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Fenêtres sur le passé

1896

Lettre de M. Zyromski à Gaston Deschamps

"Nos poètes - Le musée de Quimper"

Source : La Dépêche de Brest 29 septembre 1896

 

Lettre de M. Zyromski à Gaston Deschamps

 

M. Gaston Deschamps continue à noter dans le Temps ses impressions de voyage

au pays breton.

Les dernières lui ont valu quelques lettres fort instructives.

L'une d'elles est signée de M. Zyromski, maître de conférences à la faculté des lettres de Bordeaux, ancien professeur au lycée de Quimper.

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Gaston Deschamps

M. Zyromski, qui avait senti profondément le charme de la terre bretonne, écrit à M. Deschamps :

 

« J'ai revu les murs crénelés de mon vieux lycée, et cette allée d'ormes de la place de Kerfeunteun

où nous promenions, après l'ennui des classes, les inquiétudes de nos vingt-cinq ans.

Surtout j'ai évoqué la figure bonne et souriante du poète Le Braz, avec qui j'ai passé tant de jours

et même tant de nuits à dire et à entendre les rêves désordonnés de notre jeunesse...

 

Je me souviens de l'étonnement que j'éprouvai en 1886, au sortir de l'école normale, en rencontrant ce grand garçon aux sensations fraîches et à l'imagination impétueuse.

Combien me paraissaient vains mes artifices de normalien et mes ironies et mes subtilités !

C'est avec joie que j'annonçai à M. Georges Perrot, je m'en souviens, que j'avais trouvé là-bas, dans ce coin perdu comme un lieu d'exil, un poète, un vrai poète qui sentait et rendait si bien le rythme de la rêverie bretonne... »

 

M. Zyromski ajoute :

 

« Les productions de Le Braz sont déjà très abondantes...

Mais le meilleur de ses écrits n'a pas encore paru.

Dans le Testament d'une race (roman et observations mêlés), l'âme bretonne a ses résonances les plus lointaines et, dans Petit Man, on trouvera d'exquis souvenirs d'enfance, qu'on lira volontiers même après ceux, de Renan.

Le Breton a été souvent décrit ;

il vient de l'être admirablement par Le Goff ;

la Bretonne a été esquissée par Renan dans quelques peintures volontairement un peu effacées ;

mais c'est dans le livre de Le Braz qu'on la trouvera étudiée et définie et qu'on saura bien ce que dut être la Lucile de Chateaubriand. »

La poésie ne fleurit-elle pas naturellement, d'ailleurs,

en terre bretonne ?

Comme le dit M. Deschamps, la lignée de Brizeux n'est pas éteinte.

Après Le Braz, le critique littéraire du Temps, passe à notre confrère M. Paban, rédacteur en chef du Finistère.

 

« M. Paban, lui aussi, dit-il, est un de ces hommes ingénieux

que l'obligation d'exercer un état n'a pas brouillés avec la Muse.

Il est journaliste, excellent journaliste, et son exemple prouve

que l'on peut garder, dans cette profession injustement dénigrée, tout le velouté d'une âme innocente.

C'est lui qui renseigne les habitants de Quimper et des pays circonvoisins sur la question d'Orient, sur l'énigme de Madagascar, sur le problème des courses de taureaux, sur l'imbroglio cubain,

sur le complot des dynamiteurs, sur le Millet du Louvre, enfin sur tout ce qui passionne les bons citoyens quand ils ont bien dîné.

Mais son cabinet de rédaction a des fenêtres qui s'ouvrent

sur la lande et sur la mer.

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Quand il a fini sa « mise en page » et que sa « morasse » est prête, il oublie l'odeur de l'encre d'imprimerie

et les relents de la politique.

Il descend gaiement vers les platanes et les hêtres qui bordent les eaux limpides de l'Odet.

Il fredonne, les mains dans ses poches :

 

J'ai vu plus d'une fois, au pays de Quimper,

Les pêcheuses des bourgs, qui descendaient par troupes

Moissonner les épis à deux pas des chaloupes,

Tandis que les embruns s'éparpillaient dans l'air.

Après avoir rappelé que les débuts de Paban furent encouragés par Sainte-Beuve, M. Deschamps ajoute :

« Je voudrais avoir sonné la messe des poètes bretons assez fort pour que mon carillon attirât dans leur chapelle

les fidèles des autres diocèses. »

Les poètes bretons lui en seront d'autant plus reconnaissants, qu'il fait amende honorable complète et qu'il biffe

de ses notes de voyage certains passages un peu aigres, notamment celui qui malmenait le musée archéologique

de Quimper, musée que M. Paban défend en ces termes :

« Vous ne paraissez pas avoir beaucoup d'admiration

pour le musée de Quimper.

Si j'avais eu le plaisir de vous voir, je vous aurais expliqué quels soins méticuleux on a pris pour que les bonshommes dont vous parlez fussent des types sincères et réellement bretons, figures et costumes.

 

« Les figures ne sont pas en bois, comme vous paraissez le croire,

mais en terre-cuite.

Elles ont été soigneusement moulées, d'après un sculpteur et un peintre de talent, M. Beau, un des directeurs de la faïencerie de Quimper,

et le conservateur du musée de notre ville.

 

« Tous les costumes sont authentiques.

Les plus anciens ne remontent pas à plus de cinquante à soixante ans.

J'en ai vu de semblables aux grands pardons, notamment la robe rouge des femmes et les tabliers brochés de grandes fleurs d'or et d'argent.

Ces vieux costumes ont été achetés à des familles de cultivateurs

et retirés des armoires où on les gardait depuis des années.

Ils ont été plongés, par les soins de M. Beau, dans une préparation chimique qui les rend inattaquables par les insectes.

 

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« Les costumes de noces de nos riches Cornouaillaises sont actuellement, encore des merveilles,

et les plus beaux peuvent atteindre le prix de 1,500 à 1,800 francs. »

 

M. Deschamps ne trouve rien à répondre à «des plaidoyers si bien déduits » et, pour payer ses dettes en une seule fois, il reconnaît avoir mal vu ou mal jugé Douarnenez.

Le poète José Maria de Heredia, qui y a passé plusieurs saisons, n’a pas été étranger à ce revirement.

D’un entretien avec le poète des Trophées, le critique littéraire du Temps est sorti,

« sinon convaincu, du moins tenté de l'être et plus apte à comprendre la Bretagne ».

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