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Fenêtres sur le passé

1895

Riec, un homme pend sa femme

Le crime de Riec _01.jpg

 

Source : La Dépêche 1 février 1895

 

Quand on examine les Statistiques criminelles au point de vue des suicides, on constate que la pendaison

est considérée en général, par les désespérés d'ici-bas, comme un des moyens les plus pratiques pour se lancer

dans l'éternité.

 

L'accusé François Mahé a trouvé, lui, que c'était également le moyen le plus radical de se débarrasser de sa femme.

 

Un jour que cette malheureuse, qu'il battait comme plâtre, revenait à la ferme, il est allé au-devant d'elle et,

profitant de l'occasion, l'a pendue à la branche d'un chêne, voulant ainsi faire croire à un suicide.

Mais, cruelle déception, un de ses enfants, témoin du drame, n'a pas hésité à l'accuser,

et le voilà aujourd'hui assis sur le banc des criminels.

 

Mahé est un homme de 45 ans, de taille moyenne, solide et robuste.

Il est assisté de Me de Chamaillard.

M. Drouot soutiendra l'accusation.

 

Comme pièce à conviction, une grosse corde.

Acte accusation Riec

 

François Mahé et Catherine Berthou, sa femme, cultivateurs, habitaient, avec trois de leurs enfants,

une maison isolée leur appartenant et située près du Pont-La-garde, commune de Riec.

 

Depuis longtemps, une profonde mésintelligence régnait entre les deux époux.

Mahé avait la réputation d'être avare et sournois ;

sa femme s'enivrait fréquemment et les dépenses auxquelles l'entraînait sa funeste passion excitaient la colère

de son mari, qui la maltraitait avec la dernière brutalité.

Ses violences devinrent si fréquentes et prirent un tel caractère de gravité que la femme Mahé manifesta

devant plusieurs personnes la crainte d'être tuée par son mari.

Le 29 septembre dernier, elle se rendit au bourg de Riec

et s'y attarda jusqu'au soir dans les cabarets.

Elle se plaignait de mauvais traitements dont l'accablait son mari et,

vers six heures, en quittant l'auberge de Françoise Brisquay,

elle dit à cette dernière :

« Si mon mari est rentré, je serai tuée ce soir ! »

Ses craintes n'étaient malheureusement que trop fondées.

 

Vers onze heures du matin, Mahé, n'ayant pas trouvé son repas apprêté, était allé manger chez les époux Le Naour, dans un village voisin,

et il leur avait de nouveau exprimé son mécontentement

de la conduite de sa femme.

Il était ensuite rentré chez lui et avait vaqué jusqu'au soir

à ses travaux habituels.

Vers 6 h. 1/2, il fit coucher ses enfants et sortit en dissimulant

sous sa blouse un objet qu'ils ne purent distinguer.

Peu de temps après, sa fille, âgée de 8 ans, et son fils aîné,

âgé de 13 ans, entendirent un cri prolongé poussé à quelque distance

de la maison.

Ils reconnurent la voix de leur mère et se levèrent à la hâte.

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Le fils s'avança dans la petite prairie qui s'étend devant la maison et s'y arrêta pour écouter.

II entendit un piétinement sur le chemin, puis le bruit cessa et il vit son père revenir en courant de cette direction

et regagner le courtil derrière la maison en contournant la prairie.

L'enfant s'engagea alors dans le chemin et, à l'endroit où s'était produit le bruit, il trouva sa mère pendue à un arbre.

Il revint jusqu'à la maison en sanglotant et rencontra son père, qui lui demanda le sujet de ses pleurs.

L'enfant lui dit ce qu’il venait de voir et lui reprocha d'avoir tué sa mère, puis il courut jusqu'au village

de Kerampicard et il raconta en pleurant que son père avait donné la mort à sa mère.

Mahé l'y suivit et essaya vainement de lui imposer silence.

Il prétendit que sa femme s'était pendue elle-même et alla faire déclaration au maire de Riec

et à la gendarmerie de Pont Aven.

 

D’après son récit, sa femme était rentrée, à la nuit, en état d'ivresse, et sortie aussitôt en criant

qu'elle allait se pendre.

Il avait continué à travailler dans son courtil, sans prendre cette menace au sérieux ;

mais, bientôt inquiet, de cette absence, il s'était mis à sa recherche l'avait trouvée pendue

et ne donnant plus signe de vie.

 

Le lendemain, la gendarmerie procéda à une enquête sommaire.

À environ 75 mètres de la maison, elle trouva le cadavre de la femme Mahe pendu, à l'aide d'une corde,

à un des arbres bordant le chemin.

Le corps était suspendu presqu’assis, les jambes étendues en avant reposant sur le sol.

Sur le visage, on remarquait de nombreuses ecchymoses des égratignures récentes.

Cependant, les renseignements recueillis par la première enquête semblaient de nature à faire admettre l'hypothèse d’un suicide,

et l'inhumation du cadavre fut autorisée.

 

Mais bientôt la rumeur publique accusa Mahé d'être

l'auteur volontaire de la mort de sa femme.

 

Une nouvelle enquête releva contre lui les charges les plus graves

et la justice se transporta sur les lieux.

Le corps de la femme Mahé fut exhumé et, mis en présence

de son mari, qui ne manifesta aucune émotion.

 

MM. les docteurs Le Stunff et Grias, commis pour examiner

le cadavre, constatèrent sous le menton plusieurs empreintes ecchymotiques paraissant provenir de la pression des doigts

et indiquant que la mort avait été précédée d'une lutte.

Mais leur attention fut surtout attirée par un double sillon existant autour du cou et que la pendaison seule ne pouvait expliquer.

Pour éclaircir leurs doutes, le corps fut suspendu par une corde

dans la position où les gendarmes l'avaient trouvé.

Ces deux sillons restaient nettement séparés ;

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au-dessus du sillon supérieur que recouvrait la corde, se distinguait une seconde trace circulaire profondément marquée dans les chairs et ne se confondant avec la première en aucune de ses parties.

En présence de ces constatations, les médecins n'hésitèrent pas à affirmer que la femme Mahé avait été étranglée

à l'aide d'une corde et ensuite pendue.

 

Malgré ces charges accablantes, Mahé protestait énergiquement de son innocence.

Enfin, vaincu par l'évidence et devant les accusations formelles de son fils, il a fait des aveux,

tout en se défendant d'avoir préparé et prémédité son crime.

 

Il déclara que sa femme était arrivée près de fa maison en vociférant contre lui des injures.

Cédant alors à un mouvement subit d'exaspération, il était allé prendre la corde dans la maison ;

il avait rejoint sa femme, lui avait passé le nœud coulant amour du cou avant qu'elle eut pu faire aucune résistance, l'avait renversée à terre, avait serré la corde avec les mains jusqu'à ce que sa victime ne donnât plus signe de vie

puis l'avait pendue.

 

Ce récit n'est pas exact.

Les enfants n'ont pas entendu les injures qui auraient été proférées par leur mère.

Ils affirment, en outre, que leur père n'est pas revenu prendre la corde et qu'il avait dû s'en munir avant de sortir.

La précaution qu'il avait eue de prendre cette corde, le soin qu'il avait mis à écarter tout témoin,

la sûreté avec laquelle il avait tout disposé pour faire croire à un suicide, enfin, son sang-froid,

qui ne s'est démenti à aucun instant, tout démontre que son crime était arrêté d'avance dans son esprit

et qu'il attendait sa victime à l'endroit qu'il avait choisi pour lui donner la mort.

 

Mahé n'a pas d'antécédents judiciaires.

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D. — Vous vous êtes marié il y a vingt ans ?

R. — Je me souviens.

 

Le président fait connaître que longtemps l'entente régna entre les époux.

Cependant, le caractère du mari laissait à désirer.

La femme, à la suite d'une maladie, la variole, avait contracté des habitudes d'ivrognerie,

parce qu'elle était malheureuse chez elle et que cette maladie avait influé sur son caractère.

 

Mahé. — J'ai toujours fait ma besogne tant que j'ai vécu avec ma femme.

 

D. — Vous étiez travailleur, c'est indiscutable ;

mais en même temps vous étiez avare, sordide, et vous entendiez que votre femme survint seule aux besoins

du ménage.

R. — Ce n'est pas exact, je lui donnais de l'argent-

Le président. — Nous entendrons les témoins.

 

D. — D'un autre côté, on dit que vous êtes sournois, dissimulé,

et — qu'on me pardonne l'expression, elle est dans la procédure — vous êtes un ours.

Vous ne buviez pas, à cause de votre avarice, mais quand vous pouviez boire sans bourse délier, oh ! alors, vous y alliez largement.

 

Pas de réponse.

 

Le président. — Vous passiez, de plus, pour être d'une violence extraordinaire vous frappiez votre femme de coups de fourche.

R. — Jamais, je ne l'ai frappée ; c'est elle qui m'a frappé plusieurs fois.

 

D. — Vous meniez une vie irrégulière, parfois,

vous couchiez dans le pailler.

R. — Ma femme ne voulait pas me recevoir dans son lit.

 

Le président. — Parbleu ! Je vois dans la procédure que vous aviez alors la gale et on a dû vous envoyer à l'hospice.

 

Après avoir fait connaître cet intérieur,

le président arrive à la scène du crime.

 

D. — La veille, il y a eu une scène de violence inouïe.

Vous avez failli tuer votre femme.

On vous a entendu lui dire : « Tu me paieras cela ! »

R. — Ce n'est pas vrai.

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D. — Le jour du crime, vous étiez très mécontent.

Votre femme avait emporté la clé du buffet par mégarde, et vous êtes allé manger chez des voisins.

Vous avez couché vos enfants et vous êtes sorti ?

R. — Oui.

 

D. — Vos enfants ont remarqué que vous cachiez quelque chose sous vos vêtements.

R. — C'était un morceau de pain.

 

D. — Vos enfants somnolaient.

Tout à coup ils entendirent comme un râle prolongé.

Ce cri les glaça de terreur.

Le petit aîné sortit et entendit un piétinement.

R. — Mes enfants ne m'ont pas vu, moi.

 

D. — Eh bien, racontez comment les faits se sont passés. .

 

Mahé renouvelle le récit reproduit dans l’acte d'accusation.

— J'ai fait, dit-il, un malheur dans un moment de colère.

Le président. — C'est entendu.

C’est votre système. Après ?

 

Mahé. — Je suis allé à la maison prendre une corde.

Ma femme avait fait demi-tour.

Je suis allé après elle, je lui ai passé la corde au cou,

je l'ai étranglée et suspendue.

 

D — Pourquoi l'avez-vous suspendue !

R. — Enfin, je ne peux pas le dire, c'était la colère.

 

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D. — Vous, avez au contraire, montré tout le sang-froid possible, car vous avez voulu faire croire à un suicide,

à tel point que les gendarmes ont tout d'abord admis cette hypothèse de suicide.

R — J'ai déclaré ce que j'ai fait.

 

Le président. — Pas de suite, vous ne l'avez fait qu'après de nombreux interrogatoires

 

Pas de réponse.

 

Le président. — L'accusation vous dira que vous avez prémédité votre crime,

car vous êtes allé chercher l'instrument, la corde.

Vous avez attendu un certain temps, vous avez guetté votre femme et l'avez étranglée.

 

Mahé ne dit mot.

 

Le président fait connaître que la corde avait disparu un individu s'en étant emparé pensant

qu'elle lui aurait porté bonheur dans ses opérations commerciales.  

La branche de l'arbre aussi a été coupée.

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Les témoins à charge sont au nombre de dix-huit.

 

1. — MM. CHARLES et DONNÉ, gendarmes, et M. LE DOUARIN, maréchal des logis de gendarmerie à Pont-Aven,

font connaître successivement les renseignements qu'ils ont recueillis sur cette affaire.

 

Mahé, disent-ils, voulant donner la change à la justice, racontait à qui voulait l'entendre

que sa femme s’était suicidée ;

que, d'ailleurs, le 29 septembre, elle était sortie en criant qu'elle allait se pendre ;

qu'elle se saoûlait journellement, qu'elle abandonnait la maison pendant trois ou quatre jours,

laissant ses jeunes enfants sans manger ; quand elle rentrait, c'était pour renouveler ses menaces de suicide.

 

D'un autre côté, l'enquête édifiée par ces témoins a révélé des faits de brutalité commis par Mahé sur sa femme ; souvent, ont raconté les voisins, la mère et les enfants, quand ils étaient maltraités par l'accusé,

allaient se réfugier dans les fermes ;

le mari était brutal et la défunte disait souvent qu'un jour elle serait tuée par lui.

 

2 — La femme BOLOU et son fils Yves, âgé de 15 ans, habitant le village de Lande-Rue, en Riec, ont vu,

le 15 septembre dernier, Mahé frapper sa femme avec une houe et la renverser dans la douve pour lui mettre le genou sur la poitrine et lui porter des coups de pied.

En la quittant, il lui a dit :

« Ce n'est pas fini, tu paieras cela cher ! »

Un instant après, la femme Mahé boitait et saignait de la main ; elle était échevelée et poussait des cris.

Mahé. — Je n'ai fait que pousser ma femme,

car c'est elle qui voulait me frapper avec la houe.

 

La femme Bolou ajoute qu'elle a souvent entendu

la femme Mahé dire qu'elle serait tuée par son mari.

 

3. — Plusieurs témoins, entre autres la femme GUILLOU, aubergiste à Kérès, commune de Riec, ont vu la femme Mahé, le jour du crime ;

ils déclarent qu'elle ne portait aucune trace de blessure,

ni au cou ni à la figure ;

elle était un peu influencée par la boisson.

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4. — BISQUAY (Marie-Françoise), femme MAHÉ, cabaretière à Lanriec, en Riec, déclare :

 

Le 29 septembre dernier, la femme Mahé a passé une partie de l'après-midi dans mon débit,

qu'elle a quitté vers six heures du soir, un peu influencée par la boisson.

En sortant, elle m'a dit :

« Si mon mari est rentré, je serai tuée ce soir ! »

Souvent, d'ailleurs, cette femme s'est plainte devant moi d'avoir été maltraitée par son mari.

 

Sur interpellation. — Jamais elle ne m'a parlé de son intention de se suicider.

 

D. — Êtes-vous sûre de l'heure à laquelle elle est sortie de chez vous ?

R. — Je suis sûre qu'il était six heures.

La nuit n'était pas complète, il faisait beau temps et le ciel était découvert.

 

D. — Quelle distance la femme Mahé avait-elle à parcourir pour rentrer chez elle ?

R. — À peu près deux kilomètres en suivant d'abord la grand'route, puis un petit chemin et enfin un sentier.

 

5. — MM. les docteurs LE STUNFF, de Quimperlé, et GRIAS, de Pont-Aven, ont procédé de concert à l'autopsie

du cadavre de la femme Mahé.

Résumant les termes de leur rapport, les honorables experts relatent les différentes plaies et contusions rencontrées sur la face, les mains et le cou, notamment les deux sillons, l'un régulier, circulaire, faisant le tour du cou,

l’autre situé à un grand travers de doigt au-dessus.

Comment les expliquer ?

Pas plus par le poids de la tête appuyée sur la corde faisant le sillon du dessous.

En penchant fortement la tête en avant, le sillon supérieur ne correspond pas à la corde ;

du reste, la tête était penchée en arrière.

MM. les docteurs Le Stunff et Grias concluent ainsi :

Un sillon régulièrement circulaire à bourrelet intérieur

n'est pas généralement le fait d’une pendaison par suicide ;

il indique un lien passé autour du cou, qui a subi une traction de haut en bas.

Deux sillons, un circulaire, l'autre oblique, ne s'expliquent pas dans le cas de pendaison par un seul tour de corde.

 

La mort de la femme Mahé est le résultat d'un crime,

  

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6. — NAOUR (Yves , cultivateur à Kérona en Riec, a eu Mahé, pendant quatre ans, comme domestique.

 

Pendant qu'il était chez moi, dit ce témoin, sa femme venait fréquemment le soir, en état d'ivresse, pour le trouver.

Il refusait alors de la recevoir, et celle-ci menaçait de se pendre ou de se jeter à l'eau.

Je n'ai jamais vu Mahé frapper sa femme ;

il voulait essayer de l'empêcher de boire, mais il ne pouvait y réussir.

Mahé m'a souvent dit :

« Si ma femme se conduisait mieux, nous serions heureux, nous ferions honneur à nos affaires.

Nos enfants n'ont pas même de quoi s'habiller. »

 

Comme on le voit, l'ancien patron de Mahé est un véritable témoin à décharge.

C'est, d'ailleurs, la seule déclaration de ce genre que nous rencontrerons au cours de ces débats.

 

7. — La déposition du petit MAHÉ (Jean-Marie), âgé de 13 ans, fils de l'accusé,

est des plus accablantes pour ce dernier ;

voici en résumé ce qu'il déclare :

« Le 29 septembre, vers le soir, mon père nous a dit

de nous coucher, mes frère et sœur et moi, puis il est sorti,

les mains cachées sous sa blouse ;

je ne sais s'il tenait quelque chose.

Je l'ai entendu se rendre dans le courtil.

J'étais couché et à peine endormi, quand j'entendis un cri

de ma mère, comme un « ah ! » prolongé,

puis une espèce de piétinement sur la terre, je me suis levé à la hâte et je suis allé dans la petite prairie devant la maison.

Une fois-là, j'entendis un piétinement de sabots

dans l'allée de hêtre.

Il faisait presque nuit.

J'ai alors aperçu et reconnu mon père, qui se dirigeait

vers la maison en contournant la crèche.

Alors, par le petit sentier du bas de la prairie, j'ai gagné la voie charretière, me dirigeant vers les hêtres où j'avais entendu du bruit et des cris et, au bout de la rangée, j'ai vu ma mère pendue au dernier hêtre.

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Je me suis mis à pleurer et je suis allé dire aux gens du village de Kerampicard que mon père venait de tuer ma mère. »

 

Sur interpellation : — Mon père m'ayant demandé pourquoi je pleurais je lui répondis :

« Je viens de trouver ma mère pendue, c'est toi qui a fait cela ! »

Il a dit : « Non. »

 

Mahé. — Ma femme ne faisait que m'injurier ;

elle m'a dit de lui mettre la corde au cou, je la lui ai mise, je l'ai étranglée et je l'ai pendue ;

qu'on fasse de moi ce qu'on voudra !

 

8. — Les deux autres enfants de l'accusé, MAHÉ (Alain), âgé de sept ans, et MAHÉ (Nicole), âgée de huit ans,

ont également entendu les cris de leur mère.

Ils ajoutent qu'ils ont vu leur père rentrer avec le panier que portait leur mère.

 

La petite fille dit de plus, que lorsqu'elle est allée avec ses deux frères à Kerampicard prévenir les gens du village,

son père courait après eux et voulait arrêter son frère Jean-Marie.

9. — BISQUAY (Marie-Josôphe), veuve GUILOU, domestique

à Kerampicard, en Riec, déclare :

 

« Le 29 septembre, vers 7 h. 1/2 du soir,

entendant un enfant crier que son père avait tué sa mère,

j'appelai les autres habitants du village.

Ceux-ci sortirent de leurs maisons.

J'aperçus presqu'aussitôt le fils Mahé et sa sœur.

C'étaient eux qui criaient.

Ils couraient tellement vite que leur père ne put les arrêter ;

mais il arrivait derrière eux en disant :

« Vous voulez donc m'envoyer aux galères ?

Allons, rentrez vite à la maison.

Pourquoi aussi votre mère est-elle allée se pendre ? »

 

Cette déposition est confirmée par d'autres habitants  du village,

la femme FLÉCHEC et les époux NICOLAS.

 

La défense a fait citer deux témoins à décharge, Louis GOSPER et Louise DAGORN, femme TANGUY, de Riec.

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Tous deux déclarent qu'ils n'ont à dire que du bien de l'accusé et de sa femme.

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« Certes dit en résumé M. Drouot, il y eut dans ce triste ménage des troubles domestiques.

On peut dire qu'il y eut des torts réciproques.

La question est insoluble de savoir si le mari battait sa femme à cause de son ivrognerie, ou si la femme cherchait

dans des excès de boisson une diversion aux brutalités dont elle était victime. Mais, dans tous les cas,

rien ne saurait excuser ce qui est prouvé surabondamment, les épisodes où nous voyons l'accusé porter à sa femme des coups de houe et de fourche, la tirer par les cheveux, la renverser dans les ornières, lui mordre les doigts, etc.

 

« La scène du crime est saisissante de vérité.

Cet homme n'est pas sorti, comme il le prétend, pour rentrer ensuite prendre l'instrument de mort.

II n'a pas été mis en quoique sorte hors de lui par les injures de sa femme.

Quand il sortit, il portait la corde, et la porte ne s'est pas ouverte depuis jusqu'au moment où

les malheureux enfants entendirent dans la nuit ce cri sinistre poussé par leur mère expirante.

Ils ne s'y sont pas trompés, ils ont compris que la main de leur père les faisait orphelins. »

Dans une discussion redoutable pour la défense, M. Drouot entre dans

le cœur du débat et montre l'attitude cynique de l'accusé qui,

le crime commis, avec un front d'airain, fait l'étonné devant l'aîné

de ses enfants qui pleure et l'accuse.

 

« L'intention criminelle, dit encore M. Drouot, est hautement avouée.

La préméditation et le guet-apens résultent du fait d'avoir pris la corde, d'avoir poursuivi sa victime sur la route et de s'être auparavant caché dans un bouquet de hêtres pour guetter son passage.

 

« Vous ne pouvez méconnaître, dans une affaire capitale,

la portée des circonstances atténuantes.

Je ne veux pas dramatiser cet abominable assassinat.

Songez qu'il s'agit d'une mère de famille lâchement égorgée auprès

de ses enfants par un homme qui a juré de lui donner aide et protection.

 

«  II avoue le crime, quoique partiellement.

C'est pour lui un châtiment inévitable.

Je vous laisse le soin de le proportionner au crime accompli ».

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«  Dans une affaire de cette nature, dit Me de Chamaillard, je n'ai pas à discuter sur les faits, d'ailleurs avoués.

Ce que j’ai à examiner, c'est l'état d'âme de cet homme, ce qu'il a souffert, le degré d'exaspération qui ne le rendait pas entièrement maître de ses facultés. »

 

Le défenseur développe le premier point.

Il montra ensuite le caractère, les défauts de la femme, l'incurie de son ménage, l'abandon de ses enfants,

ayant pour conséquence l'irritation du mari ; puis, cette passion pour l'ivrognerie, passion immonde chez une femme.

Elle buvait tant, s'écrie Me de Chamaiilard, qu'elle a le foie gonflé et qu'on trouve des traces de ce vice

dans le cadavre de cette malheureuse !

 

Le défenseur discute à son tour les charges de l'accusation et combat, la préméditation.

 

« Vous punirez cet acte, dit-il en terminant, mais vous ne serez pas cruels,

parce qu'à un moment donné la colère est presque légitime.

Malheureusement, cet homme est allé trop loin.

Vous ne lui refuserez pas les circonstances atténuantes, car il ne mérite pas la peine capitale.

Il y a eu de sa part quelque chose de spontané, quelque chose d'excusable.

 

« C’est cette excuse, cette atténuation que je vous demande de ne pas repousser.

Je le fais avec le sentiment d'une conviction profonde et la plus entière sincérité ».

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Reconnu coupable, avec admission des circonstances atténuantes,

Mahé est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Embarqué sur le  navire de transport

« La Calédonie » le 11 juin 1895

pour le bagne en Nouvelle Calédonie.

 

Décédé à Montravel (Nouméa)

le 30 août 1895

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