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Fenêtres sur le passé
1895
Tentative de meurtre pour un parapluie à Mespaul
Source : La Dépêche de Brest 3 mai 1895
L'accusé Ambroise Guillou, âgé de 27 ans, est un cultivateur du pays de Léon, d'une taille au-dessous de la moyenne, l'air assez éveillé.
M. Drouot, procureur de la République, soutiendra l'accusation.
Me Huet, du barreau de Morlaix, est au banc de la défense.
L'acte d'accusation est ainsi conçu :
Le 6 janvier dernier, dans la soirée, Jézéquel et son domestique Roignant, en rentrant chez eux,
en la commune de Mespaul, rencontrèrent le nomme Ambroise Guillou, avec lequel ils s'étaient trouvés
dans un cabaret et qui leur réclama son parapluie.
Ils lui répondirent et lui firent voir que celui qu'ils portaient à la main était bien le leur et qu'il avait sans doute laissé le sien au cabaret.
Guillou n'en persista pas moins dans ses réclamations et il essaya en vain de leur arracher leur parapluie,
qu'il parvint seulement à déchirer ;
puis, abandonnant la route, il entra dans un champ et leur jeta des pierres tout le long de leur chemin.
Arrivés près de la maison où demeurait la famille de Guillou, Roignant voulut y entrer pour bien montrer
que le parapluie dont ils étaient porteurs n'était pas celui d'Ambroise, ce qui fut reconnu.
Celui-ci, pendant ce temps, était allé chercher dans la grange son fusil, qu'il savait chargé, et, le déposant sur la table, à côté du parapluie, il dit à Roignant :
« Voilà qui est pour toi ! »
puis il poussa Roignant hors de la maison en lui donnant des coups de pied dans les jambes.
Roignant, effrayé par les menaces qui lui étaient faites, sortit précipitamment, après avoir tenté de se réfugier
dans une maison voisine dont il ne put se faire ouvrir la porte.
Entendant sortir son domestique, Jézéquel, qui était dans l'aire
à battre, de l'autre côté de la maison, l'appela inutilement
et appela ainsi l'attention de l'accusé.
Celui-ci, en effet, lui dit aussitôt :
« Ah ! Tu es là ? »
et il rentra précipitamment chez lui pour s'armer de son fusil.
Fouctoul, beau-frère de Guillou, devinant l'intention criminelle
de ce dernier, qui venait de lui demander si le fusil était chargé,
en prévint Jézéquel en l'engageant à partir en toute hâte.
Cet avertissement opportun décida Jézéquel à s'enfuir,
mais il fut aussitôt poursuivi par Guillou, qui courut derrière lui
en tenant son fusil horizontalement entre les mains
et en se préparant à l'épauler et à faire feu.
Il fit feu, en effet, dès qu'il put mettre en joue celui qu'il poursuivait et dont il n'était séparé alors
que par 40 ou 50 pas.
La charge du fusil, suivant heureusement une direction trop basse, s'enfonça dans la terre détrempée du chemin avant d'atteindre celui auquel elle était destinée.
Au moment où il pressait la détente de son arme, l'accusé disait à Jézéquel :
« Ah te voilà ? Il y en a encore pour toi ! »
Guillou prétend avoir tiré en l'air afin d'effrayer seulement ceux qu'il voulait éloigner de chez lui, mais il reçoit
sur ce point un démenti formel des témoins qui l'ont vu abaisser son arme et tirer dans la direction de Jézéquel.
L'intention criminelle de Guillou ressort pleinement de plusieurs circonstances :
Le soin qu'il prend de s'assurer que son arme est chargée, la crainte que lui exprime son beau-frère
de le voir aller au bagne ; enfin, elle ressort des déclarations mêmes de l'accusé.
Guillou n'a pas d'antécédents judiciaires, mais il passe pour être d'un caractère violent et querelleur.
Après cette lecture, il est procédé à l'interrogatoire de l'accusé.
D. — Le 6 janvier, vous aviez bu dans plusieurs débits ? Vous étiez ivre ?
R. — Non, par exemple.
Le président. — Vous aviez bu, beaucoup bu même, c'est certain ;
Vous avez rencontré Roignant et Jézéquel dans le débit Herry.
Après avoir passé rapidement sur les préliminaires de la scène du parapluie, le président dit que la défense est sans doute d'accord avec l'accusation sur ce point que l'accusé était convaincu que Jézéquel avait pris son parapluie.
Où était-il ?
Je pourrais l'établir, ajoute le président ;
mais enfin, n'essayons pas d'éclaircir ce détail assez embrouillé, et arrivons â la scène du coup de fusil.
D. — Il y a eu certainement querelle.
Vous avez porté et vous avez reçu des coups ;
Vous êtes alors allé chercher un fusil dans la grange ?
R — Oui.
D. — Votre beau-frère vous a dit qu'il était chargé?
R. — Je le savais.
D. — Bon. Vous répondez avec franchise.
N'avez-vous pas dit à Roignant, qui prenait le parapluie
de Jézéquel :
« Laisse ce parapluie ou cela est pour toi » ?
R. — Je n'ai pas dit cela.
D. — Roignant court se cacher chez un voisin.
On entend alors Jézéquel dans le chemin creux.
Votre beau-frère lui dit :
« Va-t’en, on va tirer », et brusquement vous sortez, tenant le fusil horizontalement ;
Vous épaulez et faites feu à quarante pas sur Jézéquel ?
R. — J'ai tiré en l'air.
Le président. — Nous verrons que ce n'est pas exact.
Vous serez démenti, en effet, par votre beau-frère et d'autres témoins.
On fait passer des plombs aux jurés.
C'est du plomb n° 4.
Quatorze témoins sont entendus, dont les dépositions confirment l'acte d'accusation.
Puis M. Drouot prononce le réquisitoire.
Il rappelle les faits.
Guillou, dit-il en terminant, a tiré sur Jézéquel.
Est-ce une simple voie de fait ?
Voulait-il le tuer ?
La nature de l'arme le démontre.
Évidemment, il n'y a pas ici de préméditation poussée jusqu'à l'assassinat ; mais il y a un attentat contre la vie humaine, un acte qui sollicite
et exige une salutaire répression.
Me Huet présente ensuite la défense de Guillou.
Il examine à son tour les faits et conclut que les torts sont à Jézéquel
et à Roignant, qui ont exercé des violences sur Guillou.
Les faits constituent un délit passible d'une peine correctionnelle,
mais Guillou ayant déjà fait quatre mois de prison préventive,
le défenseur demande un verdict d'acquittement.
Guillou est acquitté.