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1902
Horrible crime à Plourin Ploudalmézeau
Un père décapite son enfant
La Dépêche de Brest - Mardi 11 Février 1902
HORRIBLE CRIME A PLOURIN
Un père qui décapite son enfant
Détails horribles
(Par dépêche de notre envoyé spécial)
Ploudalmézeau, 10 février.
Un crime épouvantable s'est déroulé dimanche dernier, dans la paisible commune de Plourin-Ploudalmézeau.
La nouvelle de ce drame a jeté une émotion bien compréhensible
dans le village de Plourin, où le criminel était bien connu.
Voici les renseignements que j'ai recueillis d'après une enquête
sur les lieux du crime et que je me réserve de compléter :
Le lieu du crime
C'est à la ferme de Kerganabren que s'est accompli l'horrible forfait.
Cette habitation, qui rapporte bon an mal an environ 400 francs
à son locataire, appartient à M. Jacob,
le maire de la commune de Plourin.
La ferme de Kerganabren est absolument isolée du restant du village,
de façon que le coupable a pu accomplir son crime sans que les cris de la jeune victime parviennent aux oreilles des habitants.
Dans cette, ferme, habite depuis longtemps déjà le ménage Jaffrès,
qui était entouré de l'estime et de la sympathie de tous.
Le coupable est un cultivateur âgé de 32 ans.
D'une conduite sobre, de rapports absolument affectueux
avec sa femme, et d'un caractère très doux, rien ne pouvait faire prévoir le tragique événement dont il est le triste héros.
Jaffrès a trois enfants, deux filles et un garçon.
C'est la dernière de ces filles, Marie, âgée de vingt mois,
qui a été victime de l'assassinat.
Ajoutons que Mme Jaffrès va bientôt mettre au monde
un quatrième enfant.
A coups de faucille
Dimanche dernier, entre 3 h. 1/2 et quatre heures, Mme Jaffrès quitta, avec ses enfants, la ferme de Kerganabren, pour se rendre
chez sa belle-sœur, qui est également sur le point
de devenir mère à nouveau.
Le père était donc resté seul à la maison et gardait la jeune Marie,
qui était couchée dans son berceau.
Tout à coup, pris d'un accès de folie, sans doute, Jaffrès prit l'enfant de son berceau et la déposa sur ses genoux.
Il avisa ensuite une faucille qui se trouvait à ses côtés et se mit à en porter un coup, sec sur le cou de la malheureuse Marie.
La fureur du criminel redoubla et, en deux coups consécutifs,
il trancha définitivement la tête de l'enfant.
La justice est informée
Son crime accompli, Jaffrès redevint calme et laissa le cadavre
de son enfant sur le parquet.
On juge de la douleur et du désespoir de l'infortunée mère,
lors de son retour, devant le spectacle épouvantable
qui s'offrit à ses yeux.
Affolée, elle courut immédiatement prévenir M. Jacob,
maire de Plourin, et lui faire part de sa funèbre découverte.
M. Jacob avertit à son tour la gendarmerie de Ploudalmézeau,
qui se transporta sur les lieux du crime afin de faire
les constatations d'usage.
M. Jacob télégraphia aussitôt à M. Perrussel, procureur de la République à Brest, les événements lugubres qui venaient
de se passer dans sa commune.
Le parquet de Brest, composé de MM. Fenoux, remplaçant M. Guicheteau, juge d'instruction, Bonamy, juge suppléant, et assisté
du docteur Rousseau, s'est rendu hier matin, à dix heures,
dans la commune de Plourin.
Après les constatations d'usage, Jaffrès a subi un interrogatoire de MM. Féuoux et Bonamy.
Pendant toute la durée de cette formalité, le criminel est resté impassible, ne témoignant aucun regret de son horrible forfait.
L'autopsie du jeune cadavre a eu lieu, ensuite, dans la grange de la ferme.
M. le docteur Rousseau a déclaré que la section était très nette
et que la mort avait été instantanée.
Le coupable a assisté à l'examen de sa victime d'un air indifférent.
M. Bonamy, juge suppléant, a délivré un permis d'inhumer.
Les obsèques de la petite Marie Jaffrès ont eu lieu à cinq heures, au milieu d'un grand concours de personnes.
Jaffrès a été écroué à la prison de Ploudalmézeau, d'où il sera transféré, ce matin, au parquet de Brest.
Il sera ensuite soumis à un examen médical, car il est inconcevable que ce crime ait pour auteur un père possédant
toute sa lucidité d'esprit.
Comme nous l’avons dit, Jaffrès est Agé de 32 ans,
d'une taille moyenne et de physionomie insignifiante.
L'enquête à laquelle nous nous sommes livré donne de bons renseignements sur le coupable, qui est un excellent travailleur d'une conduite irréprochable.
Demain, nous publierons de nouveaux détails.
Les détails du crime
(D'un correspondant)
Plourin, le 10 février, 5 h. soir.
Dimanche dernier, vers une heure de l'après-midi, Mme Jaffrès,
après avoir couché sa fillette, Marie Yvonne âgée de vingt mois,
dans son berceau, quitta son domicile avec ses deux autres enfants, âgés de quatre et six ans, pour aller chez une de ses sœurs, accouchée de deux jumelles et habitant le village de Bivers.
A son retour, vers trois heures, Mme Jaffrès trouva son mari assis
sur un banc, près du foyer.
N'apercevant pas sa fillette Marie-Yvonne dans son berceau ni dans la maison, elle demanda où elle était.
Jaffrès lui répondit d'une voix calme:
— Je l'ai tuée !
Puis il se leva et montra à sa femme le cadavre de la fillette ensanglanté, étendu sur un autre banc, près de la table.
La mère, en proie au désespoir, se jeta en sanglotant sur le cadavre
de sa fillette, qu'elle dut emporter dans son tablier; mais,
dans son affolement, la malheureuse n'avait mis que la tête.
Elle parcourut le village en poussant des cris déchirants
et racontant le crime horrible que venait de commettre son mari.
Une voisine, Mme Bizien, ouvrit le tablier et aperçut seulement la tête du bébé.
A ce spectacle horrible, Mme Jaffrès tomba évanouie, pendant que l'on s'empressait autour d'elle.
Mme Bizien rapporta la tête de l'enfant au domicile de ses parents.
Voici comment le drame s'était accompli :
Jaffrès, entendant sa fillette pleurer, alla chercher une serpette
dans sa grange.
Il saisit alors l'enfant, la plaça sur sa cuisse gauche et,
avec la serpette, lui scia la tête, qui roula à terre.
Après s'être promené avec ces débris humains dans les bras, il plaça la victime sur un banc.
Jaffrès semble ne pas se rendre compte de l'acte qu'il a commis.
Il semble cependant, par instants, regretter cet acte barbare, mais ne peut en expliquer les motifs.
Les obsèques de la jeune victime ont eu lieu cet après-midi, au milieu d'une grande affluence.
François Jaffrès, âgé de 32 ans, est né à Guipronvel.
Il est marié depuis 1895 et exploite une petite ferme pour le compte
de M. Jacob, maire de Plourin.
Il jouissait, jusqu’ici, de l'estime générale.
Le coupable sera transféré à Brest demain matin, de Ploudalmézeau,
à 11 h. 48.
Arrivée à Brest du meurtrier
L'assassin Jaffrès partira aujourd'hui de Ploudalmézeau,
à 11 h. 48 du matin, par le train du chemin de fer départemental.
Il arrivera à Brest à 1 h. 15 de l'après- midi.
Notre population est assez sage pour ne pas se livrer,
sur le passage d'un pareil criminel, à des manifestations inutiles.
Jaffrès, d'ailleurs, est peut-être irresponsable et la science aura,
sans doute, à se prononcer avant que la parole
ne soit donnée à la justice.
La Dépêche de Brest - Mercredi 12 Février 1902
LE DRAME DE PLOURIN
Détails nouveaux.
La scène du crime reconstituée.
Arrivée de Jaffrès à Brest, son transfert à la prison du Bouguen
Nous avons raconté, hier, dans tous ses détails, le crime horrible
qu'a commis un père de famille, Jaffrès, sur la personne
d'une de ses petites filles, Marie-Yvonne, âgée de 20 mois.
L'enquête à laquelle nous nous sommes livrés, dans la journée d'hier, nous permet de dire que la justice se trouve sans doute en face d'un déséquilibré, sur lequel on ne pourra peut être faire peser aucune responsabilité.
La maison du crime
Nous nous sommes rendus sur les lieux mêmes où s'est déroulé
le drame affreux.
La ferme de Kerganabren se trouve à environ une demi-heure
de marche de Plourin, au milieu d'un pâté d'habitations
couvertes en chaume.
Comme nous l'avons dit. la ferme de Kerganabren est louée à Jaffrès par M. Jacob, maire de Plourin.
Cette demeure, située en pleine campagne,
borde une route presque impraticable.
La ferme de Kerganabren est d'aspect modeste, sans étage,
couverte en chaume.
A gauche de l'entrée, se trouve une huche sur laquelle Jaffrès
a déposé la faucille, une fois son forfait accompli.
Dans l'appartement, quelques meubles épars, dont une table entourée de bancs en chêne.
Détails rétrospectifs
Mme Jaffrès, qui, comme nous l'avons mentionné, est sur le point d'être mère à nouveau, se ressent fortement de l'émotion
qu'elle a éprouvée.
Elle est alitée, en proie à un désespoir profond.
Jaffrès avait déjà manifesté, à plusieurs reprises, l'intention de tuer
ses enfants et de se pendre après.
Cependant, on n'aurait jamais pensé qu'il eût pu commettre
un acte aussi horrible.
Jaffrès avait été atteint, il y a deux mois, d'une fièvre cérébrale.
Depuis, il ne jouissait plus de ses facultés mentales.
Il ne faisait que déraisonner continuellement, et ses proches parents s'étaient vus dans l'obligation de le garder jour et nuit.
Dans ces derniers temps, la maladie cérébrale semblant disparaître peu à peu, la surveillance que l'on avait assurée
autour de lui s'était relâchée.
C'est ainsi que Mme Jaffrès avait, en toute confiance, laissé son mari seul avec son enfant dans la journée de dimanche, pour aller voir sa sœur, qui venait d'accoucher.
On sait que Jaffrès profila de cet instant de liberté pour commettre
son crime abominable.
Quand Mme Jaffrès fut de retour du village de Drenevès, où habite sa sœur, vers quatre heures, on juge de la douleur qui la saisit à la vue
du terrible spectacle.
Elle saisit la tête coupée de son enfant, la mit dans son tablier
et s'enfuit eu criant :
« Au secours ! »
Le juge de paix du canton, immédiatement prévenu,
avertit la gendarmerie de Ploudalmézeau,
ui se transporta sur les lieux.
La jeune victime était complètement habillée.
De larges taches de sang étaient répandues sur ses vêtements.
Dès que le parquet de Brest arriva sur les lieux du crime,
Jaffrès subit un interrogatoire de MM. Bonamy et Fenoux.
Le coupable a reconstitué la scène du crime avec un sang froid extraordinaire.
Il a raconté qu'entendant les cris de l'enfant, il était allé dans le grenier
chercher la faucille avec laquelle il allait décapiter sa fille.
Il a ajouté, d'un ton indifférent, après avoir passé des aveux complets :
« Puisque c'est fait, tant pis ! Que voulez-vous ? »
Interview de M. Jacob, maire de Plourin
Nous avons pu joindre M. Jacob, maire de Plourin,
qui nous a fait les déclarations suivantes :
« Jaffrès, nous dit il, était un bon travailleur, ne buvant jamais ».
Le crime ne peut, par conséquent, être mis sur le compte de l'ivresse.
Depuis le commencement de l’année 1895, époque
où Jaffrès est venu habiter Plourin, il paraissait toujours excessivement énervé, surtout dans certains moments, sans cause apparente.
Voici comment Jaffrès, devant nous, a reconstitué le drame :
Il s'est servi de son bonnet pour simuler la scène du crime.
Il a roulé ce bonnet, pris une extrémité représentant la tête de l'enfant dans la main droite et, de l'autre main restée libre, il fit le simulacre
de scier le cou de la jeune Marie avec la faucille.
La tête a, par conséquent, été sciée et non tranchée.
La petite Marie venait de manger.
Des voisins, que nous avons également interrogés, nous ont fait
des déclarations analogues, disant que Jaffrès avait depuis longtemps l'idée fixe d'en finir avec la vie.
Le coupable était plutôt d'un caractère très doux et la surprise
fut générale parmi les habitants de Plourin
quand ils apprirent la fatale nouvelle.
Nous avons vu Mme Bizien, qui fit la rencontre de Mme Jaffrès, absolument affolée et tenant dans son tablier la tête de son enfant, alors qu'elle croyait avoir le corps en entier.
C'est Mme Bizien qui reconduisit la malheureuse mère à son domicile et qui dut lui prodiguer les premiers soins, car son état inspirait la pitié.
Tout le monde s'accorde à dire que Jaffrès aimait beaucoup les siens, malgré les menaces que nous avons relatées plus haut.
Le frère du coupable, M. Guillaume Jaffrès, âgé de 36 ans, cultivateur à Quinquis, en Guipronvel, est venu le voir hier, à sa sortie de la prison de Ploudalmézeau.
Inhumation de la victime
L'inhumation de la victime a eu lieu hier matin, à onze heures,
au cimetière de Plourin, au milieu d'un grand concours de personnes, parmi lesquelles M. Jacob, maire de Plourin.
La tombe de la petite Jaffrès se trouve au fond du cimetière,
derrière l'église.
Comme on le pense, les commentaires vont leur train, mais l'impression générale attribue à un accès de folie cet acte barbare.
Le meurtrier amené de Ploudalmézeau à Brest
Le meurtrier, accompagné de deux gendarmes de Ploudalmézeau,
est monté, hier matin, dans le train qui part de Ploudalmézeau
à 11 h. 48.
Jaffrès était vêtu d'un paletot et d'un gilet en drap noir usé, d'un pantalon en coton bleu et chaussé de gros sabots.
Il était coiffé d'un béret.
Le visage du meurtrier est très maigre et d'un aspect insignifiant ;
Jaffrès porte de longs cheveux.
Le front est étroit et le nez très fort.
Jaffrès, durant tout le parcours, est resté les menottes aux mains,
conservant une attitude impassible.
Un des gendarmes portait, enveloppée dans un journal,
la faucille qui servit à consommer le forfait.
C'est une faucille ordinaire, comme celles dont se servent
les villageoispour moissonner leurs blés.
Cet engin a été porté, hier, à 3 h. 1/4 de l'après-midi, au greffe du tribunal civil de Brest, par deux gendarmes de Ploudalmézeau.
A partir de Ploudalmézeau, de multiples personnes étaient accourues
sur tout le parcours du train et principalement aux stations.
Mais les stores du wagon de tête, dans lequel se trouvait le coupable, étaient baissés, de sorte que les nombreux curieux en ont été
pour leur dérangement.
Descente de Jaffrès à Lambézellec
Il était à prévoir que le parquet ne laisserait pas descendre Jaffrès
à la gare de Brest, où des manifestations hostiles
pouvaient se produire.
Ordre fut donc donné à la gendarmerie de Ploudalmézeau
de faire descendre l'inculpé à la station de Lambézellec,
où aucun incident ne s'est produit, malgré une foule nombreuse
qui attendait impatiemment l'arrivée du train.
Le meurtrier écroué au Bouguen
Jaffrès a été conduit aussitôt à la maison d'arrêt du Bouguen, où ont eu lieu les formalités d'écrou.
Devant la petite Gare départementale
Environ un millier de personnes s'étaient rendues devant la petite gare départementale, dans l'espoir d'apercevoir le criminel.
Les photographes étaient en grand nombre, et c'était à qui prendrait
des instantanés au passage du train.
On juge du désappointement des curieux quand ils ne virent pas descendre le coupable.
Sur le quai de la gare se trouvaient quelques notabilités,
parmi lesquelles M. Moërdès, commissaire spécial.
Le service d'ordre était assuré par une brigade de gendarmerie
et quelques agents de police et de sûreté.
Quelques notes biographiques *
François Jaffrès est âgé de 33 ans.
Il est né à Guipronvel le 13 mars 1869.
Comme nous l'avons dit, hier, son mariage, d'où naquirent trois enfants, remonte à l'année 1895.
Le meurtrier a tiré au sort à Plabennec.
Il est soldat réserviste de la classe 1889, et affecté dans l'infanterie.
Mme Jaffrès est âgée de 29 ans.
Ajoutons, pour terminer, que Jaffrès sera soumis,
bientôt à l’examen d’un médecin aliéniste.
La Dépêche de Brest - Jeudi 13 Février 1902
LE DRAME DE PLOURIN
Détails nouveaux.
Le meurtrier au parquet.
Examen du médecin-légiste.
A la maison d'arrêt
Jaffrès a passé de la meilleure façon sa première nuit au Bouguen.
Il n'a perdu ni son sommeil, ni son appétit, et conserve une attitude très calme et un mutisme complet.
Tout à coup, il regarde fixement ses gardiens d'un air égaré, puis baisse lentement es yeux, semblant se plonger
dans une profonde rêverie.
Le coupable n'a manifesté jusqu'ici aucune émotion, ni aucun regret.
Au parquet
La voiture cellulaire a conduit Jaffrès au parquet hier matin, vers dix heures, pour être traduit devant M. Fenoux, juge d'instruction.
Le meurtrier a été soumis, dans le cabinet du juge d'instruction,
à un examen médical de M. Anner, médecin légiste.
Nous avons pu rejoindre, dans la journée, M. Anner,
qui nous a fait les déclarations suivantes :
Je ne ne puis me prononcer, nous a-t-il dit, sur l'état mental
de l'accusé.
Est-il réellement fou? Ou simule-t-il la folie ? That is the question.
Jaffrès sera soumis, pendant un certain temps, à des examens médicaux sérieux.
Tantôt nous le mènerons au parquet et l'interrogerons au hasard,
sans époque régulière.
Vous comprenez qu'un meurtrier de cette espèce mérite d'être soumis à des examens très sérieux et répétés.
Nous allons faire une enquête dans le but de rechercher l'atavisme du coupable.
Mais, je vous le répète, je ne puis vous donner une impression quelconque, car nous ne serons sans doute fixés
que dans plusieurs mois.
Le docteur Rousseau, qui accompagna, comme l'on sait, le parquet
dans la commune de Plourin et qui fit l'autopsie du cadavre
de la petite Marie-Yvonne, déposera son rapport au parquet
dans la journée.
Jaffrès sera assisté, durant l'instruction, d'un conseil,
qui est Me Fortin, avocat au barreau de Brest.
Le meurtrier a passé la journée d'hier au violon du palais de justice
et a été reconduit à la maison d'arrêt dans la soirée.
Les monomaniaques
On a vu, plus haut, que le cas de Jaffrès était tout au moins douteux.
Pour le moment, la science hésite.
Il importe de se défier, en effet, de ce paradoxe, émis dernièrement encore à propos du crime de Corancez*. et qui consiste à ne voir dans les pires criminels que des fous irresponsables.
A propos du crime de Corancez*, la Chronique médicale réédite justement ces jours-ci une thèse étrange du docteur médée Bertrand, qui avait voulu faire bénéficier Troppman* lui-même des doctrines de Césare Lombroso.
Pour ce praticien, Troppman* était un monomaniaque.
Dès l'enfance, il était « taciturne, morose, peu communicatif ».
Plus tard, sous l'influence qu'un travail absorbant et continu
— il s'adonnait beaucoup à la mécanique
— il se trouve « dans un état de tension cérébrale et de lourdeur
de tête continuelles ».
Il devient inventeur, et dès lors n'a plus que l'idée fixe d'un but à atteindre ; il en parle à tous ceux qui l'entourent.
Il est aliéné, mais aliéné raisonnant.
La folie lui a suggéré l'idée du crime, lui a permis de le combiner et de l'exécuter de la manière qu'il l'avait conçu. »
Il lui faut de l'argent pour réaliser l'invention qui doit améliorer
le sort des classes pauvres, faire le bonheur de l'humanité.
C'est alors qu'il songe à son compatriote Jean Kinck,
auquel il fait part de ses rêves d'avenir.
Mais, après l'avoir mis dans son secret, il redoute qu'il ne l'exploite
à son seul profit, et alors germe dans son cerveau le projet homicide.
Il subit, dès ce moment, l'obsession du crime et, sous l'influence de cette obsession, il empoisonne Jean Kinck.
Le docteur Bertrand explique un peu plus malaisément pourquoi,
après s'être débarrassé de Jean Kinck, Troppmann* en arrive
à détruire tous les membres de la famille,
jusqu'aux pauvres petits innocents.
Mais son argumentation, lancée en plein champ de fantaisie,
ne s'arrête pas en si beau chemin.
Notre paradoxal confrère n'essaie-t-il pas de nous démontrer qu'à partir du moment où Troppmann* arrive au Havre,
il commence à entrer dans une période de guérison ?
Ici nous devons citer in extenso pour ne pas être accusé d'avoir travesti les textes :
Les meilleurs modes de traitement pour la folie, de l'avis de tous les aliénistes, sont, par ordre d'efficacité :
1- L'hydrothérapie ;
2- les purgatifs salins;
3- une violente émotion;
4- l'isolement;
5- l'influence morale des bons conseils.
Or, chose extraordinairement remarquable, Troppman se trouve, tout a coup et malgré lui, soumis à ces diverses actions curatives.
Au Havre, poursuivi par le gendarme Ferrand, après une course désespérée, il se précipite tout en sueur dans la mer.
L'eau étant glacée, l'assassin était dans les meilleures conditions physiologiques pour que son immersion brusque et soudaine pût immédiatement imprimer une forte secousse à son organisme.
En effet, il avait très chaud ; la course à laquelle il s'était livré
avait activé d'une façon considérable sa circulation ;
le bain glacé ne pouvait que lui être salutaire.
Cette immersion a été longue et son action a été d'autant plus sédative, que dans l'eau Troppmann s'est livré à un violent exercice pour échapper à l'agent de l'autorité.
Pendant que l'assassin cherchait à se noyer, il a avalé une grande quantité d'eau de mer.
Il est facile de s'apercevoir que cette eau est fortement chargée
de principes salins purgatifs.
En outre, Troppmann*, nous assure-t-on, a été traité par des vomitifs à l'hôpital du Havre, où on l'a transporté.
L'effet de cette seconde action curative est donc indiscutable.
De plus, quelle n'a pas été son émotion en se voyant reconnu par le gendarme Ferrand !
Quel coup de foudre pour lui !...
Je crois superflu d'insister sur son isolement forcé...
Il est aussi inutile de rappeler que les exhortations sages et raisonnables ne lui ont pas fait défaut...
D'où il résulte que Troppmann* céda à une impulsion de monomanie raisonnante lorsqu'il commit son crime, et que, par un concours de circonstances « vraiment extraordinaires », il fut soumis,
après l'accomplissement de son forfait, à l'action combinée
d'agents curatifs, qui ne purent amener qu'une guérison incomplète,
« parce qu'on ne laissa pas le temps à cette thérapeutique
d'un nouveau genre de réaliser son plein effet. »
D'après le docteur Bertrand, Troppmann* n'était qu'un fou, un monomaniaque.
La thèse a fait du chemin depuis trente ans, et il est à craindre que, dans quelque temps, il n'y ait plus de criminels.
Jaffrès est-il, lui aussi, un monomaniaque ?
C'est une question bien troublante, bien grave.
Et si le fermier de Plourin continue à se renfermer dans cette sorte d'hébétement qui offre de nombreux points de similitude avec l'attitude adoptée par Brière.
Le rôle du médecin légiste sera bien difficile comme bien lourde aussi sa responsabilité.
La Dépêche de Brest - Dimanche 16 Février 1902
LE DRAME DE PLOURIN
Aucun changement n'est survenu dans l'état mental
du meurtrier de Plourin-Ploudalmézeau.
Jaffrès montre toujours une altitude très calme, répétant,
comme au jour de son arrestation :
— Eh bien, quoi ! C'est fait ! Voilà tout !
Ainsi que nous l'avons dit à différentes reprises, la justice va suspendre momentanément son cours jusqu'à ce que le médecin légiste chargé d'examiner le coupable ait donné au parquet le résultat de ses travaux.
Décédé à Quimper
le 2 Décembre 1904
* Le crime de Corancez
Le Crime de Corancez - nuit du 21 au 22 avril 1901
Édouard Brierre, un encore jeune veuf, laisse sortir sa fille aînée qui tient la maison.
Il reste avec ses cinq autres enfants.
On les retrouvera tous assassinés et le père blessé !
Il racontera avoir été agressé par des malandrins mais la rumeur pense, elle, qu’il s’est débarrassé de sa quintuple charge familiale pour se remarier plus facilement.
Condamné à mort puis gracié, il mourra au bagne.
http://guillotine.cultureforum.net/t1995-edouard-brierre-briere-le-crime-de-corancez
* Affaire Troopmann
Jean-Baptiste Troppmann,
né à Brunstatt (Haut-Rhin)
le 5 octobre 1849
et guillotiné à Paris, le 19 janvier 1870,
est un ouvrier mécanicien,
jugé coupable du meurtre
des huit membres d’une même famille.
Ce crime est également connu sous le nom de « massacre de Pantin ».
Cette affaire criminelle est l'une des plus médiatiques du Second Empire.
Elle fit la fortune du Petit Journal qui, flairant le bon coup et tenant en haleine ses nombreux lecteurs,
tripla régulièrement son tirage,
ce qui développa la couverture de presse des faits divers et des exécutions
par les journaux populaires.