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Fenêtres sur le passé
1906
Brest - Touriste
par Louis Coudurier
Source : La Dépêche de Brest 10 juin 1906
Auteur de l’article : Th. Caradec
Je sais des gens qui, écœurés des philippiques (*) de nos Démosthènes de pacotille, lassés des palabres de nos rhéteurs décadents, désertent à cette heure leur petite patrie et vont planter ailleurs leur tente.
Que n’ont-ils lu le nouveau livre du distingué rédacteur en chef de la Dépêche !
Ils auraient puisé à cette source le réconfort nécessaire pour rester fixés à leur rocher de Bretagne ;
ils se seraient senti une âme de fierté en suivant à la trace l’histoire de leur ville natale.
Les touristes sauront gré à Coudurier de leur avoir présenté, avec un si vif agrément, une cité où ils trouveront tant de raisons de séjourner.
Ce volume est le troisième de la série : Brest et ses environs.
Son originalité, sa clarté, son exacte documentation, l’abondance et le choix artistique de ses photogravures égalent ce nouveau-né à ses aînés.
J’y ai relevé des détails curieux sur le Brest d’autrefois et sur le Brest d’aujourd’hui.
Le Brest d’autrefois !
Ah ! Combien nous ayons le droit d’en être orgueilleux, et combien ceux qui, parmi nous, trouvent que notre France ne meurt pas assez vite, feraient sagement de retremper leur âme à ces nobles gestes des La Motte-Picquet, des Gruichen et des Suffren, ou à ces glorieux faits d’armes des La Clocheterie, des du Coëdic et des Villaret-Joyeuse !
Le livre de Coudurier nous montre que Brest a toujours eu une vie frémissante et comme un goût prononcé pour la « Révolution qui vient ».
N’est-elle pas tout à fait piquante et d’un modernisme aigu, cette grève des ouvriers de l’arsenal qui éclata le 29 août-1790 ?
Pas galants du tout, ces ancêtres !
Ils jettent des pierres sur la femme de l’intendant, Mme Redon.
Brest-Touriste nous sert des détails pittoresques — tristement pittoresques — sur le travail de la « sainte guillotine » pendant ces tristes années 1793 et 1794.
Sur le Champ-de-Bataille et sur la place du Château, le sanguinaire triumvirat Laignelot, Hugues
et Ance dit le « Vengeur » (sic), s’offraient des exécutions à la file...
Histoire d’occuper leurs loisirs !
Quel triste temps !
Et pourtant, cette tourmente révolutionnaire est aussi l’une des belles époques de Brest, celle où nos marins, fièrement trempés, courent sus à l’Anglais ;
celle où notre rade, comme sous Louis XIV, sous Louis XV et sous Louis XVI vit, avant Trafalgar, des flottes gigantesques de cent et cent cinquante vaisseaux de haut bord, dominés par une voilure frémissante.
Nous voici au XIX !
Les édiles du siècle sont d’avis, paraît-il, que les imbéciles, seuls, ne changent jamais.
Ils encensent Napoléon 1er, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe avec la même platitude, et, tout naturellement, se retrouvent républicains, vieilles barbes même, en 48.
Les années qui suivent, je les ai vécues, hélas !
Petit bonhomme de la « primaire », je me revois, en 1858, sur le passage de l’empereur et de l’impératrice.
Comme si c’était d’hier, j’assiste à leur arrivée sur la place de la Halle, éclairée a giorno, et à leur entrée — ô ironie des choses humaines ! — dans cette salle, alors d’un seul tenant, où nos socialistes révolutionnaires menaient, l’autre jour, un si beau tapage...
Je revois, en 1865, à l’inauguration de la gare, le ministre de l’agriculture, M. Bétrie — typos, mes bons amis, ne composez pas Biétry ! — Des toasts chaleureux furent portés à la grandeur du Brest futur.
Le reste, magistralement évoqué par Coudurier, la plupart de mes lecteurs le connaissent :
les tristesses de la guerre de 1870, les espérances dans les destinées glorieuses d’une République d’ordre et de progrès.
Le rédacteur en chef de la Dépêche a très bien mis au point cette partie historique.
Il en découle cet enseignement qu’avec une population à la mentalité changeante comme la nôtre, il ne faut pas désespérer du lendemain.
Dans le Brest d’aujourd’hui, je trouve des pages attachantes sur notre rade, les habitants, les mœurs et le climat de la ville.
Par exemple, j’ai comme une démangeaison d’attraper l’auteur sur ce dernier point.
Pour un peu, il ferait de Brest une station hivernale, sous prétexte que les camélias y poussent en hiver.
Ah ! Que non pas !
Ma vieille expérience médicale m’oblige à conclure que l’humidité marine, dans laquelle nous baignons comme des canards, n’est rien moins que favorable aux arthritiques...
Et nous le sommes presque tous !
Que de détails intéressants dans Brest-Touriste sur les types et originalités de notre ville !
Qui ne connaît notre crieur de nuit, frère du sereno espagnol ?
« Conservé depuis des siècles, ce fonctionnaire nocturne a survécu malgré les révolutions, le progrès, le gaz, l’électricité et les horloges pneumatiques.
Il est certainement l’une des curiosités de la rue brestoise, et il faut aller jusqu’en Espagne pour retrouver son équivalent.
Le dos recouvert d’un long manteau couleur de muraille, le bras armé d’une canne à bout ferré, le crieur de nuit ne se borne pas à clamer les heures.
Son pas sonore sur le vieux pavé surprend parfois et dérange les cambrioleurs, empêche les mauvais coups !
Qu’un incendie éclate, le premier il le voit, le signale.
Parfois, l’ivrogne tombé dans le ruisseau, exposé à la congestion mortelle, trouve en lui un sauveur, qui le ramène à l’abri chaud.
Le passant attardé, aux prises avec les malandrins, lui doit souvent son salut.
Et tout cela prouve que les vieilles choses ont du bon.
Partout ailleurs, ce noctambule bruyant serait impitoyablement arrêté pour tapage nocturne.
À Brest, il est populaire, il jouit de l’estime générale.
On le conserve comme une relique des temps passés, des siècles à la lampe à huile éclairant vaguement les noirs carrefours. »
Et le retraité, ce type de la rue brestoise, digne époux, excellent père, joueur de boules ou de quilles distingué, lisez sa description dans l’ouvrage de Coudurier...
Successivement, l’auteur nous conduit à travers les différents quartiers de la ville.
Nous allons contempler la rade sur le cours d’Ajot (Dajot), écouter la musique des équipages sur le Champ-de-Bataille, flâner dans la rue de Siam, cette Canebière de Brest, puis nous passons le pont, histoire d’aller exhumer quelques souvenirs historiques dans le pays des Yannicks.
Le Château visité, nous courons tirer une bordée dans l’arsenal. Tonnerre de Brest !
À propos du bagne, quelle anecdote salée, pimentée même, vous nous contez, mon cher Coudurier !
Ce poivre substitué au naphtol, par autorité administrative, pour antiseptiser les effets de mobilisation, procurera à plus d'un une pinte de bon sang.
Vous le voyez : pas moyen de s’ennuyer une minute avec notre guide.
Il nous instruit en nous distrayant.
Dans cet article écrit en courant, je n’ai abordé que la fleur du sujet.
Je crois pourtant en avoir dit assez pour engager mes concitoyens à lire Brest-Touriste.
Les uns auront tout profit en apprenant et les autres toute joie en se souvenant.
(*)Les Philippiques (en grec ancien Κατὰ Φιλίππου / Katà Philippou, littéralement « Contre Philippe »), sont une série de discours prononcés par l'orateur athénien Démosthène entre 351 et 341 dans lesquels il dresse une harangue contre Philippe II.
Démosthène y dénonce les ambitions du roi de Macédoine et critique avec véhémence la passivité des Athéniens, tout en éveillant chez eux des sentiments patriotiques.
Ces discours marquent l'apogée de la rhétorique athénienne.
Le terme « philippique » désigne de nos jours une exhortation belliqueuse.