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Fenêtres sur le passé

1896

Ouessant, la mer lumineuse est en fête

Ouessant - La mer lumineuse est en fête.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 21 juin 1896

 

La mer lumineuse est en fête.

Rien ne dit l'abominable catastrophe.

Dans l'air léger, sur l'horizon qu'aucune brume n'opalise, la silhouette d'Ouessant se découpe

avec une netteté remarquable.

Là où montaient des cris d'angoisse, c'est maintenant le silence et le calme.

Le grand linceul vert a bâillonné à jamais les bouches qui criaient dans la nuit le suprême appel.

 

Cruelle et vaine coquetterie !

La mer d'Ouessant a beau se faire câline, elle reste la perfide trompeuse.

Sous le soleil qui la paillette de points lumineux, elle masque mal sa couronne de récifs.

Cachées sous la lame, les roches semblent à l'affût.

Leurs pointes aiguës guettent les carènes.

Viennent la brume et le mauvais temps, elles sèment la mort autour d'elles.

 

Car la mer d'Ouessant est toujours terrible.

Enez-Eussa, l'île de l'Épouvante, dit le Breton.

Et comme si cette qualification ne suffisait pas, voici le Fromveur (From, grand ; weur, effroi), la passe du grand effroi.

 

« Qui voit Belle-Île voit son île, qui voit Groix voit sa joie, qui voit Ouessant voit son sang », dit un proverbe de chez nous.

Écoutez un écrivain de grand talent descriptif, M. Ardouin-Dumazet,

qui fit dans nos îles un voyage intelligent, un long périple

dont il rapporta maint document et de multiples observations.

Il s'est embarqué sur « la Louise » pour se rendre à Ouessant :

 

« La Louise court entre les écueils ;

à droite, à gauche, devant, derrière, ce ne sont que des rochers

d'un abord hargneux.

Quelques-uns dépassent à peine le sommet de la vague ;

tout à coup celle-ci se creuse et l'écueil semble grandir.

En même temps, le petit vapeur descend, on dirait qu'il est attiré

contre le récif ;

des cris d'effroi se font entendre, mais le flot remonte et de nouveau

le rocher ne montre plus que son front rugueux, couronné d'écume.

C'est sinistre, terrifiant, mais c'est sublime.

 

« Nous rasons les côtes.

Quel aspect inhospitalier !

Jamais je ne vis accueil plus farouche, et cependant le ciel est pur,

la mer est belle.

 

« Le spectacle de ses vagues immenses, sans écume, presque huileuses, semblables à des collines aux pentes adoucies, est d’une indescriptible beauté, et en même temps d'une mystérieuse puissance.

On se sent en proie à une vague terreur en songeant à ce que doit être

cette mer pendant les grandes tempêtes.

« Les marins qui sont à bord la contemplent avec une sorte de respect.

 

« Par les fortes mers, le passage du Fromveur est inabordable ;

tout navire à voile qui s'y engage est perdu ;

le courant est terrible, il peut atteindre 7 et 8 nœuds

pendant les grandes marées aux abords de l'île.

Alors l'accès de la baie de Porspaul en Ouessant est impossible,

les vapeurs comme toutes les embarcations évitent de s'y engager ;

ils font route au nord pour aller dans la baie du Stif,

abritée des vents d'Ouest, où le ressac est moins violent. »

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Victor Eugène Ardouin-Dumazet

Voyage en France Bretagne Ardouin Dumazet.jpg

Dans cette mer, deux oasis ; Ouessant et Molène.

Molène presque gai avec ses maisons basses escaladant la hauteur.

Pas un arbre, quelques rosiers et des fuchsias géants tapissent les murs.

Le goémon et la bouse de vache sont le seul combustible de l'île.

Une église, une croix de pierre, quelques moulins à vent ; plus loin, le sémaphore.

 

Ouessant a deux portes, deux grandes baies ;

celle de Porspaul vers la haute mer, et celle du Stif, abritée quelque peu des grands vents.

Vers Porspaul à droite et à gauche se dressent des côtes hérissées de rochers supportant des terres nues,

à travers lesquelles s'alignent les maisons grises des hameaux.

C'est d'abord Loqueltas, dominé par le sémaphore de Créach et le phare.

Au milieu du golfe, un îlot rocheux très haut, très escarpé, semble fermer tout à coup le passage ;

d'allure fière et menaçante à la fois, cette aiguille dresse son sommet à 34 mètres au-dessus du flot.

Contre l'énorme récif, la mer vient battre, elle y brise son élan.

C'est la « Corce ».

À peine l'a-t-on doublé, et l'aspect de la baie se modifie.

Au fond d'une petite plage de sable s'étend Lampaul.

Une amorce de jetée à l'entrée d'une crique sert de port.

Tout autour de la crique et de la baie s'étendent des hameaux : Kerandraon, Feunteun-Velen, Toul-al-Lan, Kerivarch, Paraluchen, dont les habitations grises sont alignées sur le chemin.

 

On connaît trop peu, même parmi nous, le paysage de rêve

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mélancolique où les cadavres du Drummond-Castle viennent d'atterrir pour dormir leur dernier sommeil.

On connaît trop peu surtout la vie de labeur, de courage et de dévouement « des gars des îles ».

Qu'un sinistre soit signalé, tous sont prêts à affronter la tempête, tous sont prêts à lutter contre la mer

pour lui arracher sa proie.

 

La reine d'Angleterre vient de rendre publiquement hommage aux vaillants marins de Molène et d'Ouessant.

 

C'était justice, et tout le monde y applaudira.

 

C…

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