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Fenêtres sur le passé

1897

L'enfant perdu de Sainte Anne du Portzic

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Source : La Dépêche de Brest 16 juillet 1897

 

La commune si populeuse de Saint-Pierre Quilbignon a été mise en émoi, hier et avant-hier,

par la disparition dans le bois de Coatquillé, près de la grève de Sainte-Anne du Portzic,

d'un petit enfant de 3 ans 1/2, le petit Yves-Marie Pronost.

Mais procédons par ordre et relatons comment un enfant a pu s'égarer dans ce charmant petit bois de Sainte-Anne qui domine la grève si jolie et que tous les Brestois connaissent.

 

Au n° 77 rue de la rue de Brest, en Saint-Pierre-Quilbignon, habite, dans une modeste chambre du 2e étage,

la famille Pronost, composée du père, âgé de 35 ans, employé chez M. Lefeubvre, marchand de vins en gros,

rue Saint-Yves, 41, de la mère, âgée de 33 ans, et de trois charmants enfants, deux garçons :

Jean-Marie, 6 ans 1/2, et Yves-Marie, 3 ans 1/2, le héros de ce récit, et d'une petite fille qui n'a encore

que onze printemps, la petite Jeanne-Marie.

 

Voulant passer la journée du 14 juillet à la campagne, la famille Pronost et les familles Dréo et Nicolas,

demeurant également rue de Brest, en Saint-Pierre Quilbignon, se rendaient à Sainte-Anne du Portzic,

avec l'intention de déjeuner sur l'herbe, dans le si joli bois de Coatquillé, situé près du vieux moulin de Sainte-Anne

et d'où l'on domine la rade et la baie où tant de baigneurs prennent leurs ébats.

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Pour la clarté du récit, il est nécessaire de dire que MM. Dréo et Nicolas sont les beaux frères de Pronost.

 

À huit heures du matin donc, les trois familles, une dizaine de personnes en tout, se rendaient à Sainte-Anne.

Le soleil déjà dardait ses rayons sur les matineux promeneurs, qui s'en allaient gaiement tout en admirant le beau spectacle que présentait la rade avec ses navires de guerre pavoisés à l'occasion de la fête nationale.

 

Après une courte station dans l'antique et vénérée chapelle de Sainte-Anne, le groupe joyeux descendit la pente rapide qui mène à la plage et de là au bois de Coatquillé, où l'on arrivait à 9 h. 1/2.

 

L'appétit ouvert par une si longue route, les enfants Pronost et leurs cousines Marie et Rosalie Dréo, âgées de onze et cinq ans, demandèrent du pain beurré qu'on leur donna, pendant que les parents s'étendaient sur le sol pour jouer aux cartes.

Peu à peu, les enfants s'éloignent par les sentiers ombreux, ils courent l'un après l'autre ;

leur gaîté est extrême, et les parents entendent leurs cris joyeux qui s'éloignent.

 

Quelques moments après, Marie Dréo, tenant sa sœur par la main, revient vers ses parents et,

s'adressant à son oncle Pronost, lui dit :

« Mon oncle, Yves est parti tout seul, il ne veut pas revenir avec nous ! »

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Sans s'émouvoir en aucune façon de cette boutade de son enfant, le père se lève et va à la recherche du petit Yves.

Mais, il a beau chercher, courir, appeler, il ne retrouve plus son fils et l'écho seul répond à ses cris.

 

Ne le retrouvant pas sous bois, M. Pronost va à la grève, peut-être l'enfant y est-il descendu ?

 

Hélas ! Là non plus, il ne retrouve pas de traces de son petit Yves.

Le malheureux, que l'angoisse étreint, fouille les anfractuosités des rochers qui bordent le bois.

Encore rien !

 

Alors, désolé, il revient vers sa famille et dit son chagrin, ses appréhensions.

Tous se lèvent et fouillent le bois de Coatquillé.

Mais toujours rien !

De 10 h. 1/2 à sept heures du soir, les familles continuent, l’enfant n'est pas retrouvé.

 

Bientôt les ombres de la nuit couvrent la campagne, le petit Yves est toujours introuvable.

On devine la douleur du père et de la mère.

Celle-ci, affolée, va et demande son enfant à tous les échos.

 

Pendant la nuit, quatre hommes continuent les fouilles.

Ils ne s'arrêtent qu'à deux heures du matin, exténués de fatigue.

 

O nuit douloureuse pour ces pauvres familles !

 

Le père désolé n'a pas voulu quitter le bois, et à 3 h. 1/2, seul, les yeux hagards,

il recommence la recherche de son fils.

 

À six heures, la malheureuse mère éplorée arrive à son tour, mais toujours le petit garçonnet reste introuvable.

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Tout à coup, une triste nouvelle arrive au père, qui n'a pas pris de nourriture depuis la veille.

Un marin, en passant à Saint-Pierre Quilbignon, déclare qu'il a entendu dire qu'un petit corps d'enfant,

trois ans à quatre ans, a été trouvé flottant sur l'eau, près du fort du Mingant.

Il n'y a plus de doute, c'est le corps du petit Yves ; le père, à travers champs, comme un fou, se rend au Mingam, distant de la baie de Sainte-Anne de quatre kilomètres.

Il entre dans le fort et interroge le gardien, qui lui dit qu'il n'a rien entendu dire au sujet d'un noyé.

Voyant la douleur de ce père qui recherche son enfant, le gardien, ému de pitié, télégraphie au fort du Dellec et demande si l'on a aperçu sur l'eau un petit cadavre.

La réponse est négative.

 

M. Pronost se rend alors à la mairie de Plouzané, sur le territoire de laquelle est situé le bois de Coatquillé, et déclare au maire qu'il a perdu son enfant.

Puis il revient à Sainte-Anne, refait lui-même une nouvelle battue dans le bois ; mais il ne retrouve rien, aucun indice.

 

Une vingtaine de voisins de M. Pronost sont arrivés, ils entourent le malheureux père qui pleure et lui adressent des paroles de consolation.

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On l'engage à quitter le bois.

Il est deux heures, on n'a plus de chance de retrouver l'enfant.

« Non, dit le père ; allons, encore une fois, cherchons. Je veux au moins retrouver le cadavre de mon fils. »

 

Ses voisins n'ont plus d'espoir ;

cependant, ils consentent à ce que demande M. Pronost et on organise une nouvelle battue.

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Tout à coup, des cris stridents retentissent du côté de la grève.

Mmes Bleunven et Stang, qui exploraient cette partie du bois, ayant escaladé un petit talus,

ont aperçu au-dessous d'elles le petit Yves à genoux qui, tranquillement, met des feuilles mortes dans son foulard qu'il a retiré et étendu sur le sol.

 

L'enfant, entendant du bruit au-dessus de lui, lève la tête et dit, Hein !

Les deux braves femmes se précipitent vers lui et le prennent dans leurs bras.

 

Bientôt le père arrive et se saisit de son fils, qu'il embrasse fiévreusement.

 

Il y avait trente heures que le petit Yves était là.

On s'empresse autour de lui, on l'interroge, mais le petit demande :

« De l'eau ! De l'eau ! »

On le conduit au moulin de Sainte-Anne et, peu à peu, on étanche sa soif, puis on le fait manger.

 

On interroge encore l'enfant, on lui demande où il a dormi.

« Là, papa », dit-il en mettant ses petites menottes sur la terre.

 

Le père, qui a hâte de ramener l'enfant à la mère, que la fatigue et le chagrin avaient retenue à la maison,

se remet en route.

Mais la mère a appris l'heureuse nouvelle et accourt au-devant du petit, qu'elle couvre de baisers.

 

À quatre heures, hier soir, la famille consolée rentrait chez elle et hier soir, au moment où le père nous contait

ce drame, le petit Yves dormait d'un sommeil paisible.

 

On frémit en pensant que cet enfant a passé la nuit et quand on l'a retrouvé sur un tertre surplombant

d'une trentaine de mètres des rochers aigus, l'enfant était à deux mètres du bord de l'abîme.

 

Tel est le drame dont tout Brest et Saint-Pierre s'entretenaient hier.

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Source : La Dépêche de Brest 17 juillet 1897

 

Nous avons relaté hier l'incident du bois de Coatquillé, près de la grève de Sainte-Anne du Portzic.

Nous avons pu hier voir le petit Yves Pronost et le questionner.

C'est par lambeaux que nous avons pu obtenir quelques renseignements de cet enfant de trois ans 1/2.

 

Le petit Yves, un joli petit garçon aux joues roses, nous dit qu'il n'a pas eu peur la nuit

et qu'il avait dormi sur les feuilles.

Ajoutons que le sommeil de l'enfant, calme au début de l’avant-dernière nuit, a été ensuite fort agité.

Parfois, il appelait à haute voix son père et sa mère et se serrait contre eux, comme pris de frayeur.

Depuis qu'il a été retrouvé, l'enfant ne mange pas, mais demande toujours à boire.

La mère d'Yves, Mme Pronost, et Mme Castel, débitante, dans la même maison, au n° 77,

nous racontaient hier deux faits qui feront sourire plus d'un de nos lecteurs,

mais que ces personnes nous ont certifié d'une exactitude absolue.

 

Les voici :

 

En apprenant que l'on ne retrouvait point son neveu, M. Nicolas (René), également garçon chez M. Lefeuvre, marchand de vins en gros, rue Saint-Yves, 41, vint à Brest avant-hier matin et fit une déclaration d'absence à la police, puis il se rendit chez une dame Henry, somnambule extra-lucide, parait-il, et demeurant rue de la Voûte.

 

Le brave Nicolas demanda à la « sorcière » ce qu'était devenu son neveu.

 

D'un air grave, la cartomancienne écouta l'oncle du petit Yves, puis, après avoir mélangé les cartes, elle déclare solennellement, au grand ébahissement de Nicolas:

« Votre neveu sera retrouvé aujourd'hui, avant la nuit, frais et dispos.

Vous serez par suite consolé. »

 

Malgré les trente sous que lui coûta cette prédiction,

Nicolas s'en fut content et raconta à plusieurs personnes ce que la « sorcière » lui avait annoncé.

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Ce n'est pas tout.

 

Une sœur de Mme Pronost, la femme Marie Labasque, épouse d'un quartier-maître, et qui habite rue Bruat,

eut la même idée que son frère Nicolas et alla, elle aussi, trouver une somnambule,

qui a son antre dans le quartier de Saint-Martin.

 

Anxieuse, elle interrogea la pythonisse:

« Votre neveu, lui répondit celle-ci, sera retrouvé vers deux heures de l'après-midi, aujourd'hui, 15 juillet. »

 

Étrange ! Étrange ! Étrange !...

 

Le devoir professionnel nous faisait une obligation de dire ce que notre enquête nous avait révélé.

N'y aurait-il pas quelque entente sous roche ?

 

Ajoutons que cette affaire avait causé une légitime émotion à Saint-Pierre Quilbignon et à Brest, et qu'hier matin on s'arrachait la Dépêche racontant tout au long la disparition du petit Yves et les circonstances qui l'avaient accompagnée.

 

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Source : La Dépêche de Brest 18 juillet 1897

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