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Fenêtres sur le passé

1895

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Le vaccin du Croup

Le vaccin du Croup.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 21 janvier 1895

 

Auteur Dr Adolphe Bonain

 

Avant peu, le sérum antidiphtérique, préparé par l'institut Pasteur, sera produit en quantité suffisante

pour que tout médecin puisse s'en approvisionner et se trouver en mesure de traiter,

avec de grande chances de succès, tout cas de diphtérie venant à se déclarer dans sa clientèle.

 

Je pense donc rendre service au public et peut-être aussi à mes confrères en donnant quelques détails

sur ce nouveau traitement dont j'ai suivi assidûment à Paris un mois durant, l'application dans les services

de diphtérie de l'hôpital Trousseau et des Enfants malades

et que j'ai déjà moi-même appliqué dans un certain nombre de cas.

​

Outre qu'il n'est pas mauvais de répéter certaines choses

souvent oubliées ou mal comprises, je crois utile d'émettre

à ce sujet quelques avis d'ordre tout à fait pratique.

 

Une des causes de la mortalité considérable occasionnée

par la diphtérie (angine couenneuse et croup) est certainement,

en dehors de la gravité de cette maladie, le retard apporté

la plupart du temps à son diagnostic et à son traitement.

 

Il est d'observation courante pour tout médecin de n'être appelé auprès d'un enfant atteint de diphtérie que bien souvent plusieurs jours après le début de l'affection.

 

Vaccin du croup hopital Trousseau _02.jp

André Brouillet

Le vaccin du Croup à l'hôpital Trousseau

Et cela tient à la marche insidieuse de la maladie qui, dans beaucoup de cas s'établit sans fracas

avec des allures de simple indisposition.

 

L'enfant paraît un peu fatigué, légèrement abattu ;

mais souvent rien n'attire l'attention du côté de la gorge qu'on ne songe pas à examiner.

 

Quelquefois, en cas de croup d'emblée, survient une toux légère semblable d'abord à celle d'un rhume ordinaire,

puis prenant peu à peu un timbre rauque n'ayant rien d'absolument caractéristique ;

la voix s'enroue parfois légèrement.

 

Si l'on examine la gorge, on peut n'y rien trouver de particulier et penser qu'il ne s'agit que d'un rhume,

d'une laryngite ou d'une bronchite légère.

 

Mais la situation s'aggrave ;

l'angine prend un caractère sérieux qui attire un peu tard l'attention ;

le croup s'affirme par des accès de suffocation, une toux étouffée cette fois, bien caractéristique,

et l'embarras progressif de la respiration.

 

C'est alors seulement que bien souvent les parents, effrayés, songent à appeler le médecin.

 

Quelquefois, celui-ci, s'il n'existe dans l'arrière-bouche aucune manifestation visible de la diphtérie,

hésite encore à reconnaître le croup, croit à une laryngite striduleuse ou même, chez les tout jeunes enfants,

à un spasme de la glotte.

 

Actuellement, il est assez facile dans ces cas douteux, grâce au concours des cultures sur sérum

et de l'examen bactériologique, de faire cesser du moins, au bout de 24 heures, toute incertitude ;

mais l'examen bactériologique est encore des plus utiles dans les cas où la présence de fausses membranes visibles dans la gorge rend très probable le diagnostic de diphtérie.

​

Toutes les angines couenneuses, tous les croups même,

ne sont pas, en effet, de nature diphtérique ;

et s'il est sans danger, en l'absence d'un diagnostic précis,

de faire par mesure de précaution, une injection de sérum antidiphtérique, il est au moins inutile de continuer ce traitement, s'il ne s'agit pas de diphtérie.

 

Il peut, au contraire, être utile d'instituer dans ces cas

un autre traitement.

 

Avant l'emploi du sérum antidiphtérique, une angine couenneuse, un croup même traités tout à leur début, pouvaient encore,

dans un certain nombre de cas, se terminer par la guérison.

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Vaccine _01.jpg

Harris & Ewing photograph collection

Library of Congress Prints and Photographs Division

Washington, D.C

Hélas ! Même avec le précieux moyen de traitement que nous possédons maintenant,

plus l’on s’éloigne du début de la maladie et plus aussi diminuent les chances de guérison.

 

Le laboratoire municipal de chimie de notre ville est actuellement en mesure de fournir aux médecins

les renseignements que peut donner l'examen bactériologique pratiqué soit directement

à l'aide d'une fausse membrane, soit indirectement à l'aide des cultures sur sérum coagulé.

 

L'examen d'une fausse membrane permet un diagnostic rapide, immédiat ;

l'examen par les cultures exige 24 heures.

 

Les fausses membranes devront être adressées au laboratoire, enveloppées dans un morceau de taffetas gommé, renfermé lui-même dans un tube de verre bien bouché.


Pour les cultures, le laboratoire municipal tient à la disposition des médecins des tubes de sérum coagulé

et des spatulés pour l'ensemencement.

 

Pour le transport, ces tubes devront eux-mêmes être enfermés dans un étui ou une boîte métallique.

L'ensemencement des tubes de sérum est chose des plus simples.

Il n'est pas besoin pour cela, comme certains peuvent le croire, de taillader le sérum à l'aide de la spatule ou même, comme je l'ai vu faire, de labourer, comme un véritable champ, ce milieu de culture.

 

Il suffit de déposer légèrement à la surface, du sérum solidifié, en traçant des lignes parallèles au grand axe

de cette surface, les produits recueillis à l'aide de la spatule, dans la gorge du malade.

​

Pendant ce temps, le bouchon d'ouate aseptisée qui ferme le tube sera tenu avec précaution entre deux doigts de la main gauche, pour lui éviter toute souillure ;

et l'ensemencement terminé, on en bouchera de nouveau le tube.

 

Les produits à ensemencer ne doivent pas être trop abondants ;

on en obtiendra en quantité suffisante par un léger raclage

des fausses membranes, ou, en l'absence de celles-ci,

de la muqueuse du pharynx, en ayant soin de s'approcher

le plus possible de l'entrée du larynx.

 

Avant comme après l'ensemencement, la spatule sera passée

à la flamme d'une lampe à alcool et pour plus de sureté,

après l'ensemencement, portée au rouge.

 

L'étuve à 37° du laboratoire municipal, destinée à recevoir

les tubes ensemencés, fonctionne jour et nuit ;

il sera donc facile pour les médecins de la ville d'y aller à n'importe quel moment déposer des tubes.

En présence d'un cas douteux, s'il n'existe aucun symptôme

tant soit peu grave, on peut attendre le résultat de l'examen bactériologique pour instituer le traitement

par le sérum antidiphtérique.

 

Vaccine _02.jpg

Harris & Ewing photograph collection

Library of Congress Prints and Photographs Division

Washington, D.C

Il se trouve, au contraire, impuissant à combattre les lésions déjà déterminées par le poison diphtérique

dans les divers organes, ainsi que les complications pulmonaires qui peuvent se produire

dans les cas traités tardivement.

 

Les seuls inconvénients du sérum paraissent être, quelquefois, une réaction fébrile modérée, des éruptions variées apparaissant le plus fréquemment dans les huit jours qui suivent le commencement du traitement ;

enfin, plus rarement, du gonflement douloureux des articulations,

accompagné d'une fièvre qui peut durer quelques jours.

La dose de sérum à employer varie d'après l'âge du malade, le moment où est commencé le traitement,

la gravité des symptômes observés et les résultats de l'examen bactériologique qui fait connaître la variété

des bacilles diphtériques et les autres micro-organismes qui si souvent leur sont associés.

 

Chez les enfants au-dessous d'un an, on peut prendre comme règle d'injecter autant de centimètres cubes de sérum que l'enfant compte de mois.

 

Au-dessus de cet âge, il suffit de cinq à dix centimètres cubes pour les diphtéries bénignes prises au début ;

pour les cas d'allure plus grave ou datant déjà de plusieurs jours, on injectera, suivant les circonstances

de dix à vingt centimètre en répétant, s'il le faut, les injections à douze heures d'intervalle.

 

Pour les adultes, des dose de quinze à vingt centimètres cubes par injection paraissent suffisantes.

 

On se guidera, pour la répétition des injections, sur l'état du pouls, de la respiration,

de la température et des symptômes locaux.

 

À moins de complication intercurrente, on ne peut considérer la maladie comme terminée

tant que la température rectale dépasse 38°

(on sait que cette température est d'un degré environ plus élevée que la température prise dans le creux de l'aisselle).

 

D'ordinaire, après l'injection, la température s'élève un peu ;

mais cette élévation ne doit pas persister plus de douze heures.

 

La présence de l'albumine dans les urines, toujours utile à constater paraît être un indice d'importance secondaire

au point de vue de la répétition des injections.

Injecté à la dose de cinq centimètres cubes, le sérum met d'une façon passagère (quatre à six semaines)

à l'abri de la diphtérie.

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Vaccine _03.jpg

1920

American National Red Cross photograph collection

(Library of Congress)

On peut donc faire des injections préventives

aux personnes exposées à la contagion.
 

La manière de pratiquer les injections de sérum est des plus simples.

 

Voici les recommandations faites à ce sujet par le service du sérum antidiphtérique de l'institut Pasteur :

​

« On doit faire les injections dans le tissu cellulaire sous-cutané, au niveau du flanc, en prenant toutes les précautions antiseptiques nécessaires. 

On lave d'abord la région avec de l'eau phéniquée à 2 %

ou avec une solution de sublimé au millième ;

puis, au moment même de pratiquer l'injection, on stérilise la seringue et la canule en les plongeant dans l'eau froide,

que l'on porte ensuite à l'ébullition pendant un quart d'heure. 

On recouvre avec du coton aseptique l'endroit où la piqûre a été faite. 

Avant d'injecter le sérum, il est nécessaire de s'assurer qu'il est resté limpide ;

un très léger précipité, rassemblé au fond du flacon, n'indique pas une altération ».

 

La seringue une fois refroidie, on puisera directement dans le flacon la quantité de sérum nécessaire.

​

À l'hôpital Trousseau, on a pratiqué pendant quelque temps

des attouchements de la gorge à la glycérine salicylée ;

à l'hôpital des Enfants malades, on se contentait de faire matin et soir,

à l'aide d'un irrigateur, des lavages à l'eau bouillie additionnée

d'un peu de liqueur de Labarraque ;

à l'hôpital des enfants de Budapest, on ne fait aucun traitement local.

 

Or, les statistiques obtenues dans ces trois établissements donnent

à très peu près les mêmes chiffres de guérisons.

 

Liqueur de Labarraque.jpg

Sur les conseils de M. le docteur Roux, je me suis servi, dans plusieurs cas d'angine couenneuse,

comme moyen adjuvant, de bonbons au bleu composé et à la saccharine qui ont été presque toujours bien acceptés

et en tous cas bien supportés par les enfants.

 

Sucés de temps en temps, ils peuvent dans une certaine mesure s'opposer au développement des micro-organismes existant dans l'arrière-bouche.

Contre le croup, certains moyens adjuvants ont, à mon avis, la plus grande utilité.

 

Ce sont les inhalations de vapeur d'eau mêlée ou non d'essence de térébenthine et en cas de difficulté marquée

de la respiration, les sublimations de calomel suivant la méthode américaine, dite méthode de Brooklyn.

 

Ce dernier moyen permet assez fréquemment d'éviter l'intervention opératoire.

​

Il consiste essentiellement à faire évaporer au-dessus de la flamme d'une lampe

à alcool, sur une petite plaque de fer blanc creusée en son milieu

d'une légère dépression, un gramme environ de calomel très pur.

 

Cette évaporation ou sublimation doit être faite sous une tente bien close,

dressée autour du lit du malade.

 

Une fois le calomel complètement évaporé, la lampe est éteinte et la tente est maintenue fermée pendant dix minutes.


Ces sublimations peuvent être répétées à deux heures d'intervalle,

jusqu'à soulagement complet de la gêne respiratoire.

 

Elles n'ont en tous cas aucun inconvénient, et je les ai plusieurs fois employées

avec succès dans des cas de croup traités en même temps par le sérum.

 L'action de ces sublimations me paraît être locale et d'ordre purement physique.
 

calomel.jpg

Quand le croup est traité tardivement, quand il existe une gêne très marquée de la respiration,

il faut bien empêcher le malade de périr asphyxié par l'obstruction des voies aériennes

que détermine la présence des fausses membranes.

 

Il s'agit de gagner du temps et de permettre au sérum d'agir utilement ;

or, sous son influence, les fausses membranes ne commencent guère à se détacher qu'au bout de vingt-quatre heures.

 

Si dans quelques cas on a vu des enfants présentant une gêne assez marquée de la respiration se rétablir

sans accident, sous la seule influence du sérum, il faut bien savoir que faute d'intervenir en temps utile

contre l'obstruction des voies respiratoires, on s'expose à de cruels mécomptes.

 

Si donc la gêne respiratoire devenue menaçante ne s'atténue, ni sous l'influence des injections de sérum,

ni par le moyen des sublimations de calomel, il faudra rétablir le libre accès de l'air dans les poumons

par une intervention opératoire :

intubation du larynx ou, à défaut, trachéotomie.
 

En terminant, afin de bien fixer les esprits sur la valeur du nouveau traitement de la diphtérie,

exposons les résultats qu'il a permis d'obtenir ;

ils sont comme on le verra des plus encourageants.

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Les chiffres que nous allons citer ont été fournis par M. Peyron,

directeur de l'administration de l'Assistance publique, le 10 décembre dernier,

au comité consultatif d'hygiène de France.

 

Ils portent sur tous les enfants entrés dans les pavillons réservés à la diphtérie depuis l'application du traitement par le sérum antidiphtérique,

qu'il s'agisse ou non d'une diphtérie confirmée par l'examen bactériologique

et relevant de ce traitement.

 

Le contrôle médical a écarté certains cas où la méthode ne s'appliquait pas ;

mais il n'a modifié les chiffres donnés que dans un sens favorable à cette méthode.

La sérumthérapie a commencé à être appliquée à l'hôpital des Enfants malades

le 1er février, et à l'hôpital Trousseau le 18 septembre seulement.

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Docteur Louis Ernest Peyron 1836 - 1908.

M. Peyron

Collection INJS

Sur 1027 malades entrés pour diphtérie dans ces deux hôpitaux, il s'est produit 203 décès,

soit une mortalité de 19,7 %.

 

Or, avant l'emploi du sérum contre la diphtérie, de 1887 à 1893, sur 13,245 cas traités dans ces mêmes hôpitaux,

il s'était produit 7,536 décès, soit une mortalité de 56,8 %.

 

L’écart existant entre ces deux chiffres de mortalité, 19,7 % et 56,8 % est assez significatif.

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Le jour de la visite à l'hopital.jpg
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