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Fenêtres sur le passé
1896
Le mouton et l'outrage à magistrat à Ouessant
Source : La Dépêche de Brest 29 février 1896
Une affaire d'outrages envers un magistrat vient ensuite et n’occupa pas moins de quatre heures.
Dans les premiers jours de mars dernier, une discussion assez vive s'élevait à Ouessant entre MM. Q... et Le G...,
le premier facteur et le second secrétaire de la mairie, au sujet d'un mouton dont tous deux
revendiquaient la propriété.
Le juge de paix du canton, M. Crenn, saisi du litige par Q..., qui déposa une plainte pour vol contre Le G...,
classa l'affaire après avoir entendu l'une des parties et un témoin.
Peu satisfait, Q... écrivit, quelques jours après, au brigadier de gendarmerie de Saint-Renan pour le prier de faire
une enquête au sujet du vol dont il se prétendait victime.
Transmise au juge de paix d'Ouessant, sa plainte fut retournée à la gendarmerie de Saint-Renan
avec une fin de non-recevoir, l'affaire ayant déjà été classée.
Se croyant alors l'objet d'un déni de justice, Q... rédigea un brouillon de lettre au procureur de la République, à Brest, déclarant qu'il ne pouvait obtenir justice du juge de paix, son ennemi, et qui, sans l'entendre et sans ordonner d'enquête, lui donnerait tort, alors même qu'il avait raison, etc., etc.
Après avoir fait corriger et recopier ce brouillon par M. F..., alors à Ouessant, il envoya sa lettre le 25 août dernier.
Le parquet vit dans les termes de cette lettre l'outrage envers un magistrat prévu par l'article 222 du code pénal.
C’est ainsi que MM. Q... et F... comparaissent devant le tribunal correctionnel.
M. Crenn et un gendarme de la brigade de Saint-Renan, cités â la requête du ministère public, sont entendus, ainsi que d’autres témoins, appelés par la défense.
Quelques-uns de ces derniers rapportent certains propos qu'aurait tenus M. Crenn ;
le juge de paix oppose à ces dépositions une dénégation formelle.
Interrogé par le président, Q... déclare douter, en ce qui le concerne, de l’impartialité du juge de paix.
M. F... argue de sa bonne foi.
Dans un réquisitoire des plus modérés, M. Frétaud, procureur de la République, a réclamé l'application de la loi.
Pour lui, l'outrage est bien caractérisé, et il est d'autant plus grave qu'il n'a pas été proféré dans un moment
de colère, mais écrit et, partant, réfléchi.
Tout en reconnaissant que la situation de M. Q... est différente de celle de M. F..., il estime que ce dernier
ne doit pas sortir indemne de l'affaire.
Me Maurer, chargé de la défense de M. Q..., soutient que, dans l'espèce, il n'y a pas eu l'outrage prévu et puni
par l'article 222 du code pénal, parce que la lettre incriminée ne devait pas nécessairement être communiquée
au juge de paix d'Ouessant.
Il n'y a pas non plus dénonciation calomnieuse, parce qu'elle n'avançait pas un fait faux.
Son client a voulu seulement se plaindre, et non outrager.
Me Maurer conclut à l'acquittement de son client ;
subsidiairement, il demande au tribunal de surseoir jusqu'à ce qu'une enquête ait établi
ou que le juge de paix avait manqué à ses devoirs ou que M. Q... avait avancé un fait faux.
Me Huet, du barreau de Morlaix, qui défend M. F..., lit deux certificats des plus élogieux pour son client,
qui, tout de bonne foi, n'a pas entendu épouser l'animosité qu'avait M. Q... à l'égard du juge de paix d'Ouessant
et a pensé simplement lui rendre un service.
Il demande l'acquittement pur et simple.
Après dix minutes de délibération, le tribunal, reconnaissant M. Q... coupable du délit d'outrage qui lui est reproché, mais tenant compte des circonstances de l'affaire, le condamne à huit jours de prison
avec application de la loi Bérenger.
M. F... est acquitté.