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Fenêtres sur le passé

1895

Tragédie dans un noisetier

Je possède devant ma maison un clos planté de vieux arbres

où maints couples de volatiles trouvent une demeure hospitalière.

 

Du printemps à l'automne, moineaux, pinsons, fauvettes, merles et rouges-gorges

y viennent nicher en toute tranquillité.

 

Afin de leur donner une pleine sécurité, j'ai mis au cou de mon chat un collier muni d'un grelot avertisseur,

de sorte que mes hôtes emplumés, prévenus de loin des marches et contre-marches de l'ennemi,

peuvent se garer de ses griffes.

 

Aussi mes oiseaux, assurés de vaquer librement à leurs amours et à leurs occupations,

abondent-ils sous les ramures de mon jardin a demi-sauvage.

 

Cet été, au commencement de juillet, je m'intéressais particulièrement au manège d'un ménage de merles

qui était venu cohabiter dans les branches touffues d'un noisetier.

 

J'aime les merles.

 

Leur va et vient familier, leur physionomie éveillée et spirituelle, leurs réveillantes chansons du matin et du soir

me les rendent spécialement sympathiques.

 

Dès l'aube, le ménage m'éveillait par ses allègres sifflements et m'invitait à me mettre au travail.

 

À la tombée du jour, je prenais plaisir à suivre les promenades du mâle sur la pelouse, tandis que,

tout noir dans l'herbe verte, il enfonçait son bec jaune dans la terre humide et faisait la chasse aux vermisseaux.

 

Souvent sa femelle l'escortait, en costume gris, discrète, effacée et silencieuse.

 

Puis, de compagnie, ils rentraient au gîte et longtemps encore, dans l'ombre crépusculaire,

j'entendais les gloussements du couple, très affairé à s'installer commodément pour la nuit.

 

Le nid avançait.

 

Avec d'infinies précautions, je me glissais parfois sous le couvert des noisetiers et j'en constatais les progrès.

 

II était posé à deux pieds du sol, dans la fourche de deux branches moussues,

comme en prévision des inondations possibles.

Source : La Dépêche de Brest 20 août 1895

 

Auteur : André Theuriet.

 

Ces quatre dernières semaines de continus orages, de pluies torrentielles traversées

de grêles et d’éclairs, ont été dures pour les pauvres gens et les pauvres bêtes,

pour tous ceux qui sont obligés de gagner leur vie au jour le jour.

 

Songez, par exemple, aux transes des oiseaux, à leurs misères pendant

ces nuits tempétueuses et ces longues journées entrecoupées de pâles coups de soleil et de ruisselantes averses.

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André Theuriet

Académie Française

On l’avait enduit d'argile au dehors.

 

Ainsi maçonné à l'extérieur, industriellement tressé de brindilles,

d'herbe et de racines à l'intérieur,

il était en outre douillettement matelassé de mousse.

 

Un matin, j'y aperçus cinq œufs d'un vert bleuâtre taché de rouille,

et la femelle se mit à les couver.

 

Pendant ce temps, le père sautillait d'arbre en arbre et sifflait

de tout  cœur en quêtant mouches et chenilles qu'il rapportait,

coupées en morceaux, à sa couveuse.

 

Tout alla bien jusqu'à l'éclosion des œufs.

 

Les petits, tassés dans le nid, ouvrant leur bec à chaque bruissement d'ailes de leurs parents, commençaient à s'emplumer, quand, brusquement, le temps changea.

 

Les averses alternèrent avec les soleillées et les nuits chaudes

furent troublées par des grondements d'orage.

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Le couple, voyant les oisillons déjà drus et forts, ne continuait pas moins, en dépit des ondées,

à quêter aux entours de quoi sustenter ces cinq affamés.

 

Un soir de dimanche, un orage éclata violemment, suivi d'une véritable trombe d'eau.

 

En un clin d'œil, les allées se transformèrent en ruisseaux, les paquets de pluie tombaient sur les arbres échevelés

avec des bruits de seaux d'eau bruyamment vidés.

 

Toute la nuit un bouillonnement de cascade résonna dans le jardin.

 

À l'aube, quand le ciel enfin s'éclaircit, les allées ravinées et jonchées de débris de feuilles,

les pelouses aux herbes couchées, les fleurs souillées de terre,

donnaient l'idée d'un terrain sur lequel a débordé une rivière détournée de son lit.

 

Dès que j'eus mis le pied dans le clos, le jardinier, qui s'intéressait comme moi à la nichée,

m'aborda d'un air consterné :

« Monsieur, dit-il, venez voir, l’érabénée de cette nuit a noyé les jeunes merles ! »

Nous nous glissâmes sous le couvert humide des noisetiers et j'aperçus, en effet, les cinq petits déjà emplumés, morts dans leur nid à demi effondré.

 

La trombe avait, sans doute, surpris le père et la mère dans l'une de leurs quêtes

à nourriture et ils n'avaient pu regagner leur gite.

 

L'eau, tombant par paquets, avait violemment écarté les ramures protectrices

du noisetier et submergé les cinq malheureux merlereaux dans leur nid.

 

Tandis que nous regardions, apitoyés, les cinq mignons cadavres aux plumes collées sur le corps rigide, le merle et la merlette voletèrent tout autour

sur les arbres voisins en poussant des cris aigus, et c'était navrant.

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André Theuriet

Académie Française

Fort heureusement et par une sorte de grâce,

les pauvres gens n'ont pas le loisir de s'abandonner longuement à leur chagrin.

Le souci du pain quotidien à gagner à la pointe de l'épée les arme d'une résignation philosophique.

 

Je me souviens toujours de la réponse d'une Bretonne, femme d'un pêcheur de Douarnenez,

qui venait de perdre un enfant de quatre ans.

 

Comme, à la sortie du cimetière, je compatissais à sa douleur:

« Que voulez-vous, me dit-elle en essuyant ses yeux, c'est de l'ouvrage à refaire !... »

 

C'est ce que se diront sans doute aussi le merle et la merlette, car, la semaine d’après,

je les ai surpris en train de rebâtir un nid.

 

Cette fois, ils l'ont placé au cœur d'un tuya que recouvre un épais manteau de clématite.

 

Et, mentalement, j'ai fait une prière au dieu des oiseaux, je lui ai demandé comme Horace, pour le vaisseau de Virgile, d'épargner au nouveau nid l'influence des tristes Hyades et la rage du Notus

et de ne faire souffler à l'entour que le doux Japyx, plus connu sous le nom de Zéphyre.

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