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Fenêtres sur le passé

1906

La pseudo nihiliste Jeanne Tilly

 

 

Source : La Dépêche de Brest 27 septembre 1906

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La nihiliste de Toulouse 27 septembre 1906.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 3 octobre 1906

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L'anarchiste de Toulouse 3 octobre 1905.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 4 octobre 1906

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On se souvient que le 24 septembre dernier, à la suite d'une lettre anonyme reçue par M. le procureur de la République de Toulouse, on arrêta dans cette ville une jeune fille, se disant d'origine russe, venant de Biarritz et des villes d'eaux des Pyrénées, qui déambulait tristement dans les rues depuis quatre à cinq jours.

 

Cette jeune fille, interrogée par un de nos confrères, lui fit des confidences graves, qui furent entendues par des consommateurs du café-restaurant où avait lieu l'entretien.

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La soi-disant Russe raconta, qu'affiliée depuis cinq ans aux nihilistes, elle avait quitté son pays, depuis un mois environ, désignée par le sort pour exécuter un grand personnage, condamné à mort par les terroristes, et qu'elle ne nomma pas.

 

— J'ai chez moi une bombe extrêmement dangereuse, dit-elle, que je devais jeter sur cet homme, poursuivi par moi jusqu'à Biarritz.

 

Surpris, mais vivement intéressé, notre confrère obtint un rendez-vous, pour le lendemain, de la jeune Russe, qui devait lui montrer l'engin : mais elle y renonça en raison du danger que présentait sa manipulation.

 

— Au surplus, déclara la nihiliste, depuis que je suis en France, la lecture de vos livres et de vos journaux a modifié le cours de mes idées.

Je comprends maintenant le prix de la vie humaine, et que nous ne devons pas verser le sang innocent.

Aussi avais-je résolu de remplacer la bombe meurtrière par le revolver.

Mais d'autres remords m'assaillent aujourd'hui, et vous me voyez bien résolue à renoncer à l'exécution dont j'avais été chargée, de revenir auprès de ma famille, de ne plus songer à toutes ces horribles choses, et de vivre ignorés de tous.

 

La nihiliste, qui comparaissait, dans la soirée du 25 septembre, devant le juge d'instruction, reconnaissait avoir détenu une bombe qu'elle prétendait avoir fait disparaître le matin, sans faire connaître où ni comment ;

mais elle refusa énergiquement, à ce moment, de faire connaître son identité.

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Tatiana — c'est le nom qu'elle se donnait — parlait le Français avec difficulté.

Elle paraissait instruite, bien élevée, et les magistrats pensaient qu’elle appartenait à une excellente famille.

 

Sa tenue était des plus modestes ;

elle était vêtue d‘une jupe gros bleu, d'un boléro de même couleur, d’un chapeau de paille noir, garni de tulle et de plumes noires, et chaussée de bottines jaune clair.

 

Brune, le teint mat, la taille svelte et coiffée de larges bandeaux plats, elle avait tout à fait l'allure d'une étudiante russe.

 

On ne trouva sur elle aucune pièce d'identité, mais seulement un portefeuille contenant une carte postale sans adresse, un porte-monnaie vide et un tour de cou en corail, de peu de valeur.

 

Tatiana, interrogée à plusieurs reprises par M. Laporte, juge d'instruction, refusa de faire connaître son identité, mais, poussée dans ses derniers retranchements, elle avoua, en sanglot-tant, que sa mère habitait à Brest, rue Vauban, et qu'elle avait été condamnée pour vol par le tribunal de Morlaix.

 

Notre correspondant à Toulouse nous fit connaître, télégraphiquement, les révélations de la jeune fille, et nous ouvrîmes immédiatement une enquête à Brest.

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Jeanne Tilly, ainsi qu'elle l'a déclaré elle-même aux magistrats de Toulouse, est bien née à Brest, le 27 novembre 1887.

 

Son père, ouvrier boulanger, habitait, avec sa femme et ses deux enfants, rue Vauban prolongée, 32, à Recouvrance.

 

À la mort de M. Tilly, sa femme déménagea et alla tenir une charcuterie, rue Saint-Marc, puis vint à nouveau élire domicile à Recouvrance, où elle s'installa comme marchande de légumes aux halles.

 

Cette brave femme, qui jouit de l'estime et de la sympathie de tous, fit de grands sacrifices pour donner de l'instruction et de l'éducation à ses deux filles, dont la plus jeune, Jeanne-Marie, fut mise à l'école des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, rue Vauban.

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Cette jeune fille, d'un physique agréable, apprit ensuite le métier de couturière, dans un atelier de Saint-Martin, puis se plaça comme factrice dans différentes maisons de commerce, et entre autres, chez, M. Thépot, boucher, quai de la Douane, au port de commerce.

 

Un fait insignifiant : un flacon de parfum découvert dans la chambre de Jeanne Tilly, éveilla les soupçons de ses maîtres, qui la surveillèrent et eurent bientôt la conviction qu'elle leur dérobait souvent de l'argent.

 

La pauvre mère, mise au courant des agissements de sa fille, remboursa.

 

Jeanne fut néanmoins mise à la porte.

Elle se replaça, commit de nouvelles escroqueries — toujours payées par sa mère — puis, un beau jour de septembre de l'année dernière, elle fila sur Morlaix, accompagnée, dit-on, d'un jeune homme, qui la fréquentait assidûment.

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À Morlaix, elle fit ce qu'elle avait fait à Brest, c'est-à-dire de nombreuses dupes, qui la traînèrent devant le tribunal correctionnel.

 

Avisée des plaintes portées contre elle, elle prit à nouveau la fuite, en novembre, mais le tribunal la condamna à trois mois de prison par défaut.

 

Depuis cette époque, Mme Tilly n'entendit plus parler de sa fille, si ce n'est cependant par une personne qui l'avait aperçue dans le Midi de la France.

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Mme Tilly, dont la douleur fait peine à voir, a été avisée officiellement, hier matin, de l'arrestation de sa fille.

 

Des agents de la brigade des recherches, nous a déclaré une jeune fille du quartier, lui ont présenté une photographie prise dans la cour de la maison d'arrêt de Toulouse.

 

Mme Tilly a fondu en larmes en reconnaissant son enfant, et a prononcé des paroles inintelligibles.

 

L'avis général des habitants des environs des halles, qui connaissent parfaitement la pseudo-nihiliste, est que Jeanne Tilly, aujourd'hui âgée de 19 ans, ne jouit pas de la plénitude de toutes ses facultés mentales.

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En même temps que nous ouvrions une enquête sur les faits et gestes de Jeanne Tilly, à Brest, un de nos rédacteurs vérifiait, à Morlaix, les déclarations faites par la pseudo-nihiliste au sujet de la condamnation prononcée contre elle par le tribunal correctionnel de cette ville.

 

Voici les renseignements que nous avons recueillis :

 

Se trouvant de passage à Morlaix, l'an dernier, ayant dépensé tout son avoir, et réduite à vivre d'expédients, elle se souvint qu'une demoiselle Maria Crom, couturière à Guerlesquin (pays d'origine de ses parents), avait une cousine nommée Marie Laurent, âgée de 32 ans.

Elle prit le nom de cette demoiselle et télégraphia à Mlle Crom de lui expédier 50 francs.

 

Cette dernière, croyant réellement que c'était sa cousine qui lui demandait ce service, adressa la somme demandée, puis, beaucoup plus tard, apprenant qu'elle avait été victime d'une escroquerie, elle porta plainte.

 

La police ouvrit une enquête, acquit la certitude que Jeanne Tilly était la coupable, et cette dernière fut condamnée, par défaut, à trois mois de prison, le 25 septembre dernier.

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Toulouse, 3 octobre.

Jeanne Tilly a raconté au juge d'instruction de Toulouse « qu'elle quitta la première fois sa famille, en octobre 1904, avec un jeune commerçant, qui l'emmena voyager en Bretagne et la laissa à Paris, où elle se plaça chez un crémier de la rue Mignon, 7, jusqu'en janvier 1905.

À Paris, elle fit la fête, fréquenta des étudiants nihilistes et parcourut diverses villes avec eux. Retournée à Brest auprès de sa mère, rue Vauban, 37 — son père est mort depuis onze ans — elle demeura quelque temps chez sa sœur, établie bouchère et mariée à un nommé Rodel ; mais ne pouvant pas s'accoutumer à la vie simple de la famille, elle se laissa enlever, une seconde fois, par un Russe, en août 1905, avec lequel elle visita le Midi, et retourna à Paris.

Ensuite, le Russe parti, elle entra à l'hôpital Lariboisière, puis, se rendit à Bordeaux, où elle trouva une personne qui la fit placer comme employée chez M. Gobillot, marchand de dentelles, rue Duler, à Biarritz, sous le nom de Dolorès Valbritat.

 

En juillet 1906, mécontente de sa situation et à court d'argent, elle écrivit à ses amis nihilistes de Lausanne, et ceux-ci, dit-elle, l'embauchèrent dans un complot, sur la nature duquel elle tient à observer la plus discrète réserve.

 

« Je reçus une belle somme d'argent, ajoute cette aimable et fantaisiste personne, avec la mission de jeter une bombe sur un gros personnage russe, dont l'itinéraire m'était donné et que je poursuivis vainement à Tarbes, Cauterets, Bagnères-de-Bigorre, Lourdes et Toulouse.

Ici, le remords me prit, et aussi la crainte du danger personnel que je courais.

Je me défis de la bombe.

Vous savez le reste. »

 

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Source : La Dépêche de Brest 7 octobre 1906

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Source : La Dépêche de Brest 10 novembre 1906

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La soi-disant Russe, interrogée, à plusieurs reprises, par M. Laporte, juge d'instruction, refusa de faire connaître son identité, mais, poussée dans ses derniers retranchements, elle avoua, en sanglotant, qu'elle se nommait Jeanne Tilly, et que sa mère habitait à Brest, rue Vauban.

 

Le fait est exact : Mme Tilly est marchande de légumes aux halles de Recouvrance.

 

Entrée dans la voie des aveux, notre concitoyenne raconta son odyssée :

 

Née à Brest, le 27 novembre 1887, elle quitta, la première fois, sa famille, en octobre 1904, avec un jeune commerçant, qui l'emmena voyager en Bretagne et la laissa à Paris, où elle se plaça chez un crémier de la rue Mignon, 7, jusqu'en janvier 1905.

 

À Paris, elle s'amusa, fit la connaissance d'étudiants nihilistes, et parcourut diverses villes avec eux. Retournée à Brest auprès de sa mère, elle demeura quelque temps chez sa sœur, bouchère, rue Saint-Marc ;

mais ne pouvant s'accoutumer à la vie simple de famille, elle se laissa enlever, une seconde fois, par un Russe, en août 1905, avec lequel elle visita le midi de la France et retourna à Paris.

 

Ensuite, le Russe parti, elle entra à l'hôpital Lariboisière, puis, se rendit à Bordeaux, où elle trouva une personne qui la plaça comme factrice chez M. Gabillot, marchand de dentelles, à Biarritz, sous le nom de Dolorès Valbritat.

 

En juillet 1906, mécontente de sa situation et à court d'argent, elle écrivit à ses amis nihilistes de Lausanne, et ceux-ci, déclara-t-elle, l'embauchèrent dans un complot, sur la nature duquel elle observa toujours la plus discrète réserve.

 

Jeanne Tilly vient de comparaître devant le tribunal correctionnel de Toulouse, sous l'inculpation de vagabondage.

 

Notre concitoyenne, assagie par deux mois de prison préventive, est revenue à de meilleurs sentiments.

Elle a déclaré aux juges, en pleurant, qu'elle n'avait jamais fait partie d'une bande de nihilistes et par conséquent, avait inventé de toutes pièces l'histoire de complot dont s'était émue la population toulousaine.

 

Les juges, auxquels l'accusée a prouvé qu'elle avait travaillé quelque temps à Biarritz et qu'elle n'était pas sans ressource en arrivant à Toulouse, ont acquitté Jeanne Tilly.

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