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Fenêtres sur le passé

1909

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Le crime et le châtiment

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Source : La dépêche de Brest 20 octobre 1909

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La statistique criminelle que publie le Journal officiel n'est pas précisément rassurante.

 

 

Il en résulte qu'en 1907 les crimes commis contre les personnes ont été encore plus nombreux qu’en 1906.

 

Le nombre des affaires soumises en 1907 aux cours d'assises a été de 2,357,

dépassant de 214 celui de l'année précédente.

 

Le nombre des meurtres a passé de 271 à 332 ;

celui des coups et-blessures ayant occasionné la mort, de 162 à 190 ;

celui des infanticides, de 87 à 106 ; celui des parricides, de 11 à 17 ;

celui des viols et attentats à la pudeur sur adultes, de 45 à 65, et, sur enfants, de 331 à 380.

 

Les vols et abus de confiance sont aussi en progrès remarquables.

 

Ces chiffres sont d'autant plus inquiétants qu'ils ne correspondent pas à l'insignifiant accroissement de la population.

 

On sait, d'autre part, que 19,000 repris de justice ont été incorporés dans les régiments

où ils apportent leur démoralisation.

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Le ministre de la Guerre a prescrit une enquête à ce sujet,

mais le résultat en peut être annoncé dès à présent.

 

Sur 21,000 conscrits ayant subi des condamnations,

2,000 environ ont été envoyés aux bataillons d'Afrique ;

les autres condamnés de droit commun, dont le nombre atteint

s'il ne le dépasse, 19,000,

sont actuellement mêlés aux honnêtes jeunes gens de notre armée.

 

Ce scandale a sans doute pour cause quelque initiative sentimentale radicale ou socialiste, et peut-être aussi une campagne entreprise

contre les bataillons de discipline, par des gens qui voudraient voir corriger par la douceur des gaillards toujours prêts

à céder aux inspirations de la violence.

 

L'accroissement de la criminalité reconnaît deux causes principales : l'alcoolisme et la faiblesse de la répression.

 

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On ne semble point du tout disposé en France, à engager contre l'alcoolisme une lutte telle,

par exemple, que celle qui, en Suède, a si bien triomphé du fléau.

 

Quant à la répression du crime, on y songe vaguement ; peut-être s'en occupera-t-on quelque jour,

quand on se trouvera, par miracle, à court d'interpellations et de politiquailleries.

 

En attendant les forçats s'évadent du bagne, les prisonniers se mutinent ;

on gracie à tour de bras des condamnés indignes de pardon et qui, d'ailleurs,

s'empressent de mettre à profit leur liberté reconquise pour voler et tuer avec un entrain renouvelé.

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Les souteneurs sont épargnés par la police et la justice,

la première étant découragée par la faiblesse répressive de la seconde.

 

Il ne se passe pas de jour, et surtout de nuit, sans que des souteneurs, règlent sur la voie publique leurs affaires privées avec leurs honorables collègues ou bien avec les infortunées créatures dont ils vivent.

 

Leurs vengeances sont féroces ; elles alimentent les faits-divers.

 

Dernièrement, un de ces rebuts de l'espèce humaine était condamné à six mois de prison pour coups et blessures.

 

En entendant le jugement, il a crié aux juges :

Vous venez de prononcer l'arrêt de mort de la fille Caignat !

 

Cette fille était sa marmite.

 

Eh bien, voici le passé de ce gentilhomme du ruisseau ;

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on va voir à quel point il confirme tout ce qui a été dit sur l'abus des grâces et des réductions.

 

Le drôle fut condamné à mort par le conseil de guerre de Tunis pour voies de fait contre un supérieur, et gracié.

 

Antérieurement, il avait subi des condamnations que cinq décrets miséricordieux avaient atténuées ou annulées.

 

À peine libéré, ce favori des grâces avait embrassé la profession libérale de souteneur

pour l'exercice de laquelle il était admirablement préparé.

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Le voici condamné une fois de plus et prononçant immédiatement lui-même la peine de mort contre la malheureuse qui l'a longtemps nourri.

 

Elle est donc menacée du dernier supplice ;

elle mourra, soit de sa main quand un sixième décret lui aura rendu

la liberté dont il fit un si noble usage,

soit sous les coups de quelque costaud intervenant en vertu de l'immortel principe de la solidarité professionnelle.

 

La société est fort mal défendue, fort mollement protégée.

 

Entre les honnêtes gens que la justice protège mal et les bandits qu'elle n'intimide plus la partie n'est pas égale.

 

Le châtiment pénitentiaire est pratiqué, en France,

d'une manière paradoxale, invraisemblable !

 

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Cela ressemble aussi peu que possible au redoutable et redouté hard labour des Anglais

qui ne connaissent plus les apaches.

 

Nous avons mis à la disposition des bandits des prisons douces et confortables.

 

Bien que l’ordinaire de ces établissements ait été fort amélioré ceux de messieurs les condamnés qui reçoivent

de l'argent du dehors peuvent se procurer, en outre, certaines douceurs.

 

Les souteneurs ne cessent d'être soutenus dans leur captivité par les prostituées qui leur adressent

des mandats ou des bons de poste.

 

En sorte qu'ils continuent — et cela est grand comme le monde ! — à profiter de leur cellule

et sans courir le risque de leur métier, de ce que la justice a pudiquement appelé le vagabondage spécial.

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Ils vagabondent spécialement et se font payer pour cela

avec garantie du gouvernement...

 

Les pauvres filles qui oseraient se permettre d'espacer trop négligemment les mandats, savent ce qui les attendrait après la libération ou la grâce

de leur maître et seigneur; on peut lire : saigneur.

 

Jamais les malfaiteurs n'eurent si beau jeu ;

on les entoure de sollicitude,

on trouve à leurs pires forfaits d'ingénieuses excuses.

 

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Le résultat s'affirme dans la statistique criminelle qui vient d'être livrée aux méditations de nos législateurs.

 

Mais nos législateurs ont d'autres soucis, surtout à la veille des élections générales ;

les bandits n'ont à craindre aucune fâcheuse reprise de sévérité.

 

Que les mauvais se rassurent et que les bons tremblent !

 

Émile GEOFFROY.

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