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Fenêtres sur le passé

1895

Les sites à visiter : Ouessant

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Source : La Revue Mame 16 juin 1895

 

Auteur Ch. de la Paquerie

 

L’ile d’Ouessant compte environ vingt-huit à trente kilomètres de tour, soit huit kilomètres de la pointe de Pern au bout de la presqu’île

de Pen-ar-lan,de l’est à l’ouest et du nord au sud,

quatre kilomètres de l’extrémité de Cadoran à la pointe de Veil-Goz.

 

Je connais, outre la baie de Lampol ou Porz-Pol, ainsi désignée suivant

la légende par le débarquement de saint Pol revenant d’Irlande,

les anses ou baies de Beninou,la baie du Stiff, le port d’Arland

et la crique de Porz-Guen.

En général, les côtes sont très découpées, élevées au-dessus de

l’Océan de quarante à soixante-dix mètres et protégées

par une série d’écueils formidables.

Deux vallées parallèles se partagent le centre de l’ile, et au fond de chacune coule un petit ruisseau.

Sauf la presqu’île de Pern et celle de Cadoran, la terre est fertile,

et toutes les récoltes que j’y ai vues étaient de belle apparence.

Sur certaines pointes ce sont des tapis de serpolet, de thym

et d’herbes aromatiques qui exhalent des senteurs délicieuses.

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Les moutons y trouvent une pâture abondante et parfumée ; les chevaux, autrefois de très petite taille,

se sont transformés par suite de la venue d’étalons plus vigoureux ;

mais ils ont perdu en élégance et en sobriété ce qu’ils ont gagné en ampleur et en force.

Cependant j’ai vu quelques types de la race fort convenables, blancs de robe avec une longue queue soyeuse,

la croupe bien faite, la tête fine.

En réalité, je les crois un peu des bêtes de luxe, étant donné le peu d’étendue de l’île et la grande division du territoire.

La race bovine est la même que celle du Bas-Léon, seulement un peu plus petite.

 

Le lait et le beurre sont très parfumés et d’une saveur délicieuse.

Quelque chose attriste beaucoup l’aspect général de l’île :

le manque d’arbres.

Jadis, d’après les dires des anciens, le bois ne manquait pas.

Mais l’incurie, les moutons, les tempêtes, les ont détruits,

et de nos jours on n’en replante plus.

 

À part les oiseaux de mer, les autres volatiles sont d’espèces peu nombreuses.

Je n’ai vu que la crécerelle, le grand corbeau, la corneille mantelée, la crave à bec rouge, le moineau domestique,

la linotte, le bruant jaune et le troglodyte de vraiment indigènes.

L’hirondelle, le martinet, le coucou, y passent seulement l’été.Quant aux hiboux, busards et autres oiseaux de proie, ils ne sont que de passage et ne nichent pas dans l’île.

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Cette côte se trouve au sud de l’île d’Ouessant.

Elle est remarquable par l’aspect déchiqueté et dentelé de ses rochers, dont la silhouette parfois fantastique a un caractère tout particulier.

Le nombre des oiseaux de mer et de rivage est prodigieux :

courlis, pluviers, vanneaux, huîtriers ou pies de mer, hérons, mouettes, goélands, cormorans, puffîns, macareux, plongeons, fous, bernaches, oies et cygnes.

C’est par troupes qu’ils s’ébattent sur les brisants, nichent dans les falaises, ou volent au-dessus des vagues.

 

Il n’existe dans l’île ni couleuvres ni vipères, mais beaucoup de crapauds et quelques grenouilles

et surtout de jolis lézards gris à foison.

J’ignore si l’on trouve à Ouessant des salamandres.

Les insectes sont à peu près les mêmes que dans le reste de la Bretagne, sauf les fourmis,

dont je n’ai guère vu de types.

Les poissons sont semblables à ceux des autres côtes armoricaines, seulement les crustacés abondent

et sont de taille remarquable.

On y voit aussi des peaux- bleues, sortes de requins

de deux à trois mètres de longueur.

 

Les côtes de l’île sont granitiques ou schisteuses, percées surtout sur la côte sud et nord de cavernes et de grottes très profondes.

Une belle grève, celle de Toul-al-Lann,

termine le fond de la baie de Porz-Pol.

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C’est une plage de sable fin très uni, où l’on pourrait facilement établir une station balnéaire.

Mais les touristes et les baigneurs sont encore bien rares à Ouessant.

 

La race ouessantaise est-elle de pure souche celtique ?

Telle est la question que je me suis bien souvent posée, en voyant passer ces femmes très grandes à larges épaules, aux bras forts, et dont la démarche est toute virile.

N’y aurait-il pas eu, au moyen âge ou dans l’antiquité, infusion d’un sang méridional ?

Une colonie ibérienne ne serait-elle pas venue échouer dans cette île éloignée ?

Je laisse à de plus savants que moi le soin de répondre à cette énigme.

Mais les traits du visage, la couleur des cheveux diffèrent essentiellement du reste des populations bretonnes : cheveux noirs luisants ou châtains très foncés, yeux couleur pervenche, presque violets ; teint brun, crâne long,

nez droit ou recourbé en bec d’aigle, menton et pommettes saillantes, lèvres minces et dents excessivement blanches, tels me paraîtraient être les principaux caractères de cette population.

Mes observations ont surtout porté sur le sexe féminin, les hommes étant, comme je l’ai dit, assez rares dans l’île pendant mon séjour.

 

Les enfants sont gentils et fort gais.

L’Ouessantais est essentiellement hospitalier et serviable ;

très poli pour les étrangers, très cordial dans ses relations,

il a une dose remarquable de fierté, et quand il vous parle,

on reconnaît en lui le fils d’une vieille race qui a gardé

toutes ses vertus.

 

J’ai vu plusieurs de ces intérieurs de l’île.

L’ensemble est pauvre, mais d’une propreté hollandaise.

 

Familles de marins, on y garde avec amour le nom et les traditions des ancêtres :

dans ces chaumières au toit moussu, aux murs grisâtres,

à peine éclairées par des lucarnes, on découvre pendues au manteau de la cheminée, dans de petits cadres, des croix de Saint-Louis

et de la Légion d’honneur, des médailles sans nombre d’expéditions lointaines, des brevets de sauvetage.

 

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Tel humble pêcheur qui va relever ses casiers, couvert de son ciré huilé, compte une longue lignée d’aïeux,

vainqueurs de Ruyter, combattants de la Hogue, d’Aboukir et de Trafalgar.

 

Toute profession, autre que le métier de la mer, est regardée comme un déshonneur,

et une fille d’Ouessant ne s’unit qu’à un marin.

 

Lors de la construction des phares et de l’église, des ouvriers vinrent en foule du continent

et s’y fixèrent avec leurs familles.

Depuis il y a eu des invasions de pécheurs de Camaret et de Paimpol ;

mais ces colonies étrangères n’ont rien de commun avec la population autochtone de l’île.

 

Chaque année, Ouessant fournit à la marine un contingent respectable, et un vieil insulaire me disait

qu’ils sont au moins cent vingt dans la flotte.

Le costume des pécheurs est celui de tous les pêcheurs bretons.

Celui des femmes est singulier, mais triste.

Le buste est serré par un petit châle noir, retenu par un amarrage très compliqué d’épingles à tête de couleur.

Sur la tête un bonnet noir pareil à celui des enfants,

mais recouvert par une coiffe carrée de dentelle blanche.

Les cheveux sont coupés court et retombent sur les épaules ;

une jupe noire qui recouvre deux autres bleue et rouge,

des bas blancs, des souliers plats complètent leur ajustement.

 

Le costume des nouveau-nés que l’on porte au baptême

est fort curieux.

D’abord l’enfant est emmailloté dans une pièce de laine

du plus beau bleu d’outremer.

Une sorte de sarreau de mousseline blanche, serré à la taille

par une écharpe en satin cerise, recouvre le maillot.

Sur la tête il porte un premier bonnet de mousseline blanche,

et par-dessus un second en moire bleue et rouge avec une ruche

de satin pourpre.

Ce n’est pas vilain dans son ensemble, mais la petite figure

du poupon ressortant toute rose sur cette ruche couleur de sang produit un curieux effet..

 

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Cette scène représente une paysanne décorant sa cheminée

avec des fleurs.

Sur la cheminée sont alignés plusieurs saints

sous de grands globes.

Cet usage est également très spécial à l’île.

Presque tous les Ouessantais parlent le français très purement et presque sans accent.

À la sortie de l’école, j’entendais les enfants me souhaiter le bonjour en bien meilleur français

que ceux des environs de Brest ;

mais le breton est resté la langue courante, intime, et bien des années s’écouleront avant qu’il ne disparaisse.

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