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Fenêtres sur le passé
1898
L'incendie de Concarneau
Source : Le Finistère août 1898
L'incendie de Concarneau.
Triste année que celle-ci !
Elle restera marquée par des deuils de toute sorte dans la mémoire des Concarnois.
Après les sinistres en mer, après une ruineuse campagne de pêche,
Concarneau n'avait déjà pas l'aspect d'une ville gaie.
Que sera-ce maintenant, après le tragique événement qui vient d'atteindre au plus profond de leurs intérêts
toutes les classes de la population, industriels, ouvriers et marins !
En pleine campagne de pêche, trois des principales usines sont anéanties, ou du moins paralysées pour longtemps ; des centaines de travailleurs, hommes ou femmes, sont jetés sur le pavé ;
les pêcheurs voient disparaître l'espoir qu'ils avaient encore d'une meilleure fin de saison.
Et tout cela est l'œuvre d'une nuit !
C'est mercredi matin, vers une heure et demie,
que des passants aperçurent une lueur sortant des combles
de l'usine Billette de Villeroche ;
le feu venait d'éclater dans un dépôt assez considérable
de sciure de bois.
Comment ?
Sous l'influence de quelles causes ?
Bien des hypothèses ingénieuses ont été mises en circulation,
mais il est probable qu'on ne saura jamais à quoi s'en tenir là-dessus.
Une seule chose est certaine :
c'est que les origines du sinistre sont purement accidentelles
et que tout soupçon de malveillance doit être dès l'abord écarté.
À peine avait-on eu le temps de donner l'alarme, que le bâtiment atteint se transformait eu un vaste brasier.
Toutes les matières inflammables accumulées dans une usine de conserves
étaient autant d'auxiliaires naturels de l'incendie ;
aussi prit-il en un clin d'œil d'irréparables proportions.
Les secours arriveront cependant sans le moindre retard.
Trois pompes municipales furent bientôt en batterie ;
la pompe de la gare vint s'y joindre.
Elles durent reculer devant les tourbillons de flammes qui s'échappant par toutes les issues,
rendaient la position intenable aux sauveteurs.
On peut dire que toute la population de Concarneau était là.
Si le courage et le bon vouloir avaient suffi, nul doute que le fléau n'eut été promptement étouffé.
Mais que pouvait contre lui tout le courage humain ?
Il eût fallu, pour faire œuvre utile, un outillage
bien autrement puissant que celui dont on disposait.
L'usine Billette était située en plein quartier de la Croix,
au milieu d'un pâté de maisons que sillonnent des ruelles étroites, et dans le voisinage d'autres usines qui garnissent
tous les abords du quai de la Croix.
Aucun foyer d'incendie ne pouvait être plus dangereux.
On se demande encore comment les maisons de pêcheurs avoisinantes ont été épargnées.
L'usine Sevrain, la plus rapprochée de l'usine Billette, était naturellement la première menacée.
C'en était fait d'elle, si le vent, qui soufflait du Nord-Est,
n'avait subitement tourné au Sud- Est.
C'est aussi à cette circonstance heureuse que les maisons
du quai de la Croix durent leur salut.
Déjà les familles de pécheurs qui habitent
ce quartier déménageaient précipitamment ;
c'était pitié de voir ces humbles mobiliers s'entasser dans les rues, sur le quai, et jusqu'à l'intérieur de la chapelle de la Croix,
ouverte pour leur servir de refuge.
Que de scènes désolantes, que de tableaux lugubres dans l’horreur de cette nuit !
Malheureusement, le feu, arrêté de ce côté, se donnait carrière ailleurs.
À l'ouest de l'usine Billette, l'usine Lechat, puis l'usine Bourgeois, étaient envahies et flambaient à leur tour :
une nappe d'épaisse fumée se répandant sur la ville tout entière et jusqu'à plusieurs lieues en mer.
De toute la grande usine Lechat il ne resta bientôt debout
que l'atelier d'étêtage, préservé par miracle.
Une trentaine de fûts d'huile étaient déposés dans les caves
de l'établissement ; c'était un terrible aliment pour l'incendie.
Malgré l'approche du péril, quelques marins se précipitèrent,
et ces bras vigoureux eurent bientôt fait d'opérer
le transport des fûts dangereux.
Grâce à eux, une assez grande quantité de caisses de conserves
put aussi être mise en sûreté.
Pendant cinq mortelles heures se prolongea cette lutte inégale de toute une population contre le fléau victorieux.
Il ne s'apaisa que vers sept heures, après avoir consommé sur place son œuvre de destruction.
Heureux encore que cette œuvre ne se fût pas étendue au-delà !
De l'usine Bourgeois on avait craint un instant que l'incendie, continuant sa marche vers l'ouest, gagnât l'usine Lorentz
et les chantiers de bois de M. Bonduelle.
Dieu merci, on fut quitte pour la peur.
Dès le début du sinistre, un avis télégraphique avait été adressé
à la préfecture de Quimper.
En l'absence du préfet, M. Périgois, vice-président du Conseil
de préfecture, s'empressa de se rendre à Concarneau.
De concert avec les autorités locales, il s'occupa aussitôt
de prendre les mesures que paraissait comporter la situation.
Chantier Concarneau
Collection Le Merdy
Dans la matinée, trois torpilleurs de Lorient firent leur entrée dans le port.
Ayant aperçu du large la colonne de fumée qui s'élevait au-dessus de la ville, ils avaient forcé de vitesse.
Leurs équipages prirent place dans les rangs des sauveteurs et furent les bienvenus ;
car, après cette nuit de labeur et d'angoisse, on comprend que la fatigue commençait à gagner les plus vaillants.
Vers midi arrivèrent dans un fourgon spécial les pompes de Quimper,
avec un détachement de sapeurs-pompiers sous les ordres du capitaine Roy.
On n'eut pas besoin d'utiliser leurs services ;
car bientôt après le stationnaire le Caudan amenait de Lorient
une centaine de matelots et pompiers de la marine,
sous la conduite de trois officiers,
avec un matériel d'incendie des plus complets.
Toute chance d'extension de l'incendie semblait avoir disparu ; mais il s'agissait de veiller sur les usines incendiées,
où le feu avait encore des foyers nombreux, sans cesse en activité.
La soirée et la nuit se passent dans cette besogne de surveillance aux abords de l'usine Billette,
les officiers de marine font diriger les jets de leurs pompes sur les toits et les façades d'alentour,
dans la crainte d'un retour offensif du fléau.
Le spectacle, moins grandiose que la veille, n'en est que plus navrant ;
car on peut maintenant se rendre compte du caractère du désastre et de son étendue.
À l'intérieur de l'usine Bourgeois, par exemple, des montagnes de boites de conserves,
atteignant la hauteur des murs, brûlent lentement, avec d'intermittents éclats.
Parfois le glouglou de l'huile en ébullition se fait entendre ;
parfois une petite détonation sèche annonce qu'une boite fait explosion.
Rien à faire qu'à se croiser les bras : l'eau est impuissante, le sable manque.
Et cela durera ainsi jusqu'à épuisement de la provision d'huile qui alimente ces brasiers avec la même intensité
qu'une lampe et presque avec la même régularité.
Il nous reste à donner le bilan de l'incendie,
au point de vue matériel.
L'usine Billette, qui couvrait une série de quadrilatères irréguliers
de 4 à 5.000 mètres carrés, n'existe plus.
Elle ne conservait mercredi matin que des murs lézardés
et rongés par la flamme ;
il a fallu les abattre par mesure de sécurité.
D'énormes approvisionnements de marchandises existaient dans les magasins.
On affirme que le nombre des caisses brûlées n'est pas de moins de 17.000.
La semaine dernière, M. Billette avait reçu de son usine de Belle-Isle 1.200 caisses, assure-t-on.
La perte est garantie par des assurances jusqu'à concurrence de 589.000 fr. ;
mais tout fait craindre qu'elle s'élève à un chiffre bien supérieur.
En ce qui concerne la maison Lechat, le désastre est moindre.
Presque toutes les constructions sont détruites, il est vrai ;
mais M. Lechat a l'habitude de faire transporter dans ses dépôts de Nantes toute la marchandise fabriquée,
et il ne restait que 6.000 boites, provenant de la fabrication courante, dans l'immeuble incendié.
La perte approximative est évaluée à 300.000 fr.
Quant à l'usine Bourgeois, c'est un approvisionnement représentant deux années de travail
qui est anéanti d'un seul coup.
On ne peut chiffrer à moins de 300.000 fr. le préjudice qui en résulte,
sans parler du temps et de la peine qu'il faudra pour reconstituer ce stock disparu.
Pour compléter la liste des constructions incendiées, nous devons mentionner un petit bâtiment appartenant
à l’Hôtel des Voyageurs et servant d'annexe aux écuries, mais situé à une assez grande distance de l'hôtel.
Sur ce point, les dégâts ne dépassent pas quelques centaines de francs.
Au total, les pertes connues atteignent au moins 1.500.000 fr.
Quand le compte exact en sera fait, il est probable qu'elles ne resteront guère au-dessous de deux millions.
Mais qui se chargera d'évaluer les autres pertes, celles que vont subir inévitablement le personnel entretenu
par ces usines et les pêcheurs qui constituaient leur clientèle.
À elles trois, les usines sinistrées n'occupaient pas moins
de 277 personnes à titre régulier :
200 femmes, 57 ouvriers soudeurs, 20 manœuvres.
On calcule que leurs achats de sardines
s'élevaient à 650.000 par jour.
En supposant une pêche de 5.000 sardines par bateau,
c'est 130 bateaux et près de 800 hommes d'équipage
qui sont atteints par contrecoup.
Qu'on juge de l'effet dans une petite ville où tout le monde, directement ou indirectement,
tire de la pêche ses moyens d'existence !
Il faut dire, à l'éloge des industriels frappés,
qu'ils ont été les premiers à songer aux intérêts qui dépendent si étroitement des leurs.
Dès le jour du sinistre, MM. Billette et Lechat annonçaient publiquement l'intention de reprendre à bref délai
leur fabrication, soit en louant d'autres bâtiments, soit en faisant aménager ou même construire des hangars
pour remplacer les ateliers détruits.
Nous souhaitons vivement que ces généreux projets aboutissent et que le chômage prenne ainsi fin.
Immense et presque incalculable au point de vue matériel, la catastrophe n'a produit, par bonheur,
que peu d'accidents de personnes.
M. Pouria, coiffeur sur la place d'Armes, travaillait
chez le gérant de l'usine Sevrain à déménager des objets de literie par les fenêtres d'un 2e étage,
lorsque le pied lui manqua tout-à-coup ;
il vint s'abattre sur le pavé, la tête la première,
et fut relevé dans un pitoyable état.
L'examen des médecins faisait craindre tout d'abord
des lésions internes ;
mais des nouvelles plus rassurantes nous sont parvenues depuis.
M. Pouria est père de cinq jeunes enfants.
Un caporal-pompier, M. Pierre Poëzat, a été blessé au front par la chute d'une ardoise ;
une syncope s'en est suivie, avec abondante effusion de sang.
La blessure est superficielle et M. Poëzat sera rétabli en quelques jours.
C'est miracle que les accidents de ce genre n'aient pas été plus nombreux ;
car les sauveteurs ont donné l'assaut à l'incendie avec un entrain poussé parfois jusqu'à la témérité.
Les marins-pêcheurs formaient le gros de cette petite armée
de braves ; leur conduite a fait l'admiration générale.
On les a retrouvés là, tels qu'on les voit sur mer,
toujours prêts à se sacrifier sans hésitation pour le salut d'autrui.
Les sapeurs-pompiers, commandés par M. le lieutenant Le Tendre, se sont montrés à la hauteur de leur tâche,
ce qui n'est pas peu dire.
À côté d'eux, gendarmes, douaniers, commissaire et agents de police, employés et ouvriers d'usines,
ont rivalisé de dévouement.
Il n'y a qu'une voix pour rendre hommage à l'infatigable et intelligente activité qu'ont déployée tous les représentants de l'autorité locale, depuis le maire, M. Roulland, et le conseiller général, M. Bonduelle,
jusqu'au curé de Concarneau, M. Orvoën.
Malgré ses propres soucis, M. Billette a dignement tenu son rôle d'ajoint-maire
dans l'organisation générale des secours.
Une mention spéciale est également due à un lieutenant du 90e régiment d'infanterie, M. Le Bert,
en congé à Concarneau, qui s'est distingué au premier rang et a rendu les plus éminents services.
Mais, pour ne pas commettre d'injustice, c'est tout le monde qu'il faudrait porter à l'ordre du jour.
Les femmes ne sont point à excepter, au contraire !
Beaucoup ont donné l'exemple d'une énergie virile :
on cite telles friteuses qui n'ont pas un instant quitté le théâtre
de l'incendie jusqu'à la soirée de mercredi.
Et maintenant, attendons les conséquences
de cette funeste nuit du 10 août.
Attendons l'hiver, qui se chargera peut-être, hélas ! d'apporter sur la question le dernier mot.