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1905

Joseph Labat, matelot incendiaire et violeur

Landéda - Coat-Méal - Tréglonou - Lannilis
Un disciple de Vacher

​Courrier du Finistère - Octobre 1905

Lannilis

Trois incendies.

Un incendie s'est déclaré samedi soir , près de la gare de Landéda, chez M. François Sylvestre.

Une meule de paille et une autre de foin ont été la proie des flammes.

On ne sait si M. Sylvestre est assuré.

Le même jour, à 9 h 1/2 du soir, un autre incendie s'est déclaré chez M Joseph Mazé au bourg de Lannilis.

Le feu avait pris dans une meute de paille d'environ 25 000, meule qui a été entièrement brûlée

malgré de prompts secours

Un tas de fagots, 1 600 environ, qui se trouvait à côté de la meule de paille, a été aussi la proie des flammes.

Si le vent avait été plus à l’ouest, et un peu plus fort, on aurait eu à déplorer de plus grands dégâts.

Les flammes s'élevaient à une très grande hauteur.

M. Mazé est assuré.

Le dommage serait d'environ 800 francs.

Un troisième incendie s'est déclaré vers trois heures du matin, près du pont de Tréglonou, 

chez M. François Botquélen.

Une meule de paille et un tas de bois ont été la proie des flammes. M. Botquélen est assuré.

La malveillance ne paraît pas étrangère à ces incendies.

Trois incendies en si peu d'intervalle la même nuit, à Landéda, Lannilis et Tréglonou, donneraient a supposer

que c'est la même main criminelle qui a causé ces sinistres.

Il était difficile de ne pas attribuer à la malveillance cette série de sinistres, et les soupçons des habitants

se portèrent sur un matelot de la défense mobile, le nommé Jean-François Labat, 24 ans, originaire de Tréglonou.

La rumeur publique lui attribue également deux tentatives de viol récemment commises à Coat-Méal

 et à Tréglonou.

Labat avait disparu depuis les incendies mais n'était pas revenu a son poste et se trouvait en absence illégale.

Dans la nuit de mardi à mercredi et pendant cette dernière journée, une cinquantaine de paysans armés de bâtons ont monté la garde autour du bois où on-le soupçonnait de s'être réfugié.

Pendant la nuit, deux gendarmes, munis de lanternes, ont fouillé le bois, sans découvrir autre chose

qu'une chemisette et un col bleu.

Mais dans la soirée de mercredi, Labat a été enfin découvert et arrêté.

Il a été envoyé à Brest où il comparaîtra, selon toute apparence, devant le conseil de guerre,

Il a avoué les deux tentatives de viol, mais il se prétend étranger aux incendies,

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La Dépêche de Brest - 30 Novembre 1905

 

TRIBUNAUX DE BREST 


CONSEIL DE GUERRE 


Audience du 29 novembre 1905


UN DISCIPLE DE VACHER


Le 1er conseil de guerre maritime permanent s'est réuni

hier matin, pour juger le matelot Joseph Labat,

chauffeur auxiliaire, embarqué à bord du Veloce.

Ce matelot inculpé de désertion à l'intérieur en temps de paix,

de trois tentatives de faits contraires aux bonnes mœurs

et de cinq incendies volontaires, est conduit au tribunal maritime

par plusieurs gendarmes, commandés par un maréchal des logis. 

L'audience est ouverte à neuf heures. 

M. le capitaine de vaisseau Pivet préside,

assisté de MM. Jardin, capitaine de frégate ; Morel, lieutenant de vaisseau; Garreau, 

lieutenant de vaisseau Gendre et Colson, enseignes de vaisseau, et jaouen, 1er maître de mousqueterie. 

M. Denes, chef de bataillon d'infanterie de marine en retraite, remplit les fonctions de commissaire

du gouvernement, et Daniel, lieutenant de vaisseau eu retraite, celles de greffier. 


L'inculpé, qui sourit et ne paraît nullement émotionné, prend place sur le banc des accusés. 
Le greffier lit l'acte d'accusation.

Ce rapport étant très long, nous nous bornerons à le résumer très brièvement : 

Acte d'accusation 


Le lundi 28 août, vers sept heures du matin, une jeune fille, Marie Falhun, 23 ans, était attaquée,

sur la route de Plouguin à Brest, par un marin, qui la laissait évanouie sur le bord de la route. 


Une demi-heure plus tard, une autre jeune fille, Françoise Quéré, 18 ans, était également attaquée

à deux kilomètres du bourg de Plouguin; mais, grâce à sa résistance et à ses cris,

elle parvint à se débarrasser de son agresseur. 


Ces deux victimes portèrent plainte à la gendarmerie, qui ouvrit une enquête et en avisa

le procureur de la République de Brest. 


Après un mois de recherches, les présomptions contre le matelot de 3° classe Labat, originaire de Tréglonou, parurent suffisantes pour que le parquet civil se dessaisisse de l'affaire. 
Labat fut arrêté et enfermé à la prison maritime de Pontaniou.

Lors du premier interrogatoire que fit subir à l'inculpé le lieutenant de vaisseau Loiselet, rapporteur auprès du

1er conseil de guerre maritime permanent, les charges qui pesaient sur lui étaient si faibles, que M. Loiselet demanda la mise en liberté provisoire de Labat, qui devait toutefois rester consigné à bord du Navarin,

sur lequel il venait d'embarquer. 

La nuit même, Labat s'évadait en s'emparant de la plate du bord.

 

La nuit suivante, c'est-à-dire celle du 27 au 28 septembre, vers minuit, un incendie éclatait chez M. Nicolas, pêcheur, domicilié a Pors-Egras, en Tréglonou.

 

Dans la nuit du 30 septembre au l" octobre, trois autres incendies avaient lieu successivement :

le premier vers 7 h. 45 du soir, à Bel-Air, en Landéda, chez M. Sylvestre, cultivateur ;

le second vers 9 h. 30 du soir, chez M. Mazé, à Lannilis,

et le troisième à trois heures du matin, chez M. Botquélen, au pont de Tréglonou. 

Le dimanche 1er octobre, vers onze heures du soir, un cinquième incendie éclatait chez Mme veuve Guiziou,

au Roscol, en Tréglonou. 

Le mardi 3 octobre, vers 3 h. 30 du matin, Marie-Yvonne Clérach, trente ans, qui se trouvait au lavoir voisin

de Kervoaler, en Guipronvel, était brusquement attaquée par derrière et terrassée par un marin. 

La victime cria et se défendit énergiquement, mais, meurtrie et à demi-étranglée, elle allait succomber,

lorsque l'arrivée d'un domestique et d'une femme mit en fuite l'agresseur. 

La rumeur publique accusait de tous ces méfaits le marin Labat.

Malgré le mandat d'amener très urgent lancé par M. le lieutenant de vaisseau Loiselet, la gendarmerie

ne parvint à s'emparer de l'inculpé que dans la soirée du 4 octobre,

au moment où il venait de rentrer a Ploudalmézeau. 

Nous ne retracerons pas toutes les phases de l'instruction. 

Labat, qui joua la comédie de l'imbécillité, avait eu le tort de trop parler.

Divers marins de son bord l'avaient déjà entendu se vanter d'avoir attaqué des jeunes filles ;

il eut même le cynisme de raconter ses actes aux gendarmes qui l'amenaient de Ploudalmézeau.

Il convint, devant M. le lieutenant de vaisseau rapporteur, qu'il avait passé l'après-midi du dimanche 27 septembre au pardon de Plouguin ; il raconta même qu'il avait voulu embrasser une jeune fille sur la route, 

mais qu'elle n'avait pas voulu se laisser faire. 

Toutefois, il nia les tentatives de faits contraires aux bonnes mœurs. 

La confrontation de l'inculpé avec ses trois victimes et avec les témoins qui l'avaient rencontré sur la route

fut décisive : tous le reconnurent formellement et sans hésitation, bien qu'il eût changé sa coupe de barbe

et qu'il essayât de cacher le bas de sa figure avec la main. 

Labat, écrasé par l'évidence, finit par dire : 

— C'est vrai ; j'étais fou.

En ce qui concerne la désertion, Labat ne fit pas de difficultés

pour reconnaître qu'il avait quitté le Navarin en s'emparant

d'une embarcation du bord.

Il donna comme excuse qu'il se faisait de la bile

et que, sachant qu'il avait droit à sept jours d'absence

avant d'être déclaré déserteur,

il voulait rentrer le lendemain du jour où il fut arrêté. 

L'honorable commissaire-rapporteur, après avoir étudié

en détail les charges qui pèsent sur Labat 

et l'emploi de son temps pendant sa désertion,

dit que les cinq incendies sont évidemment dus à la malveillance.

Cela ressort des témoignages recueillis d'une façon trop évidente pour qu’il soit besoin de le démonter.

Il est bien certain, dit-il aussi, qu'ils ont le même auteur, car la façon d'opérer est la même pour tous 

c'est toujours à l'extérieur des maisons et, quatre fois sur cinq, dans des meules de paille que le feu a pris. 

Chaque fois qu'un incendie a éclaté, Labat a été vu, auparavant, dans le voisinage ;

mais on ne l'a jamais vu  sur le lieu du sinistre, bien que toute la population avoisinante s'y fût portée.

Labat est entré au service le 16 septembre 1901. 

Depuis cette époque, il n'a eu qu'une seule punition de 30 jours de prison, pour avoir manqué volontairement

son détachement.

Son casier judiciaire est vierge. 

Jusqu'à son retour du Chàteaurenault, en mai dernier, 

on n'avait guère eu à se plaindre de l'inculpé.

Il avait rapporté de campagne un livret de caisse d'épargne

de 300 francs.

Il dépensa en quatre mois cet argent et c'est de là

que date sa mauvaise réputation. 

La façon dont il a commis ses forfaits, dit en concluant

M. le lieutenant de vaisseau Loiselet, ses longues marches nocturnes,

les incendies qu'il allumait sans motif, offrent de nombreuses

analogies avec la manière du fameux Vacher, de sinistre mémoire. 

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Le huis clos prononcé 


Sur réquisitoire de M. le commandant Denès, demandant

à prononcer le huis clos pendant l'audition

des trois jeunes filles sur lesquelles des violences

ont été commises, le tribunal décide qu'il sera fait droit

à cette demande. 

M. le capitaine de vaisseau Pivet, président, fait immédiatement évacuer la salle. 


Cette première partie de l'audience ne se termine qu'à 11 h. 30. 

L'interrogatoire de l'accusé 


La séance est reprise à 1 h. 30. 
La salle est comble. 


Interrogé par le président, Labat déclare qu'il a quitté le Navarin, au port de commerce, le 27 septembre.

Il se rendit sur la place de la Liberté, où il trouva un de ses amis, Coat, quartier-maître, puis, tous deux,

se dirigèrent sur Lannilis. à bicyclette. 

L'inculpé fait ensuite un récit fort embrouillé, coupé de digressions et de contradictions, sur l'emploi de son temps. 

Il nie énergiquement être l'auteur des incendies, puis s'écrie tout à coup :

—  Coat et un autre civil étaient cachés près de moi.

—  Ce sont eux qui ont mis le feu !

—  Si je n'ai pas parlé plus tôt, c'est qu'ils m'avaient dit de me taire, pour ne pas les faire pincer !

Le commissaire du gouvernement.

— C'est une nouvelle invention ; il n'y a pas de quartier-maître déserteur. 
— Qu'est-ce que c'est que ce Coat ? Est-ce celui qui a assassiné une femme, à Lannilis, il y a trois ans ? 

Labat.

—  Oui.

On ne comprend absolument rien dans la suite du récit de Labat.

Il ne peut citer personne qui l'ait vu là où il prétend être allé, tandis que de nombreux témoins, dont les charges

sont écrasantes pour l'inculpé, affirment tous l'avoir vu rôder dans les environs des fermes

où le feu se déclarait peu de temps après son passage. 

Le réquisitoire

Le commandant Denès, commissaire du gouvernement, prend l'accusé à son départ du Navarin, 

et dépeint l'emploi de son temps jusqu'au jour de son arrestation.

Il conclut à la responsabilité pleine et entière de Labat, sur le compte duquel ses chefs directs ont donné

les plus mauvais renseignements, mais ne s'oppose pas, pour écarter la peine de mort, qu'il soit fait application

des circonstances atténuantes. 

Le commandant Denès termine en invitant le conseil à prononcer contre le prévenu

la peine de l'interdiction de séjour. 

Ce réquisitoire fait une grande impression sur l'assistance ;

on attend avec impatience celle que pourra produire la plaidoirie de M. Rongé, commissaire de 3° classe. 

Avec beaucoup d'éloquence, le défenseur entreprend de battre en brèche l'échafaudage dressé 

par le commissaire-rapporteur. 

M. Rougé dit que Labat est un érotique, un crétin, un fou, mais pas un incendiaire. 

Le défenseur de Labat termine sa brillante plaidoirie à peu près en ces termes :

— Vous écarterez, messieurs, l'inculpation d'incendie contre mon client. 

— Il n'est pas possible que le doute que vous éprouvez ne lui profite pas !

— En prononçant contre Labat une condamnation mitigée

— Pour les attentats à la pudeur, qu'il ne nie pas, vous ne le rendrez pas à la liberté, mais, au moins,

     vous ne commettrez pas ce qui pourrait être une erreur judiciaire. 
—  J'ai confiance, messieurs, en votre clairvoyance et en votre justice.


Le commissaire du gouvernement maintient ses conclusions. 

Les débats sont clos à 6 h. 45. 

M. le commandant Pivet pose à l'accusé la question suivante : 
— Labat, levez-vous. Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ? 
L'accusé répond oui, d'une voix à peine perceptible et en courbant la tête, visiblement ému, pour la première fois, peut-être, depuis le commencement des débats. 


Le président.

— Qu'avez-vous à dire ?

Labat.

— Ce n'est pas moi qui aie mis le feu, c'est Coat. 

Le conseil se retire pour délibérer. 


LE VERDICT 


Labat est condamné à huit ans de travaux forcés, avec dégradation militaire,

et 13 ans d'interdiction de séjour. 


M. RENARD.

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