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Fenêtres sur le passé
1909
Place aux femmes
Source : Le Quimperlois avril 1909
Auteur : Jacques Saint-Cère
Place aux femmes
De plus en plus, la question féminine est à l'ordre du jour.
Avec cette grâce insinuante qui est sa force, avec cette ténacité cachée
sous de souriants dehors qui est son apanage, la femme avance
chaque jour et nous devons nous attendre
pour un temps relativement rapproché à un « envahissement général. »
Qui poussera le cri de guerre contre le féminisme pénétrant partout ?
Les avocates et les médecins en robe sont déjà légion et exercent leurs charmes puissants sur les jurys et sur les malades.
La femme avocat surtout, quelle précieuse trouvaille !
On est homme, n'est-ce pas ?
Et à les voir affirmer avec un délicieux sourire l'innocence de leur client,
les preuves matérielles s'estompent, les présomptions s'atténuent,
et l'on ne peut plus douter de la pureté d'âme d'un criminel défendu
par une enfant aussi candide.
Hier, l'une d'elles dans un grand journal du matin plaidait
la cause des « femmes jurés », et fort bien, ma foi.
Oyez plutôt : Pourquoi disait-elle ne pas introduire dans le jury,
un peu de sentimentalisme, un peu de romanesque, avec la femme ?
Cette dernière saisit certains sentiments complexes,
certaines nuances délicates, qui, pour le sexe laid, restent lettre morte.
Et puis, depuis quand une femme a-t-elle moins de jugeote que son mari ?
Il est certain que la femme possède son jugement personnel,
souvent très personnel, même, mais consolez-vous maître,
vous n'êtes pas à ce point ignorante de la société moderne
pour ne pas savoir que dans les 3/4 des ménages l'opinion
de la femme prédomine et se substitue à celle du mari.
Celui-ci, du reste, ne s'en doute pas le moins du monde et
(touchante ironie !) le nie avec la grande candeur, voire,
se fâche si on l'insinue en sa présence !
En tout cas, maître, n'insistez donc pas pour voir la plus intéressante
moitié de l'humanité siéger sur les bancs du Jury, vous devez bien connaître, cependant ce sexe qui a l'honneur d’être votre :
je ne parle pas ici des émotions violentes qui pourraient être fatales
à ces dames possédant d'après la chanson un cœur « si mignon et si fragile», non plus de ces témoins à l'âme frustre qui pourraient, froisser la délicatesse de leur son auditif, mais, entre nous la femme, l'emportant encore
sur l'homme à ce point de vue, donne plus facilement que ce dernier,
accès dans le susdit cœur à des sentiments peu louables que des gens
trop positifs appelleraient la jalousie et l'envie, les vilains mots !
Et vous ne devrez plus compter alors, cher maître, faire profiter vos clients de ces sentiments que nous inspirent votre beauté et votre grâce ? ……
Où est-il cet heureux temps où Labruyère pouvait dire :
« Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes
ne sont pas savantes ?
Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage
de ne rien savoir ou par la faiblesse de leur complexion ou par la paresse
de leur esprit ou par le soin de leur beauté ou par une certaine légèreté
qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie
qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main ou par les distractions
que donnent les détails d'un domestique ou par un éloignement naturel
des choses pénibles et sérieuses ou par une curiosité toute différente
de celle qui contente l'esprit (oh !) ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire ?
Mais à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance
des femmes, ils sont heureux que les femmes qui les dominent d'ailleurs
par tant d'endroits (qu'est-ce que je vous disais)
aient sur eux cet avantage de moins ».
Hélas ! ! !
Le temps est proche, hommes, mes frères, où après les professions libérales, le suffrage universel, voire la Dette du sang seront du domaine de la femme.
Toutes cantinières !
Zou !
Les Droits de l'Homme seront les Droits de la Femme,
et non contente de dominer dans son ménage,
la Femme régnera sur la France.
Et pourtant de tout temps les avis ne nous ont point manqué :
Brizeux, lui-même, le doux chantre de Marie, que M. Béziers Pierre
a osé faire servir sa récente cause électorale en en faisant
un collaborateur involontaire de sa feuille de chouchou (pardon !).
(Ses mânes ont dû en frémir).
Brizeux lui-même nous disait :
« Brouille sera à la maison
Si la quenouille est maîtresse.»
Il est vrai qu'il était célibataire et partant mal placé pour parler
des charmes domestiques d'un ménage bien uni,
où l'homme ne se mêle plus de vouloir rien conduire ……
Excusez, hommes, mes frères ce cri de révolte d'un mari qui,
je vous assure est absolument docile, comme vous sans doute,
dans son ménage.
Je le regrette déjà, car grands Dieux, si mon épouse le savait !
Jacques SAINT-CÈRE.
Armand-Maurice-Dieudonné Rosenthal
dit Jacques Saint-Cère,
Né le 9 novembre 1855 à Paris
Mort à Paris le 29 mai 1898
Journaliste politique, essayiste
traducteur français.
Esquisse à la mine de plomb
par Henri de Toulouse-Lautrec représentant
le buste de Jacques Saint-Cère
durant l'une des audiences du procès concernant l'affaire Max Lebaudy (1874-1895), Paris, 1896.
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