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Fenêtres sur le passé

1897

Contre l'alcoolisme

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Source : La Dépêche de Brest 3 juillet 1897

 

Mercredi soir, la section brestoise de la Société contre l'usage des boissons spiritueuses inaugurait officiellement

sa propagande active par une très intéressante conférence du docteur Leroy, lauréat de l'Académie de médecine, médecin de l'asile de Quimper.

 

La salle de la Bourse était trop petite pour contenir les nombreux auditeurs qui, pendant plus d'une heure, ont suivi avec une attention soutenue le tableau saisissant des ravages de l'alcoolisme que leur a tracé le conférencier.

 

M. le contre-amiral Réveillère avait bien voulu accepter la présidence d'honneur de la réunion ;

il a présenté M. le docteur Leroy à l'auditoire et, en quelques paroles chaleureuses, a fait appel au patriotisme

des assistants et surtout des dames pour prendre une part active à la lutte contre le fléau national : L'alcoolisme.

 

En débutant, le docteur Leroy s'excuse de ne pas avoir le talent d'un conférencier :

Sa modestie est excessive ;

non seulement, il a parlé, comme il l'a dit, en homme de bonne volonté, mais sa conviction ardente, fondée

sur la certitude des observations scientifiques, a donné à sa parole agréable et nette une chaleur communicative.

 

La question de l'alcoolisme, a-t-il dit, a pris en France, depuis une vingtaine d'années surtout,

une importance capitale ;

personne n'a pu rester indifférent à ce qui devient un véritable péril patriotique, et tout dernièrement

le ministre de l'instruction publique inscrivait aux programmes des enseignements primaires et secondaires

des notions sur l'alcoolisme et ses ravages.

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Je sais bien qu'on se heurte ordinairement à cette banale objection :

« Nos pères buvaient aussi et jamais leur santé ni leur joyeuse humeur n'en furent altérées. »

C'est confondre l'ivresse individuelle et accidentelle de nos pères avec la question toute moderne de l'alcoolisme.

 

En effet, jusqu'au XVIIe siècle l'alcoolisme n'existe pas :

Nos ancêtres buvaient, et parfois avec excès ;

mais ce n'était que le dimanche et ils ne connaissaient guère que le vin ou les boissons hygiéniques.

Toute la semaine, ils travaillaient au grand air, ne buvaient que de l'eau et éliminaient facilement le peu d'alcool absorbé le dimanche.

 

À l'époque de la Révolution, les nécessités sociales font naitre le besoin de se réunir, les clubs se forment,

le cabaret commence à prendre une place importante dans nos mœurs et la consommation de l'alcool augmente.

 

Enfin, vers 1840, nos vignobles, frappés de maladies, produisent beaucoup moins ;

mais la consommation ne diminue pas pour cela ;

c'est alors qu'apparaissent les alcools d'industrie et que l'intoxication alcoolique commence réellement en France.

Les progrès sont d'ailleurs rapides ;

en s'appuyant sur des statistiques officielles et rigoureusement exactes,

on trouve qu'en 1830 on consommait en France 1 litre 12 d'alcool pur (à 10°) par habitant ;

en 1892, on en a consommé 4 litres 56, c’est-à-dire un total de 2 millions 476 mille hectolitres d'alcool.

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Constatation humiliante :

Tandis que la consommation d'alcool augmente sans cesse en France, elle diminue considérablement

dans tous les pays d’Europe sauf la Belgique.

Elle diminue en Allemagne, en Angleterre, en Suisse ;

la Norvège a vu en 60 ans sa consommation descendre de 16 litres à 3,

et aujourd'hui la France a le triste honneur de venir, sous ce rapport, en tête de liste.

 

Il y a différentes sortes d'alcool ;

mais il faut se hâter de dire que tous sont des poisons ;

toutefois, il y a des degrés dans leur toxicité, et les alcools bien rectifiés sont assurément moins dangereux.

Mais que l'on songe à ce que mettent en circulation les distillateurs, désireux seulement de gagner de l'argent ;

que l'on songe à ce que l'on sert dans les cafés et les cabarets.

Rien n'est plus pernicieux que ces vermouths, absinthes, amers, si répandus ;

non-seulement l'alcool qu'ils contiennent est par lui-même un poison, mais pour lui donner un goût agréable,

on y ajoute des essences éminemment toxiques. .

 

Le conférencier fait à l'appui de ses dires une expérience très probante ;

il fait à un cobaye une injection en sous-cutanée d'alcool non rectifié ;

au bout de quelques secondes, l'animal retombe inerte sur la table : il est mort.

À un autre, i fait une injection d'essence d’absinthe et lui occasionne ainsi plusieurs crises violentes d'épilepsie.

Il est impossible de mieux mettre en évidence les propriétés toxiques de l'alcool et épileptogènes de l'absinthe.

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Bien des personnes s'abusent singulièrement sur les effets physiologiques de l'alcool ;

elles s'imaginent qu'il accroît la force musculaire :

C'est le contraire qui est vrai.

D'ailleurs, chacun sait que l'alcool est le grand ennemi des cyclistes :

Terron s'est bien gardé de boire de l'alcool pour courir la course de Paris-Bordeaux.

Dans une course, en Allemagne, quelques officiers avaient cru accroître la force de leurs chevaux en mêlant de l'alcool à leur nourriture ;

ils furent distancés par tous les chevaux qui n'avaient puisé des forces que dans une saine nourriture.

 

On croit encore que l'alcool est une source de chaleur :

Rien de plus faux.

Les explorateurs du pôle Nord, Nansen ou Nordenskiold, n'avaient pas emporté la moindre quantité d'alcool.

 

Non seulement l’alcool n'est pas utile, mais il est pernicieux pour l'organisme ;

sous l'influence de l'alcool, la muqueuse de l'estomac rougit, se tuméfie,

et quelquefois même perlent des gouttes de sang.

L'alcool amène fatalement avec lui tout un long cortège de maladies :

Gastrite, inflammation du foie, maladies du foie et des vaisseaux, durcissement prématuré des artères

qui gêne la circulation, anévrisme, laryngite chronique, sans compter que l'alcoolisme prédispose l'organisme

à gagner les maladies contagieuses et le leur livre sans aucune force de résistance.

 

Chacun a pu constater, par exemple, que, pendant les épidémies de choléra, les alcooliques étaient plus frappés

que les autres et le plus souvent mortellement.

 

Il est malheureusement inutile de dépeindre l'alcoolique :

Qui n'a vu ce vieillard avant l'âge paralysé et gâteux, qui meurt, un jour, subitement, d'une apoplexie ?

 

Subitement aussi, le buveur a le caractère sombre et irritable :

Une nuit, il se réveille subitement en proie à des hallucinations terrifiantes ;

c'est la folie qui approche.

L'alcool est, en effet, le grand pourvoyeur des asiles d'aliénés.

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Comment ne pas être effrayé des conséquences sociales d'un tel fléau ?

D'abord, la criminalité augmente avec l'alcoolisme ;

en Irlande, un moine, prêchant la lutte contre l'alcoolisme, recueillit le serment de plusieurs millions de ligueurs ; bientôt après, l'une des prisons de Dublin fermait, la population de l'autre diminuait de moitié.

De plus, l'alcoolisme diminue la natalité ;

par ses effets héréditaires, il produit des races dégénérées.

Un fait d'observation courante, c'est que les exemptés du service militaire abondent dans les pays

où l'alcoolisme sévit.

D'ailleurs, les effets de l'alcool sur la race sont depuis longtemps établis ;

l'alcoolique donne naissance à un fou ou à un débile ;

viennent ensuite l'imbécile, l'idiot, puis la race s'éteint.

 

Si l'on ajoute à cela les conséquences économiques, les dépenses que l'alcool oblige les nations à faire,

on reste terrifié devant ce sombre tableau.

Pour terminer, le conférencier cite une jolie expérience de Lombroso :

Il avait donné à des abeilles du miel alcoolisé ;

bientôt après, les insectes devenaient paresseuses, perdaient l'instinct de la hiérarchie,

et la république modèle allait tomber dans l'anarchie !

 

Dans une éloquente péroraison, le docteur Leroy montre que dans d'autres pays, en Suisse, par exemple,

les sociétés de tempérance ont puissamment contribué à arrêter la marche envahissante de l'alcoolisme.

Il souhaite que tous les gens de cœur et d'intelligence s'unissent, malgré les attaques et les railleries,

pour guérir ce mal qui menace d'anéantir les plus précieuses qualités intellectuelles et morales de notre pays.

 

Il espère que la section brestoise qui, bien que jeune encore, a déjà affirmé sa vitalité,

verra chaque jour affluer des adhésions nouvelles et saura avant peu opposer à l'armée des intempérants

et des égoïstes une armée résolue et disciplinée.

De longs et chaleureux applaudissements ont prouvé au jeune et dévoué conférencier qu'il avait atteint son but

et qu'il avait pleinement convaincu son auditoire.

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