’est poussé.

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