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Fenêtres sur le passé
1900
Dévouement d'une sage-femme à Molène
Source : La sage -femme : organe officiel du syndicat des Sages-femmes de France – 5 mars 1900
Pour une fois, un bon point à la « Médecine Moderne », et ma plus grande reconnaissance à M. Duhoc,
pour lui avoir donné l'occasion de signaler un des actes de dévouement, dont sont coutumières les sages-femmes
en général, en France, comme à l'étranger, et qui restent trop souvent ignorés.
J'ai le regret d'ignorer le nom de la collègue qui fait le sujet de cet article ;
si l'une de nos lectrices pouvait me le faire connaître, je lui serai très reconnaissante. (voir en fin d'article)
J'accorde le bon point d'autant plus volontiers qu'il m'est arrivé, plusieurs fois, de protester contre la façon de voir
de certains écrivains de la « Médecine Moderne » au point de vue féminisme, et au point de vue du peu de courtoisie que ces messieurs témoignent à notre corporation.
— Je possède dans mes dossiers quelques articles découpés dans le journal en question que je me propose de publier et de discuter, car il y a lieu de le faire.
— Mais pour aujourd'hui, qu'il soit fait trêve à notre mécontentement.
À la suite de l'article que j'ai publié dernièrement sur les Œuvres de mer, un ami de ce journal, M. Duboc,
qui fait partie de la Société centrale des naufragés, a bien voulu m'adresser une lettre d'où je détache le passage
qu'on va lire ;
« Nous recevons d'une de nos stations, me dit mon excellent correspondant, un rapport très succinct
qui n'est point banal et qui pourrait peut-être trouver place dans la « Médecine Moderne ».
Canot Amiral Roussin - Molène
« Le 21 février, dans la nuit, une femme de l'île de Molène (entre Ouessant et la rade de Brest)
est prise des douleurs de l'enfantement.
L'accouchement est difficile, impossible même, au dire de la sage-femme, sans le secours du médecin,
l'enfant se présentant mal.
Que faire ?
Dehors la mer est furieuse, le vent souffle en tempête, l'île est entourée d'écueils contre lesquels le flot
se brise avec fracas.
Il y a péril de mort pour la mère, et pas de médecin dans l'île.
Pour en trouver un, il ne faut pas songer à utiliser un bateau ordinaire, il serait aussitôt en perdition.
On se décida alors d'armer le canot de sauvetage « Amiral Roussin ».
On y embarque la parturiente avec la sage-femme et deux amies.
Et au moment où le vent fait rage, à 1 heure du matin, tout ce monde s'enfonce dans la nuit redoutable pour tâcher
de joindre le Conquet, port le plus voisin du continent.
« Après mille dangers et mille secousses — et quelles secousses ! — le canot aborde heureusement vers 3 h. 1/2
du matin, et l'on sonne à la porte du docteur.
Résultat : la mère est délivrée mais l'enfant est mort. »
Si j'ai reproduit cette lettre, ce n'est pas seulement pour attirer votre attention sur l'Œuvre du sauvetage des naufragés, qui rend tant de services sur nos côtes.
J'ai voulu surtout signaler la conduite de la sage-femme, qui est en même temps une brave femme.
Affronter un péril dans l'existence de sa profession n'est rien.
Le médecin qui combat une épidémie ne songe guère que la maladie peut l'atteindre,
car son esprit s'est peu à peu cuirassé contre elle.
S'il est brave, c'est pour ainsi dire à son insu.
C'est pourquoi il ne viendrait jamais à aucun d'entre nous l'idée de tresser des couronnes au confrère
qui soigne des diphtériques, des cholériques ou typhiques.
On lui rend les honneurs, seulement s'il a eu la malchance de succomber au cours de sa tâche.
Jusque-là, on trouvait son action toute naturelle, et l'on avait raison.
Ici, le cas est un peu différent.
Braver la tempête au milieu de la nuit, confier sa vie à un canot qui va peut-être se briser au prochain écueil,
cela n'est point banal, comme dit mon correspondant, et la sage-femme qui a fait cela n'a pas froid aux yeux.
J'espère que vous serez de mon avis.
Les praticiens ont trop souvent à se plaindre des « accoucheuses », je le sais, mais ce n'est point une raison
pour éviter de rendre justice à l'une d'elles quand l'occasion se présente,
L'Académie de médecine dispose, je crois, de quelques médailles qui s'adressent plus particulièrement
à ces collaboratrices du médecin.
Je me permets de lui dénoncer la sage-femme de l’île de Molène.
Si elle pouvait lui réserver une petite récompense, si modeste fût-elle, il me semble qu'elle ferait une bonne action.
F. HELME.
P. S. — Je remercie également M. le docteur Helme, pour son mot aimable à l'adresse de notre collègue
et je lui serais reconnaissante s'il pouvait me faire parvenir le nom de la sage-femme qui a été si dévouée.
Mme Marie Bocquillet
*
**
Source : La sage -femme : organe officiel du syndicat des Sages-femmes de France - 5 avril 1900
J'ai communiqué à M. Duboc, qui m'avait fourni la matière de mon article, la lettre de M. de Cézilly.
Voici ce que M. Duboc m'a répondu :
« Je vous transmets la réponse que je viens de recevoir de Molène.
La sage-femme, me dit mon correspondant, s'appelle Kérambloch.
Âgée d'environ 50 ans, elle est venue ici du continent il y a près de deux ans.
Comment vit-elle ?
Je crois que le Conseil municipal lui fournit un petit traitement.
Elle a en plus ce qu'elle gagne avec son métier, ce qui ne doit pas être considérable.
L'existence de Madame Kérambloch doit-être bien précaire, car les habitants de cette île sont dans une misère noire.
Un détail vous en donnera une idée :
En 1866, pendant une épidémie de choléra qui enleva le tiers des habitants, il a fallu, pour faire des cercueils, déplancher le parquet de l'école communale.
On manquait de bois et d'argent pour en acheter.
Agréez, etc.. »
Je remercie M. de Cézilly de sa généreuse intervention, et j'espère que l'Académie n'oubliera pas non plus
la sage-femme de l'île de Molène.
À mon tour, au nom des Sages-Femmes de France, j'adresse de nouveaux remerciements au Dr Helme pour le plaisir
que m'a causé son article en faveur de notre Collègue ;
et je remercie également le Dr Cézilly pour sa généreuse intervention.
Je crois être votre interprète en lui écrivant une lettre personnelle, où je lui demanderai de vouloir bien nous continuer sa bienveillante sympathie.
Quant à notre collègue de l'île de Molène, je vais la porter à l'ordre du jour pour notre prochaine réunion,
où on lui votera sûrement des félicitations et où je demanderai l'autorisation d'écrire en sa faveur
à l'Académie de Médecine et à M. le Ministre de l'Intérieur, pour lui faire accorder une récompense.