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Fenêtres sur le passé
1896
Le travail dans les prisons
Source : La Dépêche de Brest 9 novembre 1896
Dans sa dernière assemblée générale, la chambre syndicale des ouvriers de l'ameublement de Brest a décidé d'adresser au ministre de l'intérieur la protestation suivante contre le travail dans les prisons :
Brest, le 8 novembre 1896,
Monsieur le ministre,
La chambre syndicale des ouvriers de l'ameublement a l'honneur de vous adresser ses doléances sur la situation précaire dans laquelle sont actuellement les ouvriers de la ville de Brest, situation due au tort immense occasionné par les travaux exécutés dans les prisons.
Dans notre ville, les prix de façon diminuent de jour en jour, et c'est à force de privations que l'ouvrier
peut subvenir aux besoins de sa famille.
Malheureusement, tous les ouvriers de l'ameublement ne peuvent trouver à s'occuper, car les prisons,
livrant leurs meubles 30 et 40 % meilleur marché que tout autre patron, les commerçants de meubles
préfèrent recevoir leurs marchandises des prisons que d'occuper des ouvriers.
D'après nos renseignements, il résulte que la prison centrale
de Landerneau livre environ pour 100,000 fr. de meubles
par année, dont la grande partie rentre dans notre ville.
Si ces meubles étaient fabriqués par nos patrons, tous les ouvriers de la localité seraient occupés, et comme les prisons
ne nous feraient pas concurrence, les prix de façon augmenteraient et permettraient à l'honnête ouvrier de gagner
ce qui est nécessaire à la vie.
L'ouvrier qui travaille dans les prisons n'a pas de charge de famille, pas de loyer, pas de contributions.
Il vit sans inquiétude du lendemain.
Avec l'argent qu'il gagne, il peut se nourrir mieux qu'un honnête travailleur et faire des économies pour sa sortie ; tandis que l'ouvrier honnête pour se soustraire à la famine se trouve, dans l'obligation de travailler à vil prix,
et c'est à peine s'il peut joindre les deux bouts ;
c'est à désirer d'aller en prison.
Nous, ouvriers honnêtes, nous sommes dans l'obligation de fournir le nécessaire à nos familles,
souvent composées de neuf et dix membres ;
nous avons un loyer et des contributions qu'il faut payer et si, par malheur, l'un de nous manque d'ouvrage,
voilà tout une famille dans la plus grande misère, parce que, avec le gain trop minime qu'avait le père,
ils n'ont pu faire d'économies.
Le prisonnier n'a aucun souci.
Quand il aura terminé sa peine, il ira tranquillement dépenser l'argent qu'il aura amassé au détriment de l'honnête homme, quitte à commettre quelque nouvelle iniquité qui le ramènera
dans une maison centrale quelconque où il pourra vivre
avec la certitude d'avoir tout ce qui lui est nécessaire,
et même davantage.
Nous espérons, monsieur le ministre, que vous daignerez
vous intéresser à notre sort, car si vous n'y apportez remède,
l'état de choses actuelles aboutira :
1° À la perte d'une industrie pour la localité ;
2° À l'émigration de la population ouvrière qui, lasse de souffrir de cette concurrence, trouvera plus rationnel
et plus rémunérateur de faire corps avec l'ouvrier des prisons.
Les ouvriers de l'ameublement de la ville de Brest ont l'honneur de solliciter de votre bienveillance de vouloir
bien prendre leur cause en main et ils osent espérer que vous ferez tout votre possible pour que, à l'avenir,
l'ouvrier travaillant dans les prisons soit payé suivant les tarifs établis par les corporations ouvrières.
De cette façon, les patrons n'ayant pas plus d'intérêt à prendre
des meubles des prisons que de les faire fabriquer chez eux, pourraient occuper plus d'ouvriers honnêtes et, en outre,
l'honnête travailleur n'ayant pas à souffrir de la concurrence
à outrance que lui font les prisons, verrait s'augmenter les prix
de façon, ce qui lui permettrait de vivre un peu mieux
qu'il ne fait actuellement.
Il y a quelques années, l'industrie de la vannerie demandait
la suppression de ce genre de travail dans la prison centrale
de Landerneau.
Gain de cause lui a été donné.
Ce précédent nous donne la certitude que vous accorderez satisfaction à notre juste revendication.
Recevez l'assurance de nos sentiments respectueux.
Pour la chambre syndicale:
Le président, CORRE.
Le secrétaire, F. APPÉRÉ.