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Fenêtres sur le passé

1900

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Le crime de Landéda

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Source : La Dépêche de Brest 4 novembre 1900

 

Cette affaire, qui est une nouvelle édition de ces drames sanglants de l'alcoolisme, si communs hélas

dans nos campagnes, pourrait s'intituler « une scène de famille entre gendre et beau-père »,

malheureusement, il y a une ombre au tableau et cette ombre est un cadavre !

 

L'accusé, Omnès (Yves), âgé de 68 ans, est un ancien loup de mer, qui a, depuis longtemps déjà,

échangé le rude métier de marin contre celui du paysan.

C'est un homme sec, haut, encore vigoureux, et dont la physionomie, au teint fouetté,

est empreinte d'un air de résignation et de bonhomie.

Il est assisté de Me Le Bail.

M. Bouëssel, procureur de la République, est chargé de soutenir l'accusation.

 

La principale pièce de conviction est un couteau droit, à manche de bois carré, et dont la lame se terminant en pointe n'a pas moins de seize centimètres de longueur.

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Au village du Petit-Cosquer, à 300 mètres du bourg de Landéda, vivait, avec sa femme et son fils,

le nommé Yves Omnès, retraité de la marine et cultivateur.

La fille, mariée en secondes noces au sieur Gourvennec, avait vécu quelques années au Petit-Cosquer, mais à la suite de fréquentes querelles, Omnès père avait chassé son gendre, qui était allé, avec sa femme, habiter un village voisin.

 

Le 2 juillet 1900, la femme Gourvennec, accompagnée de son père, allait à l'Aberwrac'h toucher, chez le syndic,

une somme de 48 francs, montant d'un trimestre de pension appartenant à son fils Le Gall (Pierre),

né de son premier mariage.

En revenant de l'Aberwrac'h, le père et la fille dépensèrent dans les cabarets l'argent qu'ils venaient de toucher.

 

De retour chez eux, ils venaient de se mettre à table, quand se présenta Gourvennec, venu dans l'espoir d'empêcher sa femme de partager la pension du petit Le Gall avec son père et son frère.

Il était un peu sous l'influence de la boisson.

Aussitôt, une violente discussion d'intérêts s'éleva entre le gendre et le beau-père.

Un voisin, le sieur Le Gendre, entendit Gourvennec réclamer l'argent du petit Le Gall.

​

Omnès père, son fils et sa fille, excités par la boisson, ne voulant pas rendre de compte, injurièrent Gourvennec, l'accusant d'être inutile et incapable de nourrir sa femme et ses enfants.

Omnès (Yves) chassa son gendre de chez lui,

le poussa dans le couloir, où, armé d’un couteau,

il lui porta un premier coup derrière l'oreille.

 

Gourvennec, aveuglé par le sang, repoussé par tous,

ouvrit la porte donnant derrière, sur le jardin, et chercha à gagner

la route par la barrière.

Il fut poursuivi par son beau-père.

Un témoin l'entendit crier : « Frappe si tu peux, mais ne tue pas ! »

 

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Quelques instants après, Omnès père frappait son gendre de plusieurs coups de couteau à la poitrine et disait,

en s'adressant à sa victime : « Lève-toi de là, maintenant ! »

 

La lame, effilée et longue de seize centimètres, avait traversé le poumon et le ventricule droit du cœur.

La mort fut rapide, presque immédiate.

L'accusé prétend avoir été l'objet de violences graves de la part de son gendre, mais ni la gendarmerie,

ni le médecin-légiste commis à cet effet n'ont constaté sur son corps aucune trace de coups ou de contusions.

 

Cet individu a déjà été condamné, par le tribunal correctionnel de Brest, deux fois, pour coups volontaires.

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Le président constate l'identité de l'accusé ; ce dernier répond par le salut militaire.

 

D. — Les renseignements recueillis sur votre compte sont déplorables.

Vous passez pour ivrogne.

R. — Ça c'est mon affaire.

D. — Vous êtes brutal et emporté.

Quand vous avez bu, vous cognez à tort et à travers.

R. — Je n'ai frappé personne.

​

Le président. — Nous verrons cela tout à l'heure.

​

D. — On a une triste opinion de vous dans le pays.

R. — Il y a des gens qui sont jaloux ; Gourvennec est jaloux de sa femme.

D. — Vous avez accusé votre fils de relations illicites.

R. — Oui, c'est le monde qui blague cela.

D. — Où habitiez-vous à Landéda?

R. — Chez moi.

D. — La maison était à vous?

R. — Oui. Vous voyez, j'étais pauvre étant jeune, et cependant, en travaillant,

j'ai ramassé des sous pour acheter une maison.

​

Le président fait la description de l'immeuble où s'est passée

la scène du meurtre.

 

D. — Vous viviez en mauvais termes avec votre gendre ? 

R. — Gourvennec était toujours saoul, il ne travaillait pas.

Il était impossible de vivre avec lui.

Quand je lui disais de s'en aller, il répondait :

 « Si je quitte la maison, je te tue ! »

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Une fois, comme j'étais couché, il m'a lancé des cailloux à travers les carreaux, jusque sur la g... (sic).

 

D. — Cependant, vous avez fini par le mettre à la porte ?

R. — J'y étais forcé.

D. — Quand le crime a été commis, il y avait déjà quelque temps que vous ne viviez plus ensemble ?

R. — Oui, depuis huit mois.

D. — C'est vous qui, chaque trimestre, touchiez la pension de 48 francs pour votre petit-fils Le Gall,

issu du premier mariage de votre fille ?

R. — Oui, moi seul avais le droit de toucher.

 

Le président. — Malheureusement.

 

D. — Le 8 juillet, après avoir touché cette pension, vous êtes allé boire dans divers cabarets ?

R. — J'ai bu seulement un verre de vin.

D. — Cependant, à onze heures, vous étiez sous l'influence de la boisson ?

R. — La boisson ne m'a jamais fait grand mal.

 

Le président. — Il paraît que si, puisqu'elle vous a conduit au crime.

​

D. — Arrivons à la scène où votre gendre a été trouvé mort.

II y avait là votre fils, votre femme, votre fille ?

R. — Personne que moi ; qu'on me coupe le cou, si je ne dis pas vrai.

D. — Gourvennec est arrivé et a demandé la part de pension

du petit Le Gall ?

R. — Non.

D. — Une discussion est survenue ;

vous avez mis votre gendre à la porte ;

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vous l'avez suivi dans le corridor, un couteau à la main et vous avez porté un premier coup derrière l’oreille gauche ;

il s’est sauvé dans le jardin et vous l’avez acculé contre une barrière ;

vous lui portez un second coup, d’une telle violence, que vous lui avez perforé le cœur et qu'il tombe mort

comme une masse.

R. — C'est lui qui m'a saisi à la gorge et m’a porté un coup de poing qui m'a cassé les dents.

À ce moment, j'avais un couteau à la main que j'avais pris pour aller couper des choux pour les bestiaux.

Je suis tombé sur mon dos, mais lui je ne sais pas comment il est tombé sur le couteau.

Quand il a été « dépiqué », il est parti de suite.

 

D. — Alors selon vous, il s’agirait d’un accident ?

R. — Je vous ai dit la vérité.

 

D. — Si, comme vous le dites, votre gendre vous avait frappé, vous auriez porté des traces.

Or, le médecin légiste n'en a pas trouvé.

 

R. — Gourvennec m'a frappé sur la tête, mais vous savez, monsieur le président, un Breton a la tête dure.

D. — Vous vous êtes vanté d’avoir commis le crime, et vous avez dit à plusieurs personnes que vous ne regrettiez pas votre gendre ?

R. — Ce n'est pas vrai.

D. — Votre système de défense est absolument démenti par le certificat du médecin et par les témoins

qui vous ont vu frapper.

R. — Si les témoins disent cela, c'est parce qu'ils mentent.

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Les témoins cités sont au nombre de 21.

Voici les dépositions qui offrent le plus d'intérêt :

 

— M. le docteur MAHÉO résume d'une façon très claire et très nette les constatations qu'il a faites.

 

Gourvennec, dit-il, portait, au-dessous du mamelon droit, une plaie pénétrante de 12 à 13 centimètres de profondeur.

L'instrument du meurtrier, qui mesure 16 centimètres de lame, a atteint le poumon, perforé le péricarde et pénétré dans l’oreille droite du cœur occasionnant ainsi une hémorragie, considérable qui a entraîné la mort.

 

Gourvennec portait également une blessure à l'oreille gauche.

 

— Il est ensuite donné lecture de la déposition de la veuve LE DREN, cabaretière à Landéda, appelée simplement

pour faire connaître qu'entre onze heures et midi, le jour du crime, le père Omnès, son fils François et la femme Gourvennec sont entrés dans son établissement et ont payé une partie de leurs dettes ;

ils n'étaient pas trop saouls, mais ils étaient bien influencés par la boisson.

​

— Hélène LE GUEN, commerçante qui a également reçu vers onze heures la visite de ces trois personnages, dépose dans le même sens.

 

— Le jeune François-Marie BESCOND, âgé de 8 ans déclare qu'en passant devant la maison Omnès, vers midi et demi, il a vu Omnès père frapper Gourvennec de trois coups de couteau.

Le fils Omnès se trouvait auprès de son père et disait à celui-ci

de ne pas renverser son beau-frère à terre.

La femme Gourvennec, qui était présente également,

disait aussi de ne pas frapper son mari.

 

L'enfant, qui se rendait à l'école, n’a vu rien de plus.

 

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— Un autre témoin, Marie KERLÉROUS, 64 ans, vient corroborer les précédents témoignages.

 

— Jean-Marie BESCOND et François BESCOND, père et grand-père du jeune Bescond, viennent répéter ce que l'enfant leur a dit en revenant de l'école.

Celui-ci aurait même déclaré que François Omnès aurait terrassé Gourvennec.

 

Sur interpellation : — L'enfant n’est pas menteur et certainement il n'a raconté que ce qu'il a vu.

 

— Yves FLOCH, écolier, âgé de 13 ans, a vu François Omnès devant le cadavre de Gourvennec ;

il faisait semblant de lui porter des coups de poing en jurant.

Il y avait là la femme Gourvennec, la femme Coat et sa fille, la femme Le Gendre et sa fille.

​

— Joseph LE GENDRE, 52 ans, du village de Mesglaz, fait connaître que quelques instants avant le crime, il a entendu, de sa grange,

une discussion entre Omnès père et son gendre, Gourvennec ;

à un moment donné, celui-ci a dit :

« Frappe si tu peux, mais ne tue pas ! »

Gourvennec devait être dehors.

 

Le témoin ajoute : — Je suis allé, comme les autres, voir ce qui s'était passé et, comme je lui demandais quel était le malheur qui venait d'arriver, Omnès père m'a répondu :

« Ce malheur, c'est moi qui l'ai commis ; il n'en faut accuser personne. »

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Omnès a ajouté que Gourvennec avait sauté deux ou dois fois sur lui, semblant vouloir l'étrangler,

et qu'il préférait être « boucher que veau » (sic).

 

— Marie-Anne APPRIOU, femme CHAPEL, cousine de la victime, dit qu'elle n'a point été surprise en apprenant

la nouvelle du crime, car elle avait été précédemment témoin de scènes violentes entre Omnès et son gendre.

Un jour, notamment, elle a vu Omnès frapper Gourvennec et essayer de l'étrangler en disant :

« Je ne serais pas longtemps pour te tuer, et ce ne serait pas trop tôt, puisque tu ne peux pas nourrir tes enfants ! »

 

À 6 h. 1/2, 14 témoins ont été entendus.

L'audience est suspendue pour être reprise à neuf heures.

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Source : La Dépêche de Brest 5 novembre 1900

 

L'audience est reprise à neuf heures du soir. 

Il  est procédé à l'audition des derniers témoins.

 

— Jeanne OMNÈS, femme Gourvennec, a eu, parait-il, au cours de l’information, une singulière attitude ;

elle aurait constamment menti et fait preuve d'une partialité évidente en-faveur de son père qui, pourtant,

a été le meurtrier de son mari.

Dans ces conditions il y a lieu de n'ajouter qu'un crédit très limité à son témoignage, qui se trouve, d'ailleurs,

en contradiction avec ceux des autres témoins, notamment celui de son frère François, qui, au début,

avait été impliqué dans la poursuite.

​

Il est bon, toutefois, de faire remarquer qu'il n'a pas du tout l'air intelligent et que c'est à grand peine

que M. le président lui arrache ses réponses, dont la plupart, au premier abord tout au moins,

consistent en monosyllabes.

 

Voici cependant ce que nous avons pu saisir.

 

« Le 2 juillet, j'ai dîné dans la maison de mon père avec celui-ci, ma mère, son frère François et mon parâtre. »

 

La femme Gourvennec. — Ce n'est pas vrai.

​

C’est ainsi qu'après avoir indiqué l’emploi de son temps dans la matinée du 2 juillet, elle soutient qu'ils ne sont pas entrés tous les trois ensemble chez son père et que c’est en y allant chercher ses enfants, vers midi et demi, qu'ayant fait le tour de la maison, qui était vide,

elle a aperçu, dans le petit sentier, près de la barrière, son mari étendu sur le dos, ne donnant plus signe de vie.

 

La femme Gourvennec ajoute qu'elle a perdu connaissance

à ce moment-là, et qu'aussitôt revenue à elle, elle s'est mise à crier.

 

Sur interpellation : — Je n'ai rencontré aucun enfant de l'école

de Landéda sur le chemin longeant la barrière.

 

Le témoin, qui ne paraît pas le moins du monde émotionné,

parle aussi des dissentiments qui existaient entre son père et son mari.

 

— Pierre LE GALL, 13 ans, enfant du premier lit de la femme Gourvennec, a, lui aussi, beaucoup varié dans ses déclarations.

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L'enfant fait signe que oui.

 

La femme Gourvennec réplique :

« Ce n'est pas vrai, cet enfant est presque idiot ;

il a été deux ans à l’hospice de Brest, et la supérieure m'a dit

qu'elle avait l'intention de l'envoyer à l’asile des aliénés à Quimper. »

 

L'enfant parle d'une dispute qui aurait eu lieu entre le père Omnès et son gendre, et déclare que celui-ci,

après avoir reçu du père Omnès deux coups de couteau, un dans le ventre, l'autre derrière l’oreille,

est allé tomber près de la barrière, devant laquelle se trouvaient, à ce moment, trois enfants de l’école :

Jean Marie Le Ven, Jean Le Duff et Yves Chapel.

 

— Anna BESCOND, femme GUÉGANTON, déclare :

Quelques instants après le meurtre, j'ai dit à Omnès :

« Eh ! bien je t'avais prévenu que tu ferais un malheur, tu vas aller en prison ! »

Omnès m'a répondu :

« J'ai préféré tuer que de me faire tuer ; sa femme m'avait d’ailleurs dit de le tuer, je l'ai fait et je ne le regrette pas. »

 

— François-Marie KERSÉBET, garde champêtre, fait connaître que, depuis la mort de son mari,

la femme Gourvennec continue à boire.

 

D'après le témoin, cette dernière aurait dit à qui voulait l'entendre qu'il lui était indifférent

que son père fût condamné, pourvu que son frère François fût acquitté.

​

D'autres font connaître que le père Omnès est très méchant quand il a bu et frapperait avec n'importe quel outil.

 

Enfin, il est appris en général que le père Omnès et son gendre vivaient comme chien et chat,

se disputant, se cognant à coups de poing, à coups de pied, à coups de bâton, à coups de houe.

 

Faut-il ajouter que deux ou trois témoins sont venus dire que François Omnès paraissait très affecté

de la mort de son beau-frère ?

Peut-être faut-il attribuer cet état à la crainte qu'il avait d'être impliqué dans l'affaire, ce qui n'a manqué, du reste.

 

Tout ceci est, d’ailleurs, confirmé par les déclarations de M. Geloux, maréchal des logis de gendarmerie à Lannilis, entendu également comme témoin.

 

À onze heures commence le réquisitoire.

​

— François OMNÈS, également cité comme témoin,

après avoir été poursuivi au début comme complice, se contenta de dire qu'il n'était pas là quand le crime s'est accompli et que la déclaration

du jeune Bescond, sur ce point, est une pure invention.

 

— Enfin, pour tout dire, certains témoins déclarent que la femme Gourvennec se conduisait mal, notamment avec son frère François.

 

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M. Bouëssel, procureur de la République, dans un vigoureux réquisitoire, s'attache à démontrer les charges

qui appuient l'accusation.

 

« La moralité de la famille Omnès vous a été dit-il, dépeinte d'une façon si complète que je crois inutile d'y revenir. »

 

L'honorable organe de l'accusation fait un tableau fidèle de cette famille adonnée à l'ivrognerie, buvant ensemble,

se battant et, l’ivresse une fois dissipée, retrouvant d'accord.

 

Gourvennec était l'étranger, celui qui était arrivé après coup, et contre lequel se ligua la famille tout entière.

 

Omnès cachait si peu son aversion pour son gendre qu’il déclarait, un jour, qu’il regrettait que son fils ne l’ait pas tué.

 

C’est dans ces sentiments agréables de famille, dit M. Bouëssel, que nous gagnons le 8 juillet.

​

Il s’est passé ce jour-là, une scène sur laquelle nous n’avons

que des détails incomplets.

Ce que nous savons, c'est qu'à un moment donné cette scène prend

une telle acuité qu’Omnès tue son gendre ;

et le meurtrier a si peu de pitié pour sa victime,

que devant son cadavre il s’écrie :

« Eh bien, lève-toi de là maintenant ! »

 

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Le fait matériel n’est pas niable : cependant, Omnès déclare, lui, que c’est un accident :

« Je ne suis pas le meurtrier » dit-il « C’est moi qui est reçu le premier coup, je n’ai fait que me défendre,

et Gourvennec s’est enferré sur la lame de mon couteau ! »

 

« Voilà ce que soutient Omnès. »

« Cette version peut-elle être admise ?»

 

L'honorable organe du ministère publie prend les témoignages les uns après les autres, il les analyse, les dissèque,

et n'a pas de peine à démontrer que le système de défense de l'accusé manque par sa base.

 

« D'ailleurs, fait remarquer M. Bouëssel, quand on porte un coup dans la poitrine d'un homme avec une arme pareille, peut-on dire qu’on n’a pas eu l'intention de le tuer ? »

​

cette querelle s’est envenimée, on en est passé aux coups, et au paroxysme de la fureur,

Omnès a menacé son gendre et l’a frappé en plein cœur avec cette arme terrible que vous connaissez. »

 

De tels actes doivent être punis sévèrement.

Vous connaissez l’âge de cet homme, vous verrez ce que vous avez à faire.

 

Accordez lui, si vous le jugez à propos, des circonstances atténuantes ;

quant à moi, je crois qu’il n'est pas possible de discuter de pareils faits, car tout ce qu’on pourrait imaginer

pour les combattre serait contraire aux témoignages entendus, à la science et au bon sens.

​

« Et que de contradictions, que de mensonges dans les déclarations

de l’accusé ! »

 

Arrivé à la fin de sa tâche, qu’il a accomplie avec une grande habilité, l’organe du ministère public se résume ainsi :

« Une querelle s’est élevée entre ces deux hommes

qui ne pouvaient s’entendre ;

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« Malgré la fatigue que vous devez ressentir à cette heure, je viens, dit Me Le Bail, vous prier de m'accorder quelques moments de bienveillante attention.

Je vais essayer de vous parler comme un collègue, si vous me permettez cette expression, comme à l'un des vôtres ;

je n'ai pas d'idée préconçue, pas de système arrêté, je me suis simplement embarqué avec vous pour faire

le même voyage et arriver au même but ;

je suis, en outre, ici pour accomplir la tâche sacrée de la défense. »

 

L'honorable défenseur dit qu'on a dépeint son client sous des couleurs bien noires ;

il faut laisser jaser les commères, qui ont créé une légende autour de ce procès ;

on a beaucoup exagéré, et Me Le Bail remet au point le rôle de chacun dans cette famille,

où le chef n'avait pas tous les torts.

 

Arrivant à ce qu'il appelle le duel avec l'accusation, le défenseur, avec son talent habituel, discute pied à pied

les charges relevées contre son client et s'applique à démontrer qu'elles changeront de consistance ;

il met les jurés en garde contre la fragilité du témoignage du jeune Bescond, qui s'est si souvent contredit ;

cet unique témoignage doit être supprimé.

​

Passant à un autre ordre de preuves, Me Le Bail dit que l'accusation, sentant trop faible l'appui d'un enfant, se réfugie sur l'épaule

du docteur Mahéo ; mais les déclarations de l'homme de l'art,

qui prétend que le meurtrier avait un complice, sont en contradiction avec celles du petit témoin qui est venu dire qu'Omnès était seul.

 

Le défenseur se demande après tout si la version rapportée

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par son client n'est pas admissible et si Gourvennec ne s'est pas réellement enferré lui-même.

De deux choses l'une : ou l'acte accompli a été un homicide involontaire, ou il a été un homicide accidentel ;

il est possible également que cet homme ait voulu se défendre.

 

« En résumé, dit Me Le Bail, il y a là une équivoque, une pénombre que je ne peux pas dissiper ;

je cherche la lumière, elle ne brille pas ;

je ne peux pas saluer la vérité, car je ne la vois pas.

J'avoue dans mon humilité que je n'ai pas non plus éclairci le débat, mais j'invoque le doute,

car la démonstration n'a pas été faite. »

 

« Cet homme, dit-il en terminant, a souffert.

Il a servi son pays pendant bien des années ;

il avait droit au repos, et c'est cet homme âgé de 68 ans que vous condamneriez à la réclusion !

Non, ce serait trop ;

on ne doit pas être inexorable alors qu'on a devant soi une lueur vacillante ;

allez, messieurs les jurés, délibérez, scrutez vos consciences.

Qu'elles soient éclairées ; j'ai confiance en vous. »

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Le jury ayant rapporté un verdict affirmatif, avec circonstances atténuantes,

Omnès est condamné à dix années de réclusion, sans interdiction de séjour.

 

Il est une heure du matin. 

La session est close.

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