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Fenêtre sur le passé

1904

Grève des tramways à Brest

Source : Le Finistère Juillet 1904

Brest.

Nouvelle grève en perspective.

Les employés des tramways brestois ont décidé de se mettre en grève aujourd'hui, si la compagnie ne fait pas droit aux revendications suivantes :

1° augmentation de salaire pour les chauffeurs ;

2° augmentation de 50 centimes pour les hommes d'équipe de nuit ;

3° augmentation de 15 francs par mois pour les cantonniers ;

4° rétablissement de la prime d'économie aux ouvriers de l'usine ;

5° réintégration d'un ouvrier mécanicien.

Les grèves de Brest.

Troubles sanglants.

L'agitation ouvrière, qu'on croyait calmée, a repris à Brest, samedi et dimanche, avec plus de violence que jamais.

Les employés des tramways se sont mis en grève samedi matin, ainsi qu'ils en avaient manifesté l'intention.

La Compagnie fit sortir quelques voitures à la première heure, sous la protection de deux gendarmes

et d'un agent de police.

Des cris furent poussés par les grévistes au moment de la sortie des voitures ; les commissaires Mœrdès et Proust furent bousculés ; les gendarmes opérèrent deux arrestations qui n'ont pas été maintenues.

À sept heures, le service cessa brusquement, le trolley conducteur ayant été coupé en deux endroits par les grévistes.

Tous les aiguillages furent gardés par des soldats réquisitionnés.

Le lendemain matin, douze cents ouvriers du bâtiment se réunissaient à la salle de Venise et décidaient de se mettre en grève aujourd'hui mercredi, si les patrons ne supprimaient pas le marchandage et n'augmentaient pas les salaires.

À l'issue de la réunion, les manifestants se formèrent en cortège, renforcés par un grand nombre d'ouvriers du port.

Sur le pont de la Penfeld, vingt-deux gendarmes, commandés par le capitaine Minot, chargé d'assurer l'ordre, sont entourés et lapidés.

Les manifestants, après avoir terrassé le gendarme Enjourbault, lui passent une corde au cou

et parlent de le jeter à la mer.

Le gendarme Guiffernic, de Landornoau, qui vient au secours de son collègue, est enlevé

et menacé d'être précipité dans la Penfeld.

Les cavaliers, ayant à leur tête le maréchal des logis chef Furic, arrivent au galop,

pour dégager les deux gendarmes qui vont succomber.

Une grêle de cailloux s'abat sur eux.

Les cavaliers, pour ne pas succomber, mettent sabre au clair et se défendent à coups de plat de sabre.

II s'ensuit une véritable mêlée, au cours de laquelle quatre arrestations,

qui n'ont d'ailleurs pas été maintenues, sont opérées.

Les paisibles passants pris dans cette bagarre sont affolés et fuient de toutes parts.

Les manifestants, un moment décontenancés, se replient près de la Banque de France

et se consultent sur la route à prendre.

Ils gagnent la rue de Siam,

dont tous les magasins se ferment en hâte.

Les gendarmes suivent les émeutiers

qui se retournent contre eux et les criblent de pierres.

Les gendarmes, pour se soustraire aux coups se décident à faire une charge et à pousser les manifestants en avant.

Les cailloux continuent à pleuvoir sur eux ;

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les gendarmes à cheval, sous peine de succomber, se voient forcés de mettre sabre au clair,

tandis que les gendarmes à pied dégainent.

Trois artilleurs qui sont au milieu des manifestants sont réquisitionnés, pour prêter main forte mais les militaires

sont vivement enlevés et séparés de la foule.

Deux gendarmes sont désarmés, leurs épées-baïonnettes leur sont arrachées et brisées ;

deux soldats d'infanterie coloniale sont également désarmés ;

leurs épées-baïonnettes sont jetées dans les bouches d'égout ;

leurs épaulettes sont arrachées et prennent le même chemin.

Les femmes qui suivent les manifestants sont dans un état de surexcitation incroyable ; elles ont dans leurs tabliers des pierres qu'elles ne se contentent pas de passer aux hommes, mais qu'elles jettent contre les gendarmes.

Un gendarme blessé est conduit dans une pharmacie.

L'échauffourée continue près de la rue du Couédic ; les agents de la force publique sont de nouveau lapidés.

Le capitaine Minot, qui est le point de mire des émeutiers, est blessé à la tête par un énorme caillou ; le sang jaillit et coule sur son dolman*.

*Un dolman est un vêtement militaire.

Il était très porté au XIXᵉ siècle, notamment chez les officiers, les hussards et les chasseurs à cheval.

Cette veste ajustée à la taille est d'abord caractérisée par des manches étroites et pendantes.

Elle est agrémentée d'une grande variété d'ornements

Douze autres gendarmes sont également blessés assez sérieusement ; un sergent d'infanterie coloniale qui veut porter secours aux gendarmes a le nez fendu.

Les gendarmes repoussent les manifestants jusque dans la rue Monge, puis dans la rue Kléber et dans la rue Suffren.

M. Aubert, maire de Brest, qui a été prévenu, arrive en toute hâte.

Il s'avance vers les manifestants, les exhorte au calme en des termes paternels leur disant :

« Allez-vous-en ; vous ne reverrez plus les gendarmes ! »

Ses paroles, loin de calmer les émeutiers ne font que les exaspérer ; ils se répandent en injures

à l'adresse de la municipalité.

Le capitaine de gendarmerie Minot, le maréchal des logis chef Furic et onze gendarmes ont été grièvement blessés ; huit sont alités et ont été exemptés de service par le médecin major qui les a visités.

Le gendarme Enjourbault, en arrivant à la caserne de la rue de Portzmoguer, a été pris de vomissements de sang ;

le brigadier Guégan a reçu un coup de bouteille derrière la tête le gendarme à pied Branchoreau a été frappé

à coups de pied dans le bas-ventre.

En présence des graves événements du matin, le maire réquisitionna quatre cents hommes de troupe

pour parer à une nouvelle émeute qui aurait pu se produire dans la soirée.

Les casernes étant désertes, le commandant d'armes fit sonner la générale en ville afin de faire rentrer les soldats dans leurs casernes respectives.

À cinq heures, les dockers arrivent à la gare pour recevoir un drapeau noir qui leur était envoyé de Lyon ;

une compagnie du 2e colonial gardait la gare ; à cinq heures et demie, le citoyen Lauvernier,

secrétaire général du syndicat des dockers, arrive et proteste contre le déploiement des forces.

Le citoyen Lauvernier se répand, en outre, en injures contre les procédés de la municipalité.

L'adjoint au maire Le Trehuidic, pour calmer M. Lauvernier, lui demande de le laisser lui-même déployer le drapeau

s'il arrive, et de le remettre en personne au syndicat.

Le secrétaire général refuse et va prendre le drapeau qui est amené par le train.

Quand Lauvernier reparait, drapeau noir déployé, tous les dockers se découvrent, poussent des acclamations, puis le cortège, drapeau noir en tête, parcourt la ville jusqu'à huit heures, on chantant l'Internationale et la Carmagnole.

À six heures, des gendarmes et deux compagnies d'infanterie coloniale et du 19e avaient pris position sur le Champ-de-Bataille, pour intervenir en cas de troubles.

À sept heures, M. Litalien, adjoint-maire, les fit rentrer dans leurs casernes respectives.

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Cent gendarmes à pied et à cheval ont été réquisitionnés et sont arrivés lundi pour concourir au maintien de l'ordre jusqu'à la fin des grèves.

La compagnie des tramways a refusé de céder quoi que ce soit.

Dans la nuit, les fils du trolley des tramways ont été coupés en divers endroits.

La journée de lundi s'est passée sans incidents.

La grève générale du bâtiment est décidée pour aujourd'hui et la grève des allumeurs de gaz pour demain jeudi.

Les grèves de Brest.

À la suite de l'émeute de dimanche dans laquelle treize gendarmes furent blessés,

l'amiral Mallarmé préfet maritime gouverneur de Brest, a adressé, par un ordre du jour, ses cordiales félicitations

au capitaine Minot et aux gendarmes commandés de service le 3 juillet pour le sang-froid et l'énergie

dont ils ont fait preuve dans l'exécution de leur mission :

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Des grévistes employés des tramways avaient organisé une réunion publique mardi soir.

Trois mille personnes y assistaient.

Des discours d'une extrême violence ont été prononcés

.

À la sortie, un cortège de quinze cents individus a parcouru les rues en chantant l’Internationale,

la Carmagnole et l'Hymne à l'anarchie.

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Devant l'Hôtel de ville, une manifestation hostile s'est produite contre la municipalité socialiste,

qui a fait appeler la troupe.

 

Un millier de révolutionnaires sont venus place du Champ-de-Bataille pour donner assaut à la Dépêche de Brest ;

mais deux compagnies d'infanterie sont arrivées et ont barré la route aux manifestants, qui ont,

pendant près d'une demi-heure, poussé des cris de mort.

Un fort groupe s'est ensuite rendu à Kérinou pour assaillir l'usine des tramways ;

mais elle était gardée par une cinquantaine de soldats.

Le lendemain matin, les ouvriers plâtriers de sont mis en grève et ont parcouru les rues de Brest,

drapeau rouge en tête, en chantant l'Internationale.

Ils demandent la suppression du marchandage, la paie toutes les deux semaines, un minimum de salaire

de quatre francs en été comme en hiver, la journée de dix heures et la suppression du travail du dimanche.

Les ouvriers peintres se sont également mis en grève.

Dans l'après-midi de jeudi, un cortège de grévistes rencontra, près des Petites-Rampes, deux jeunes filles à bicyclette.

Trois hommes se détachèrent du groupe, firent tomber les cyclistes et lancèrent les machines contre le mur en criant : « En arrière les bourgeois ! Vous passerez après nous. »

Les employés de tramways ont cassé les vitres de l'usine à coups de pierres, ainsi que les lanternes à gaz

de la route de Kérinou.

Les fils des trolleys ont été coupés en de nombreux endroits.

Malgré la demande du sous-préfet, le maire de Brest a refusé, jeudi soir, de prendre les mesures d'ordre et n'a accepté que la moitié des réquisitions faites par le sous-préfet pour hier vendredi, jour où le tribunal correctionnel

avait à statuer sur le cas de certains émeutiers.

Par contre, le comité général de la grève a fait appel aux grévistes, les invitant à se réunir, le soir,

sur le Champ-de-Bataille, pour répondre comme il conviendrait, suivant les circonstances,

aux représentants de la justice bourgeoise.

Le vice-amiral Mallarmé, préfet maritime, vient de rappeler à tous les chefs de service

les termes de l'article 168 du décret du 4 octobre 1891, enjoignant à tout militaire en uniforme de prêter spontanément main forte, même au péril de sa vie, à la gendarmerie et aux autres agents de l'autorité.

Le commandant en chef prie les chefs de service de donner des instructions au personnel placé sous leurs ordres

pour que les prescriptions de cet article ne soient pas perdues de vue.

La population commence à s'émouvoir fortement de toute cette agitation si préjudiciable aux intérêts de la ville, et, pour faire face aux émeutiers, on vient de créer une légion des volontaires de l'ordre

dont l'organisation repose sur les bases suivantes :

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Les entrepreneurs ont décidé de fermer pour un mois les ateliers et chantiers de Brest et des environs,

si la situation n'a pas changé à dater de demain.

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Faits & Bruits

Les troubles de Brest. 

Il était évident, pour toute personne qui a quelque notion du rapport de cause à effet, que les grèves de Brest devaient continuer comme elles ont continué.

À force d'entendre dire que le patron était l'ennemi, que le propriétaire est un voleur qui détient le bien commun,

que tous les moyens sont bons pour établir l'équilibre sociable, les ouvriers du port et ceux de la ville

ont fini par écouter ces doctrines, par les épouser, et, avec leur esprit simpliste et logique,

ils ont voulu mettre en pratique les leçons qu'on avait mis tant d'ardeur à leur inculquer.

Ils ont commencé par formuler des revendications, et, pour forcer par la terreur les patrons à les accepter,

ils se sont mis à piller et à saccager les boutiques, à tout dévaster sur les quais.

On les a laissés faire ; ils ont été convaincu s qu'ils étaient la force, qu'on avait peur d'eux, qu'ils pouvaient impunément menacer les autres citoyens, briser des vitres, enfoncer des devantures de magasins,

jeter à la mer des marchandises : ils ont continué.

Comme, à la fin, les pouvoirs publics se sont permis d'arrêter cinq des principaux meneurs, de les traduire

devant le tribunal correctionnel, et que ce tribunal les a condamnés pour faits de pillage,

le comité général de la Bourse du travail a jugé intolérable ce procédé ; il a enjoint à tous ses adhérents de protester par de nouvelles violences contre le jugement des magistrats.

Son appel a été entendu, et aux syndiqués est venue se joindre la tourbe des malfaiteurs qui vit dans les bas-fonds 

de la ville et qui a profité avec empressement de cette occasion de désordres et de rapines.

Résultat : Brest a été livré à une véritable guerre civile pendant toute la soirée de vendredi.

Déjà, à Lorient, l'année dernière, des émeutiers avaient envahi un tribunal.

Sous la pression, dit-on, du sous-préfet, le tribunal avait eu la faiblesse de modifier le jugement prononcé ;

puis l'amnistie était venue rendre sans effet les condamnations qu'on avait mitigées par la mise en liberté.

Un tel précédent était bien de nature à exciter les révolutionnaires brestois à user, eux aussi,

de procédés d'intimidation.

Mais l'appel lancé par leur Comité central avait enfin appelé la sérieuse attention du gouvernement,

et M. le préfet du Finistère avait reçu l'ordre de se rendre vendredi dernier sur les lieux.

De six heures et demie du soir à minuit, lui et le sous-préfet de Brest se sont exposés aux coups : il y en a eu.

On a lancé des tombereaux de pavés, des tessons de bouteilles sur les gendarmes et les soldats ;

on leur a tiré des coups de revolver.

On en est arrivé aux sommations.

Naturellement, la foule des manifestants, convaincue par ses expériences précédentes qu'elle n'avait rien à craindre et que gendarmes et soldats sont faits pour recevoir des coups sans en rendre, ne s'est pas dispersée

et a continué de plus belle.

Et les conseillers socialistes n'ont pas craint de venir protester auprès du préfet

contre les agissements de la force armée.

Des scènes violentes se sont produites et le préfet, conscient de son devoir, a déclaré aux protestataires

qu'il n'avait que faire de leurs observations, que, la municipalité de Brest étant convaincue d'une faiblesse coupable,

il se substituait à elle pour rétablir l'ordre.

D'où fureur chez les élus brestois se manifestant si violemment que le préfet a du menacer un conseiller

de le faire arrêter.

La conduite du préfet en cette occasion a été ce qu'elle devait être ; elle montre que ce représentant

du gouvernement n'aurait pas manqué d'agir depuis longtemps, si on lui avait laissé faculté de le faire.

Mais on a trop tardé et, à force de tergiversations,

on est arrivé à susciter les débordements les plus répréhensibles, à faire bafouer et rouer de coups les agents de l'autorité par les révolutionnaires, comme précédemment

ils avaient été bafoués, couverts d'ordures et frappés par des populations ameutées contre l'expulsion des congrégations.

Il est temps d'en finir, d'empêcher ces troubles

de se reproduire , si l'on ne veut pas que Brest devienne

une ville néfaste dont se détourneront voyageurs, commerçants et touristes, comme d'un lieu maudit,

si l'on ne veut pas que la patience échappe quelque jour

aux soldats et aux gendarmes, si l'on ne veut pas assister

à une autre catastrophe de Fourmies.

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Les grèves de Brest.

Troubles sanglants.

La soirée et la nuit de vendredi ont été ce que voulaient le comité de la Bourse du Travail et le syndicat du port lorsqu'ils lanceront leur appel en raison de la comparution devant le tribunal correctionnel de cinq boulangers

arrêtés pour sac et pillage de magasins.

M. Collignon, préfet du Finistère, était arrivé dans la matinée à Brest.

Il s'était rendu immédiatement à la sous-préfecture où il avait eu une longue entrevue avec M. Tourel, sous-préfet.

Une réunion secrète qui n'a pas duré moins d'une heure s'était tenue ensuite à la mairie.

Y assistaient : MM. Collignon ; Tourel, sous-préfet de Brest ; Aubert, maire ; Mœrdès, commissaire spécial ; Lefebvre, commissaire central par intérim.

À 1 heure, le préfet faisait afficher en ville la loi du 7 juin 1848 interdisant les attroupements.

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Les cinq boulangers grévistes, accusés de bris de clôture, comparaissaient dans l'après-midi,

devant le tribunal correctionnel qui les condamnait :

l'un à 3 mois de prison avec sursis, un autre à 6 mois, deux autres à 4 mois sans sursis.

Le cinquième était acquitté.

Six cents hommes de troupes et des gendarmes à cheval gardaient les abords du Palais de Justice.

Aucun incident ne s'est produit dans la journée ; mais le soir des troubles graves éclataient.

À 7 heures, 800 hommes de troupe et 150 gendarmes à cheval sortent de leurs casernes respectives

et prennent place sur différents points de la ville et de Recouvrance.

Les rues sont aussitôt barrées pour empêcher la réunion des dockers à la salle de Venise.

Pendant ce temps, la foule s'accumule au Champ-de-Bataille, et l'on pouvait y compter à 8 heures

plus de dix mille personnes.

Les gendarmes commencent alors à faire circuler la foule ;

mais les groupes se reforment à peine dissous et les gendarmes chargent.

Ils déblaient la place, plusieurs personnes roulent sous les pieds des chevaux ;

des coups de sifflet éclatent de toute part.

Le préfet et le sous-préfet arrivent à 8 h. 1/4; les rues sont barrées par des soldats,

et les gendarmes continuent à charger la foule dans les rues en bordure du Champ-de-Bataille.

Des cris, des huées se font entendre.

On conspue l'armée et de nombreuses arrestations sont opérées.

Les magasins sont tous fermés ; partout les habitants sont terrorisés ;

ils ne peuvent rentrer chez eux, les rues étant barrées.

De nouvelles charges sont encore faites dans les rues de Siam, de la Marine et du Château.

Un coup de feu est tiré des remparts de la rue Colbert

sur les gendarmes, sans heureusement les atteindre.

Les manifestants se reforment de tous côtés ; à 9 h. 1/2, l'on fait sortir deux autres compagnies de soldats.

Rue de Siam, des projectiles de toutes sortes, des pavés, des bouteilles s'abattent sur les gendarmes et les soldats ;

des charges sont exécutées ; mais les manifestants, cachés derrière les remparts, continuent à lancer des pierres sur la place de la Liberté.

De nombreuses personnes sont blessées.

Sabre au clair, les gendarmes chargent de nouveau.

Dans la rue de Siam et sur la place des Portes,

l'on tire des coups de révolver.

À l'angle de la rue de la Mairie et de la rue de Siam, où sont en permanence un peloton de gendarmes et une compagnie d'infanterie coloniale, des pierres pleuvent.

Le lieutenant-colonel d'Astafort et les journalistes

qui passent derrière les chevaux des gendarmes reçoivent des projectiles qui leur sont lancés d'une fenêtre.

Au même moment, deux coups de feu partent

de la même maison.

Le commandant de la troupe ordonne aux habitants de fermer leurs fenêtres.

M. Collignon, qui arrive à ce moment avec M. Mœrdès et M. Lefebvre, fait cerner la maison où une arrestation est opérée.

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Le préfet se tient à l'angle de la rue de la Mairie et de la rue de Siam, où se trouvent MM. Jacquot, substitut du procureur de la République, et Fenoux, juge d'instruction.

De nombreuses pierres viennent frapper M. Collignon et M. Fenoux, ainsi que les personnes qui les entourent.

Une d'elles est blessée à la main.

Un gendarme est atteint à la tête ; il est conduit au Bar américain

où un infirmier colonial lui donne les soins nécessaires.

Les pierres continuent à pleuvoir sur les gendarmes et les soldats.

Ordre est donné de faire évacuer cette partie de la rue de Siam.

Les gendarmes, qui exécutent l'ordre, sont assaillis à coups de pierres et de tessons de bouteilles.

Des coups de feu sont tirés contre les troupes.

Les manifestants sont poursuivis jusqu'aux avancées des Portes où un peloton de gendarmes

avec deux compagnies d'infanterie coloniale les cernent.

L'ordre semble à peu près rétabli sur ce point, lorsque les émeutiers recommencent une nouvelle attaque.

Un soldat du 2e colonial, Alphonse Hébert, est frappé d'une balle de revolver à la jambe gauche.

On transporte le blessé chez M. Pérou, buraliste, où M. Collignon lui fait donner les premiers soins.

 M. Collignon adresse ensuite la parole aux ouvriers qui se trouvent dans le bureau de tabac ;

il leur dit de méditer sur les scènes scandaleuses de ce soir qui déshonorent la ville de Brest ;

il dit que, parmi les ouvriers, il y a certainement beaucoup de braves gens qui ne peuvent être rendus responsables

de ces faits ; il termine en les exhortant au calme et les invite à rentrer chez eux au plus tôt.

Quelque temps après, le colonel d'Astafort faisait transporter le soldat blessé à l'hôpital maritime.

Au moment où M. Collignon sort de chez le buraliste, la municipalité l'aborde et lui demande une audience.

Il se produit alors une scène des plus violentes au milieu de la rue.

M. Goude, adjoint au maire, commis des constructions maritimes, dit au préfet qu'il a à se plaindre du capitaine Gâté, qui n'a pas voulu le laisser passer alors qu'il avait fait connaître sa qualité d'adjoint au maire.

M. Collignon répond qu'il a reçu l'ordre de prendra la direction du service, puisque la municipalité est incapable de faire maintenir l'ordre à Brest.

M. Litalien, adjoint au maire, professeur au lycée, s'adresse au préfet sur un ton si vif que le préfet le rappelle à l'ordre.

M. Havel, professeur au lycée, conseiller municipal, qui s'exprime en des termes violents, est menacé par le préfet d'être arrêté et mis au violon pour le reste de la nuit.

La discussion devient bruyante.

Tous les conseillers municipaux ont une attitude arrogante.

Le préfet, sans se laisser intimider, leur rappelle que M. Combes a dit à la délégation municipale,

lors de son voyage à Paris, que la municipalité socialiste était d'une incapacité notoire pour diriger la ville.

Auparavant, sur le Champ-de-Bataille, M. Collignon avait dit à trois conseillers municipaux que la situation

ne pouvait durer, que, coûte que coûte, il ferait maintenir l'ordre à Brest.

Les conseillers municipaux quittent le préfet.

Le maire, M, Aubert, lui serre la main ; mais, lorsque M. Litalien veut lui tendre la main,

M. Collignon se retourne brusquement.

Une altercation s'est également produite entre M. Mœrdès et M. Litalien.

M. Goude avait demandé une dernière fois au préfet de recevoir sa plainte contre le capitaine Gâté.

M. Collignon répondit qu'il n'acceptait pas de plainte verbale.

Pendant que cette altercation avait lieu entre le préfet et les membres de la municipalité, la rencontre continuait entre soldats, gendarmes et révolutionnaires.

Au croisement des rues Saint-Yves et Colbert, le caporal Vignolle, du 19e de ligne, reçoit un pavé lancé du haut

des remparts ; il tombe ; des ambulanciers le transportent au poste de secours de la mairie.

Vers onze heures du soir, les pierres pleuvent sans discontinuer sur la place des Portes où se trouvent massés les gendarmes à cheval et les soldats d'infanterie coloniale ; ces pierres sont lancées par les manifestants qui se trouvent sur les remparts dominant cette place et dans les jardins situés en face.

Les gendarmes à cheval, secondés par les soldats d'infanterie, s'avancent par les deux avenues donnant sur la place de la Liberté et, finalement, ramènent au poste de police une huitaine d'individus.

Il est minuit.

La bataille dure depuis sept heures et demie.

II faut en finir.

Le commissaire central Lefebvre fait déblayer la place des Portes par les agents de police et par la gendarmerie.

Dix arrestations sont opérées.

Il y a eu au total trente arrestations, parmi lesquelles celle d'une femme et du garçon boulanger Pennec

qui avait été condamné à quatre mois de prison dans l'après-midi.

Samedi matin, le préfet maritime prenait un ordre du jour enjoignant aux marins de l'escadre d'avoir à rejoindre

leur bord chaque soir à 8 heures jusqu'à nouvel ordre.

Trois escadrons de dragons sont arrivés de Nantes, ainsi qu'un bataillon du 19e d'infanterie,

en garnison à Landerneau, et le bataillon du 118e, en garnison à Morlaix.

Le maire de Brest a fait placarder une affiche invitant les citoyens à respecter l'ordre et répudiant l'action directe

sous toutes ses formes.

De son côté, le Cercle d'études sociales, qui est composé d'ouvriers du port, a fait appel, dans une affiche,

au bon sens et à la conscience des travailleurs, pour que le calme renaisse dans la ville.

Les syndicats devaient donner samedi soir au grand théâtre, sous les auspices de la municipalité socialiste, une représentation organisée au profit d'une œuvre qu'ils ont projeté de créer et qu'ils ont dénommée le Viaticum,

c'est-à-dire le secours à donner aux ouvriers syndiqués, sans travail, de passage à Brest.

La salle était déjà remplie de spectateurs lorsque les adjoints Vibert et Le Tréhuidic arrivèrent.

 

M. Vibert monta sur la scène et annonça au public que, par suite du manque d'artistes et des événements pénibles qui se déroulent actuellement, la représentation ne pouvait avoir lieu.

Le théâtre fut évacué sans incidents.

Le préfet est rentré à Quimper lundi matin.

Le mouvement gréviste diminue à Brest, plusieurs groupes d'ouvriers ont repris le travail.

Les grèves de Brest.

Les vingt-neuf manifestants, arrêtés dans la nuit du vendredi au samedi de la semaine dernière,

ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel.

Ils sont inculpés d'outrages, de voies de fait et de rébellion envers la force publique et la force armée,

et de refus de circuler.

La gendarmerie vient, d'autre part, à la suite de la grève des ouvriers plâtriers, de dresser des procès-verbaux

pour entrave à la liberté du travail contre onze ouvriers plâtriers qui ont, au Relecq-Kerhuon,

débauché par la force plusieurs de leurs collègues.

Les entrepreneurs de plâtrerie se sont réunis de nouveau hier vendredi, à la Bourse du Commerce,

pour examiner les revendications des ouvriers.

Des menaces d'incendie ayant été proférées contre l'usine de produits chimiques de l'Ouest, cette dernière continue à être surveillée par une compagnie du 2e régiment d'infanterie coloniale ou du 19e régiment d'infanterie de ligne.

Les gendarmes et les dragons effectuent, jour et nuit, de fréquentes rondes aux abords de cette usine.

Les ouvriers et employés de tramways continuent la grève.

Ils viennent fréquemment manifester devant l'usine génératrice de Kérinou, essayant de découvrir

ceux de leurs camarades qui ont continué de travailler.

En raison de l'état de trouble dans lequel se trouve la ville,

le préfet du Finistère a pris mercredi

un arrêté supprimant la retraite militaire aux flambeaux qui devait avoir lieu à l'occasion du 14 Juillet.

Les illuminations ont été décommandées.

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Le préfet et le sous-préfet sont restés toute la soirée sur le Champ-de-Bataille pour assurer le service d'ordre

en cas de troubles.

Les présidents du tribunal et de la Chambre de commerce et celui de l'Union des Syndicats commerciaux,

industriels et agricoles ont officiellement chargé M. Isnard, député, de solliciter du président du Conseil des ministres la croix de chevalier de la Légion d'honneur pour M. Tourel, le sous-préfet de Brest, à qui on doit d'avoir,

par son attitude habile et énergique, évité, au cours des derniers troubles, de grands malheurs.

Les grèves de Brest.

Les patrouilles et les troupes assurant le service d'ordre ont été harcelées continuellement,

dans la nuit de samedi à dimanche, par des individus les insultant, les lapidant, puis prenant la fuite.

Vers deux heures du matin, les gendarmes découvrirent 180 individus environ dans les fossés des fortifications.

Sommés de partir, ils résistèrent.

Une bataille s'engagea.

Le gendarme Duflos, de Châteauneuf, eut le poignet luxé.

D'autres gendarmes furent contusionnés.

22 arrestations ont été opérées, dont 6 ont été maintenues.

Vendredi, le tribunal correctionnel de Brest a jugé trois émeutiers, les nommés Prigent, Kermarec et Pilven, pour outrages et violences envers les agents de la force publique.

Il les a condamnés : Prigent à 13 mois de prison et 16 fr. d'amende ; Kermarec à 10 mois de prison et 10 fr. d'amende, et Pilven à 2 mois de prison et 100 fr. d'amende.

Lundi, le tribunal a jugé trois autres manifestants inculpés d'outrages et de rébellion aux agents de la force publique.

Ils ont été condamnés : le nommé Quéméneur à 3 mois de prison, les nommés Cren et Bourdoulous, chacun à 2 mois.

Une entrevue entre les administrateurs de la Compagnie des tramways

et les grévistes a été tenue lundi à la sous-préfecture.

Elle n'a pu aboutir, les administrateurs ne consentant pas au renvoi du chef de dépôt Thévenet

et du contrôleur Rohel, condition exigée par les grévistes pour la reprise du travail.

Les troubles de Brest.

Les grévistes des tramways et d'autres manifestants s'étaient rendus dimanche soir, vers 7 heures,

devant l'usine de Kérinou, chantant des airs révolutionnaires et poussant des cris divers.

Le commissaire de police de Lambézellec a fait faire trois sommations, puis a commandé a un peloton de dragons

et à deux sections de soldats coloniaux de charger.

Les manifestants ont alors lancé des pierres et autres projectiles sur les soldats et les dragons, en criant :

«À mort les fantassins ! À bas les dragons ! À bas les marsouins ! »

Plusieurs manifestants et même des femmes étaient armés de couteaux.

La jument du lieutenant de dragons Willemain a été atteinte d'un violent coup de couteau au fémur,  

les rênes du brigadier de dragons Le Nest ont été coupées.

Plusieurs dragons et gendarmes ont été contusionnés.

M. Tourel, sous-préfet de Brest, se rendit aussitôt sur les lieux.

Il réussit à rappeler les grévistes au calme.

Puis, dans une réunion tenue aussitôt, il décida les grévistes à l'envoi d'une dépêche aux directeurs de la Compagnie, les informant qu'ils étaient décidés à reprendre le travail.

Il semblait donc que tout était fini ; mais, après le départ du sous-préfet, un citoyen Demeule,

haranguant les grévistes rassemblés à la salle du Châtelet, leur reprocha de se laisser leurrer

par le représentant du gouvernement et les traita de lâches et de pleutres, s'ils consentaient à reprendre le travail.

Ces excitations portèrent-si bien que, pendant la nuit, trois poteaux servant à la transmission des courants électriques furent sciés et de ce fait la circulation des tramways fut retardée jusqu'à 4 heures du soir.

Le sous-préfet avait reçu de Paris dans l'après-midi une réponse favorable des directeurs

de l'administration des tramways.

En conséquence, il convoqua le directeur de la compagnie, les délègues des grévistes et le maire de Lambézellec à une entrevue qui eut lieu dans son cabinet.

Tout en regrettant que les grévistes, oublieux de leurs promesses, se fussent laissés entraîner

par un fauteur de désordre qui n'appartient pas à leur corporation,

il les a exhortés à reprendre le travail et leur a promis d'appuyer leurs revendications.

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Les délégués sont allés rendre compte de cette entrevue à leurs camarades réunis à la Bourse du Travail,

puis sont revenus apporter au sous-préfet l'engagement de reprendre le travail le lendemain matin.

Les grèves de Brest peuvent donc être considérées comme terminées pour le moment.

Brest

La fin des grèves.

Les grèves qui ont causé des troubles si profonds à Brest sont complètement terminées.

Les troupes réquisitionnées ont quitté la ville pour rejoindre leurs garnisons.

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