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Fenêtres sur le passé
1902
Le fort d'Ouessant par Ardouin-Dumazet
Source : Le Midi 26 février 1902
Qui voit Belle-Île,
Voit son île.
Qui voit Groix,
Voit sa joie.
Qui voit Ouessant,
Voit son sang.
Ainsi parle le proverbe breton au sujet des trois plus grandes terres insulaires de la vieille Armorique.
Il me revenait à la pensée, ces jours-ci, quand on annonçait le premier coup de pioche pour la création du réduit bétonné et armé de tourelles d'acier, qui doit rendre Ouessant inexpugnable.
Cette œuvre s'imposait depuis longtemps ; sans elle, malgré ses innombrables et puissantes défenses, Brest était exposé à une insulte.
Ouessant est la grande vigie qui surveille au loin les deux mers Océan et Manche.
Ses sémaphores peuvent signaler en une seconde l'apparition des escadres ennemies, dire leur force et leur direction, en permettant ainsi aux batteries de Brest, à celles du grand rivage, comme à celles du goulet, de se préparer à couler tout navire tentant de pénétrer dans le golfe merveilleux où s'abritent et se ravitaillent nos escadres.
Victor Eugène Ardouin-Dumazet
1919
Mais pour jouer ce rôle de sentinelle vigilante, Ouessant doit être protégée elle-même contre toute surprise, contre toute occupation.
Or, il n'y a là que de vieux ouvrages, incapables de résister à l'artillerie moderne.
Sous la protection de ses canons, une escadre peut faire débarquer des compagnies dans la baie de Lampaul ou dans la baie de Stiff.
L'envahisseur, maître de l’île, détruit les sémaphores, coupe les câbles, éteint ou rallume à son gré les feux de navigation.
Et désormais Brest ne sait plus rien de ce qui se passe en mer, la garnison des ouvrages de côtes est sans cesse sur le qui-vive, pouvant être attaquée à l'improviste de jour et de nuit.
Lorsque les événements de Fashoda se produisirent, révélant, l'incroyable abandon de notre littoral, la protection de l'île d'Ouessant fut une des premières choses auxquelles on songea.
Les batteries surannées furent réarmées et améliorées, des approvisionnements furent réunis sur cette terre étroite suffisant à peine à nourrir ses habitants par l'appoint de la pêche.
Une petite garnison alla occuper les bâtiments militaires depuis, longtemps abandonnés.
En même temps, le génie reprenait les plans oubliés d'un réduit central, œuvre des hommes de science et de prescience qui avaient fait entrer la défense d'Ouessant dans le plan général élaboré au lendemain de nos désastres.
Il fallut le remettre sur pied, le modifier en tenant compte des progrès de la balistique, des nouveaux explosifs et aussi des ressources nouvelles que le ciment et la métallurgie mettent à la disposition de la science.
Et voici les travaux enfin commencés ;
puissent-ils être conduits avec assez de hâte pour que toute surprise nouvelle soit désormais impossible !
Il faut que Brest soit en sécurité pour remplir son rôle d'abri et aussi son rôle offensif.
S'il importe que nul ne puisse venir menacer le goulet, il faut aussi que nulle terre insulaire française n'ait la honte de servir de base de renseignements à l'ennemi, ce qui arriverait si Ouessant était occupé.
Grâce à cette couverture en avant, nos escadres peuvent sortir sans être signalées et se porter au large pour accomplir la tâche qui leur serait dévolue.
Ouessant aurait été trop précieuse pour un envahisseur.
Malgré les difficultés d'accès, elle serait devenue une base d'opération contre nous, un magasin de ravitaillement, un hôpital pour les blessés.
Privés de cet appui, les flottes ennemies devraient éviter ces parages farouches, semés d'écueils terribles, où les îles nombreuses cependant, mais minuscules n'offrent aucun port et n'ont d'autres ressources que de pauvres troupeaux.
Nulle part, sinon à Sein, la mer n'est plus terrible et marâtre ;
aussi les Bretons ont-ils appelé Ouessant Funès Eussa, l'île de l'Épouvante.
Qui voit Ouessant,
Voit son sang !
Terre mélancolique pendant les beaux jours, avec ses petits champs de pommes de terre et de blé clos de murs en pierrailles, ses pâturages de landes où paissent des petits moutons à peine gros comme des caniches, ses trois arbres dans un creux abrité des vents marins, ses hameaux blancs semés sur les chemins, ses rivages aux lames, telle est Funès Eussa, si terrible en hiver quand l'île tremble sous l'assaut répété de l'Océan.
Elle était la sentinelle perdue, sans protection, destinée à périr sans profit et sans gloire, la voici armée de pied en cap comme un chevalier du vieux temps, pouvant tenir au large les adversaires les plus audacieux et les plus puissants.
Ce lambeau de terre enveloppé par la houle mérite donc que l'on parle de lui.
D'ailleurs, n'évoque- t-il pas le souvenir d'une de nos grandes actions maritimes, le combat naval d'Ouessant,
qui vit amener le pavillon britannique devant nos fleurs de lys triomphantes ?