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Fenêtres sur le passé

1895

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L'infanticide de Loperhet et le bedeau

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Source : La Dépêche de Brest 31 mars 1895

 

Marie Gobian, la femme cul-de-jatte du bourg de Loperhet, accusée d'avoir accouché clandestinement d'un enfant qu'elle aurait ensuite tué, a été arrêtée hier matin, sur l’ordre du parquet.

 

Marie Gobian est arrivée à Brest dans une lourde voiture appartenant à M. Jaouen, commissionnaire à Landerneau.

Deux gendarmes l'accompagnaient.

À quatre heures, la voiture s'arrêtait devant le palais de justice.

 

L'accusée n'est pas cul-de-jatte au sens où l'on entend généralement ce mot.

Elle possède des jambes, mais ses pieds sont déformés, de telle sorte que pour se mouvoir

elle est obligée de se traîner sur ses genoux et sur ses mains.

Sa pâleur est extrême et l'idée qu'elle va être mise en prison la fait trembler comme une feuille.

Les gendarmes, lors de l'enquête, lui ayant fait prévoir cette issue, elle aurait manifesté des idées de suicide.

 

Marie Gobian a fait des aveux complets.

Elle a reconnu avoir mis au monde un enfant auquel — détail horrible — elle a arraché la tête.

 

Marie Gobian n'a pas été interrogée hier. Dès son arrivée, M Frétaud, procureur de la République,

a donné l'ordre aux gendarmes de la conduire au Bouguen.

 

Des faits étranges seront, paraît-il, relevés par l'instruction de cette affaire peu ordinaire.

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Source : La Dépêche de Brest 5 avril 1895

 

L'instruction de l'affaire de Loperhet se poursuit activement.

M. Guicheteau, juge d'instruction, s'est de nouveau rendu hier, à trois heures de l'après-midi,

à la maison d'arrêt du Bouguen, où il a fait subir un second interrogatoire à Marie Gobian,

qui persiste dans ses premières déclarations.

 

L'inculpée continue à affirmer que l’enfant est venu après cinq mois de gestation.

 

Cependant, elle a dû reconnaître que peu avant son accouchement, elle avait envoyé son frère à Landivisiau

pour consulter une rebouteuse, qui lui aurait ordonné certaines drogues.

 

L'accouchement ne serait-il pas alors le résultat de manœuvres abortives ?

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C'est un point qui reste à éclaircir,

et la disparition du cadavre ou du fœtus complique encore l'affaire.

 

Après avoir coupé la tête de l’enfant, Marie Gobian

l'enveloppa dans un lambeau d'étoffe.

 

Elle fit ensuite appeler le bedeau et elle lui remit le paquet en lui disant que c'était du « mauvais sang » en le priant de l'enterrer

dans le champ attenant à sa maison.

 

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Le bedeau se pressa de faire cette corvée, non s’en s'être préalablement assuré de ce que renfermait le paquet. 

Aussi, a t’il dit que la tête lui paraissait arrachée plutôt que coupée.

 

Malgré cela, il garda le plus grand silence.

 

Plus tard, sommé par la gendarmerie de Daoulas d'indiquer l’endroit où il avait enterré le petit cadavre,

il y est allé directement, mais on n'a trouvé que le linge ensanglanté, qui a été saisi. 

Le cadavre a-t-il été enlevé par quelqu’un  qui avait intérêt à le faire disparaitre ? 

C'est ce qu'on ignore jusqu’à présent.

 

Un point établi, c'est que personne, à part le bedeau et les époux G...., beau-frère et sœur de Marie Gobian,

ne savait où il était enterré.

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Marie Gobian, nous écrit-on de Loperhet, n'était pas malheureuse malgré sa situation précaire et son infirmité.

Plusieurs familles du pays lui venaient en aide.

On lui a même payé un voyage à Lourdes.

 

M. Guicheteau entendra demain le bedeau, le beau-frère et la sœur de Marie Gobian.

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Source : La Dépêche de Brest 7 avril 1895

 

M. Guicheteau, poursuivant l'instruction de l'infanticide de Loperhet, s'est rendu hier matin au Bouguen,

où il a interrogé de nouveau Marie Gobian.

 

Dans l'après-midi, le magistrat instructeur a successivement entendu, dans son cabinet, le maréchal des logis Abarnou, de la brigade de Daoulas ;

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Gourmelon, le bedeau de l’église de Loperhet ;

les époux Gorgelin, beau-frère et sœur de l'inculpée, et une voisine, la femme Rolland.

 

L'audition de Gourmelon n'a pas duré moins d’une heure. 

Il faut croire qu'elle a été significative, car, à la sortie du cabinet du juge d'instruction,

le bedeau a été mis en état d'arrestation par le sous brigadier de police Le Hir.

 

Écroué d'abord à la prison du palais, il a été dirigé le soir sur le Bouguen. 

Le bedeau Gourmelon a 48 ans. 

D'une intelligence bornée, il se prêterait, paraît-il, à n'importe quelle besogne pourvu qu'on lui paye

un verre d'eau-de-vie.

 

C'est vers sept heures du matin, le 1er février, alors qu'il sortait de l'église et passait devant la maison

de Marie Gobian, que la sœur de celle-ci, la femme Gorgelin, l'appela et lui remit le petit corps pour l'enterrer.

 

Les interrogatoires se sont poursuivis hier soir, jusqu'à huit heures.

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Source : La Dépêche de Brest 29 mai 1895

 

L'infanticide de Loperhet

 

L'instruction de l'affaire de Marie Gobian, la cul-de-jatte de Loperhet, arrêtée le 30 mars dernier,

sous l'inculpation d'infanticide, est sur le point d'être close.

 

Les recherchas faites pour retrouver les restes de l'enfant étant restées infructueuses,

Marie Gobian ne sera vraisemblablement poursuivie que pour suppression d'enfant,

et Gourmelon, le bedeau, comme complice.

 

L'affaire viendra donc devant le tribunal correctionnel.

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Source : La Dépêche de Brest 12 juin 1895

 

L'infanticide de Loperhet.

 

L'instruction de l'affaire de Marie Gobian, l'infirme de Loperhet,

et du bedeau Gourmelon, arrêtés les 30 mars et 6 avril derniers,

est sur le point d'être close.

 

Le corpus delicti, comme on dit au palais, n'ayant pu être retrouvé malgré les recherches de la gendarmerie, Marie Gobian

et le bedeau Gourmelon, au lieu d'être poursuivis pour infanticide, seront seulement traduits devant le tribunal correctionnel,

sous l'inculpation de suppression

et de complicité de suppression d'enfant.

 

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Cette affaire viendra devant le tribunal correctionnel dans la seconde quinzaine de juillet.

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Tribunaux de Brest Audience correctionne

 

Source : La Dépêche de Brest 20 juillet 1895

 

Le bedeau Gourmelon, introduit le premier, a l'air ahuri.

 

Marie Gobian, qu'une détenue porte sur le banc des inculpes, est d'une pâleur livide.

Ses membres inférieurs, complètement atrophiés, se terminent par des pieds bots.

 

On se rappelle les faits.

 

Dans la nuit du 31 janvier au 1er février dernier, vers trois heures du matin, Marie Gobian accouchait clandestinement chez le sieur G..., son beau-frère, couvreur au bourg de Loperhet,

d'un enfant du sexe féminin, dont elle coupait la tête avec un couteau de poche.

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Au matin, elle faisait appeler le bedeau et celui-ci allait enfouir le corps dans un champ voisin.

 

L'affaire en serait restée là sans la rumeur publique.

 

Marie Gobian, qui avait habilement su dissimuler sa grossesse,

jouissait en effet d'une bonne réputation.

 

C'était une dévote zélée, qui avait fait le pèlerinage de Lourdes et,

aux yeux de quelques-uns, elle passait pour une sainte.

 

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Le 23 mars, quand la gendarmerie de Daoulas se transporta sur les lieux,

Marie Gobian voulut faire croire à un nouveau miracle de l'incarnation, mais plus tard elle déclara que, le 26 août,

jour du pardon de Loperhet, le sieur P..., un jeune séminariste, son voisin, l'avait « forcée »,

ce qui a été reconnu inexact.

 

C'est au contraire sur ses incitations que le séminariste aurait désobéi au neuvième commandement.

 

Douze témoins sont entendus.

 

C'est d'abord le docteur Anner, médecin-légiste, qui conclut que l'enfant devait avoir de cinq à six mois,

sans toutefois pouvoir préciser.

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Les autres dépositions ne font que confirmer les faits rapportés plus haut.

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Marie Gobian, qui pendant toute la durée des débats reste les mains jointes et les yeux baissés, est ensuite interrogée.

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D. — Vous êtes accouchée dans la nuit du 31 janvier au 1er février,

vers trois heures du matin, d'un enfant du sexe féminin.

À quelle heure lui avez-vous coupé le cou ?

 

R. — Trois heures après.

 Je ne savais ce que je faisais, j'étais folle.

 

D. — N'avez-vous pas eu en juin de rapports avec un marin ?

 

R. — Non, avec personne, si ce n'est avec P..., qui m'a « forcée ».

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Gourmelon, qui depuis 27 ans cumule à Loperhet les hautes fonctions de bedeau et celles de fossoyeur,

interrogé à son tour, reconnaît que l'enfant était parfaitement constitué.

 

Dans un sévère réquisitoire, M. Frétaud, procureur de la République,

réclame l'application de l'article 345 du code pénal, qui a le double but d'assurer la sincérité de l'état civil

et d'élever une barrière contre l'infanticide.

Il montre Gourmelon alcoolique invétéré et il termine en disant que Marie Gobian

mérite d'être traitée plus sévèrement.

 

Me Dubois, qui défend le bedeau Gourmelon, qualifiant ce dernier de « brave homme »,

des rumeurs se font entendre dans l'auditoire.

Le défenseur n'en demande pas moins l'acquittement de son client.

 

Marie Gobian est condamnée à trois mois de prison et Gourmelon à un mois de la même peine.

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