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Fenêtres sur le passé

1896

Jules Rochard,
Inspecteur général du service de santé de la Marine

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Source : La Dépêche de Brest 25 septembre 1896

 

L'inspecteur général du service de santé de la marine Rochard,

qui vient de mourir à Versailles, a habité Brest pendant tant d'années, et sa haute valeur était si justement appréciée

dans la marine, que le principal journal maritime de notre port

ne peut le laisser disparaître sans lui consacrer une notice.

 

C'est à Saint-Brieuc ;

le 20 octobre 1819, qu'est né Jules-Eugène Rochard.

Son père, très connu des vieux habitants de Brest,

où il vint se fixer plus tard, était un ancien militaire.

Sergent à 17 ans, une balle anglaise l'avait traversé de part en part sous les murs de Dunkerque.

Plusieurs fois blessé dans les diverses affaires auxquelles il assista,

il était capitaine de voltigeurs quand, dans un combat

près de Barcelone, un projectile vint lui briser une jambe.

L'amputation dut être opérée et la capitaine Rochard

quitta forcément le service.

 

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Jules Rochard

Après avoir terminé d'excellentes études dans sa ville natale, le jeune Rochard fut envoyé à Brest par sa famille

pour y suivre les cours de l'école de médecine navale.

Il y arrivait le 8 septembre 1836.

 

M. Foullioy, premier chirurgien en chef de la marine, était alors à la tête du service de santé de notre port.

Sous un tel maître, le jeune élève en médecine devait d'autant plus profiter qu'il était d'une rare intelligence

et que déjà il se révélait travailleur assidu et consciencieux.

Après avoir été reçu au concours d'élève interne, aux modestes appointements de 300 francs par an,

Rochard se présenta plus tard au concours plus sérieux de chirurgien de 3e classe,

et il était reçu dans un très bon rang.

Il venait d'avoir 18 ans quand il fut nommé, le 11 novembre 1837.

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Frégate à hélice l'Astrée

Après deux courts embarquements, en rade de Brest, sur la corvette la Bergère et la frégate l’Astrée, Rochard fut embarqué,

le 18 février 1838, sur la corvette de charge l'Allier,

qui partait pour le Sénégal.

Le 25 août, il passa sur un navire semblable, l'Oise,

qui se rendait aux Antilles.

Débarqué le 24 octobre 1839,

il servit à terre jusqu'au 20 septembre 1840.

Il fut alors embarqué successivement sur la corvette la Créole,

le brick l'Adonis et la frégate la Gloire, en rade de Brest.

 

Embarqué depuis le 26 mai sur la corvette la Fortune, il fut, par suite de son nouveau grade,

désigné comme chirurgien-major de ce bâtiment, qui partait peu après pour l'océan Indien.

Le choléra se déclara à bord de la Fortune, lors d'un voyage qu'elle faisait dans le Gange.

Rochard en fut atteint et fut si gravement malade qu'un jour il dut se mettre au lit,

bien persuadé qu'il serait mort avant le lendemain.

La position était critique et pour l'équipage et pour lui, car il n'y avait pas d'autre médecin que lui.

Heureusement, le jeune docteur se rétablit et put continuer à soigner son équipage.

Deux ans et demi plus tard, il débarquait à Brest.

 

À la fin de 1844 et au commencement de 1845, nous le voyons encore une fois sur la Fortune,

puis sur le Borda, en rade de Brest.

Du 14 avril au 17 novembre 1845, il fut embarqué sur la corvette de charge l'Adour

et fit une campagne dans la Méditerranée et à Terre-Neuve.

​

Nommé chirurgien de 1ère classe, après un concours

où il fut encore classé le second, le 12 décembre 1845,

Rochard fut embarqué le 18 du même mois sur le vaisseau le Jupiter, dans la Méditerranée.

Il le quittait le 26 octobre 1846 pour aller successivement

sur le vaisseau le Neptune, la frégate l'Asmodèe et le vaisseau l’Iéna.

Le 9 décembre, il débarquait à Brest.

C'était la fin de sa navigation.

 

Reçu docteur-médecin en 1847 par la faculté de Paris

avec une thèse sur la scrofule, M. Rochard était,

l'année suivante, nommé chef des travaux anatomiques

de l'école de Brest.

 

Très homme du monde, très recherché dans les salons de Brest,

le jeune docteur songea à se marier.

Il n'avait pas de fortune, mais là où il devait s'adresser,

il était certain d'être bien accueilli.

Son choix se porta sur Mlle Proux, fille d'un lieutenant de vaisseau mort en 1831 et petite-fille de M. Bouet, qui fut pendant plusieurs années maire de Lambézellec.

Par suite de ce mariage, il allait devenir le neveu de deux officiers,

dont l'un est devenu contre-amiral et l'autre vice-amiral.

Le mariage eut lieu le lundi 16 avril 1849.

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Les quatre témoins étaient MM. Proux, Prenat, garde-magasin des subsistances, Golfier et Moras,

tous les deux chirurgiens de 1ère classe.

 

Le 3 décembre 1850, après un brillant concours, M. Rochard était nommé chirurgien-professeur,

et le 6 mai 1854 il était promu au grade de deuxième chirurgien en chef.

Pendant seize ans, de 1848 à 1863, il a professé successivement à Brest l'anatomie, la physiologie,

la médecine opératoire, la pathologie externe et la clinique chirurgicale.

Il avait une très grande facilité d'élocution, la voix bien timbrée, une diction irréprochable.

Sa parole, parfois vibrante d'enthousiasme, tenait d'autres fois ses auditeurs sous le charme de sa douceur.

Il avait, en un mot, toutes les qualités du professeur et de l'orateur.

 

Le 20 août 1863, M. Rochard était nommé premier chef et allait prendre la présidence du conseil de santé de Lorient.

 

Il fut le promoteur et l'organisateur de l'établissement, qui, sous le nom d'Ambulance,

fut installé à l'ancienne caserne des disciplinaires et qui, plus tard, est devenu l'hôpital de Lorient.

​

Le préfet maritime, l'amiral Chopart, avait une confiance absolue

en M. Rochard et lui accordait tout ce qu'il demandait.

La supérieure des Filles de la Sagesse lui fut aussi une aide puissante

pour le bon fonctionnement du nouvel établissement.

 

Au commencement de 1866, une sérieuse épidémie de choléra

se déclara à Lorient.

La maladie sévissait principalement sur la population ouvrière des faubourgs. M. Rochard provoqua la création de deux ambulances, l'une à Kérentrech, l'autre à Merville ;

des médecins et des pharmaciens de la marine y furent envoyés

et pendant deux mois prodiguèrent leurs soins à cette population si éprouvée.

 

Presque tous les jours, M. Rochard se rendait à l'hôpital de Port-Louis

par une canonnière affectée à ce service.Un jour, après avoir accompli son voyage quotidien la canonnière allait aborder au ponton, sur lequel elle s'amarrait d'habitude, à l'entrée de l'arsenal,

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quand un youyou, qu'elle avait à la remorque, et dans lequel se trouvaient deux hommes,

sombra dans les circonstances suivantes :

la canonnière ayant presque subitement diminué sa vitesse, la remorque du youyou, qui continuait à s'avancer,

prit du mou et vint s'engager complètement dans l'hélice. Le canot plongea par l'avant et les deux hommes avec lui.

À peine l'accident s'était-il produit que M. Rochard, tout habillé, se précipitait à l'eau et se portait au secours

des deux marins, qui furent recueillis sains et saufs.

Quelques jours après, le Moniteur de la flotte racontait ce fait maritime dans tous ses détails.

 

Élevé au grade de directeur le 21 juillet 1870, par suite de la retraite prématurée qu'avait sollicitée M. le directeur Duval, M. Rochard prenait la direction du service de Brest à un moment où les événements les plus graves allaient se passer.

Brest reçut sa large part des victimes de la guerre et, dans ces douloureuses circonstances, M. Rochard,

avec le personnel dévoué qu'il avait sous ses ordres, put faire face aux besoins extraordinaires de cette époque néfaste de notre histoire.

 

Pendant les cinq années qu'il passa à Brest, M. Rochard, redevenu professeur,

fit les cours de médecine administrative et de médecine légale.

​

En 1864 et en 1873, il avait été appelé à Paris pour y faire partie

des commissions de réorganisation du corps de santé de la marine.

Le 13 octobre 1875, il y était appelé, de nouveau, mais cette fois avec le grade d'inspecteur général et pour remplir les fonctions de président

du conseil supérieur de santé.

 

Il y a treize ans environ, un abominable attentat fut accompli,

dans une rue de Paris, sur la personne de M. Rochard.

Deux coups de revolver furent tirés par derrière sur l'honorable inspecteur général.

Ce crime d'un insensé n'eut pas, grâce â Dieu, la terminaison fatale

que l'on avait pu redouter.

Malgré la présence d'une balle dans le poumon, M. Rochard se rétablit

et ne tarda pas à reprendre son service.

 

D'après son âge, il devait rester à la tête de son corps jusqu’au mois

d'octobre 1887.

Mais, à peine arrivé au ministère de la marine, l'amiral Aube, animé d'un esprit

de réforme que ne pouvait justifier la seule nécessité de faire des économies, frappa, avec bien d'autres, M. Rochard, qui, le 25 janvier 1886,

fut rendu à la vie civile.

Il avait plus de 50 ans de service, dont 6 ans ½ à la mer.

Mais le repos était chose inconnue pour lui : il avait déjà publié de nombreux ouvrages, il allait on produire bien d'autres et d'une importance bien grande.

 

Pour ne pas allonger indéfiniment cette notice,

nous ne donnerons pas la longue liste des travaux de M. Rochard.

Nous ne citerons que les plus importants :

en 1874 a paru son Histoire de la chirurgie française au 19e siècle ;

en 1880, paraissait un volume intitulé :

Blessures causées par les substances explosives.

C'est sous sa direction, et avec la collaboration de plusieurs médecins,

parmi lesquels nous voyons figurer le nom de son fils aîné,

qu'a commencé à paraître, en 1890, l'Encyclopédie d'hygiène et de médecine publiques, dont huit gros volumes ont paru.

Tout récemment, avec la collaboration du médecin en chef Bodet,

nous avons eu le Traité d'hygiène, de médecine et de chirurgie navales.

Nous ne devons pas omettre de dire que, collaborateur au Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, c'est lui qui a rédigé les articles Acclimatement, Air marin, Béribéri et Dengue.

 

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Depuis sa mise à la retraite, M. Rochard a publié dans la Revue des Deux Mondes des articles qui ont ensuite

été réunis en volumes sous les noms de Nos Fils et de Questions d'hygiène sociale.

La Revue du 1er  août dernier contenait un très intéressant travail sur les Eaux potables.

 

Ce que bien peu de personnes savent, ce que nous ignorions nous-même, nous qui l'avons bien connu,

c'est que M. Rochard était poète et ce n'est pas sans émotion que nous avons lu les vers patriotiques

qui nous ont été communiqués.

 

En 1875, M. Rochard fut nommé membre du comité consultatif d'hygiène publique.

En 1877, l'Académie de médecine lui ouvrait ses portes et, en 1894, il en devenait le président.

En 1881, il était nommé président de la société de médecine publique et d'hygiène professionnelle.

Le gouvernement le déléguait en 1885 à la conférence sanitaire internationale de Rome.

L'année suivante il entrait au comité d'hygiène et de salubrité du département de la Seine et, sept ans plus tard, il en devenait président.

Enfin, en 1887, nous le voyons président de l'Association française pour l'avancement des sciences, président de la 2e section du conseil supérieur de l'assistance publique et président de la section d'hygiène sociale à l'exposition universelle.

M. Rochard était grand officier de la Légion d'honneur.

 

Pendant tout le temps qu'il a été au service, M. Rochard s'est montré un homme d'une extrême bienveillance

pour ses subordonnés, d'une grande bonté pour les marins, soldats et ouvriers de nos ports,

qui jamais ne s'adressaient en vain à lui dans les circonstances où il pouvait leur être utile.

Comme exemple de sa bonté, nous ne pouvons résister au désir de raconter un fait dont nous avons été témoin.

Il y a 17 ans, nous nous trouvions un matin dans le bureau de l'inspecteur général, quand un invalide,

amputé d'un bras et portant sur sa capote militaire la croix de la Légion d'honneur, se présenta dans le bureau.

C'était un ancien second maître canonnier, qui avait perdu un bras à Mogador et qui venait réclamer au sujet

d'un secours que la marine lui accordait tous les ans et qui, cette fois, était en retard.

Le fait n'était nullement dans les attributions du service de santé, et l'inspecteur général expliqua au vieux brave

où il devait aller réclamer.

Mais celui-ci, ne comprenant à peu près rien aux explications qui lui étaient données, M. Rochard, qui,

dans le moment, n'avait aucun gardien près de lui, alla lui-même conduire l’invalide au bureau compétent

et rentra à son cabinet peu après tout heureux du service qu'il avait pu rendre.

 

M. Rochard a été l'époux le plus tendre et le plus dévoué, le père de famille le meilleur que l'on puisse rencontrer ; aussi le moment de la séparation a-t-il été bien cruel pour sa veuve et ses enfants, qui sont au nombre de quatre.

L'ainé des fils, après avoir été médecin de 1ère classe de la marine, a quitté le service pour suivre une autre voie.

Il est aujourd'hui chef de clinique à l'Hôtel-Dieu de Paris.

Le plus jeune, capitaine d'infanterie, va sortir prochainement de l'école de guerre.

L'ainée des filles est mariée au fils d'un grand artiste, le capitaine de frégate Simart, chef du service météorologique du service hydrographique de la marine.

 

E. L. M.

​

Malgré son grand âge, M. Rochard avait conservé toute la vivacité

de la jeunesse.

L'esprit était resté chez lui aussi alerte que le corps, et sa famille pouvait espérer le conserver longtemps encore.

​

Malheureusement, au mois d'avril dernier, des accidents graves,

suite de l'attentat dont il avait été victime ; se produisirent chez lui.

Il dut subir plusieurs opérations.

Les craintes qu'inspirait son état étaient très vives.

Il put cependant, au commencement de juillet, assister au mariage du plus jeune de ses fils et partir pour Versailles.

Mais, hélas!

L’état de prostration dans lequel tomba bientôt le pauvre malade

ne laissa ni à lui ni à personne le moindre doute sur l'issue prochaine

de la terrible crise qu'il traversait.

Le 14 de ce mois, il expirait, entouré de toute sa famille.

 

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