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Fenêtres sur le passé

1895

Plouguerneau
Coup de hache sur la tête de sa femme

Plouguerneau tentative de meurtre _01.jp

 

Source : La Dépêche de Brest 29 avril 1895

 

Une tentative de meurtre a été commise jeudi dernier par un débitant du bourg de Plouguerneau,

nommé Abiven (René), âgé de 39 ans, qui, dans un accès alcoolique, a porté un coup de hache à sa femme, à la tête.

 

Vers six heures du soir, Abiven, qui était ivre, saisissait, pour la mettre dehors, une jeune repasseuse,

Marie-Anne Le Berre, âgée de 18 ans, qui travaillait chez lui, lorsque sa belle-sœur, la femme Autret,

qui se trouvait dans la maison, l'invita à se tenir tranquille.

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Abiven répondit :

« Ah ! c'est comme ça ! » et, prenant une hache sous le comptoir, il se dirigea vers les deux femmes en brandissant

son arme et en vociférant.

Effrayées, elles sortirent.

​

Abiven monta alors au 2e étage, où sa femme, malade, était alitée depuis deux jours.

Sans discussion préalable, il lui porta un violant coup de son arme sur la tête.

​

Les cheveux de la femme Abiven heureusement amortirent le coup et elle n'a été que légèrement blessée

au côté droit de la tête, où elle porte une blessure de deux centimètres environ de longueur.

Elle réussit à se lever et se sauva au 1er étage.

Son mari, au paroxysme de la colère, la poursuivit en proférant des menaces de mort.

​

En arrivant au 1er étage, elle s'affaissa ; Abiven heurta une table et à son tour tomba.

​

Comme il tenait toujours la hache, sa femme put la saisir par le manche et appela au secours.

Un jeune boulanger, Le Caze (René), âgé de 18 ans, la sœur de la femme Abiven et la jeune repasseuse accoururent, retirèrent la hache et descendirent Abiven au rez-de-chaussée.

​

Les époux Abiven sont mariés depuis dix ans.

Depuis huit ans, le mari fait subir à sa femme

des mauvais traitements.

​

Elle a eu sept enfants.

 

Il y a cinq ans, comme elle était enceinte, son mari l'a saisie violemment, jetée sur le dos, puis lui a sauté sur le ventre,

au risque de la tuer.

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Il y a quinze jours, il la frappait à coups de poing au visage et lui brisa deux dents à la mâchoire supérieure.

 

Interrogé par la gendarmerie, Abiven a nié énergiquement avoir frappé sa femme.

C'est elle, a-t-il dit, qui lui cherche querelle quand il est ivre, et alors il est obligé de se défendre.

« Je l'ai roulée quelquefois, mais sans lui faire mal. »

 

Abiven a été arrêté le soir même par ordre de M. Loaëc, adjoint au maire de Plouguerneau,

et écroué au violon municipal.

 

Il est arrivé avant-hier à Brest et a été écroué au Bougen, à la disposition du juge d’instruction.

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Source : La Dépêche de Brest 30 avril 1895

 

Abiven (René), le débitant du bourg de Plouguerneau, dont nous avons annoncé hier l'arrestation pour tentative

de meurtre sur la personne de sa femme, a comparu à une heure devant le tribunal correctionnel.

​

La qualification première de l'affaire n'ayant pas été maintenue,

Abiven était poursuivi seulement pour coups et blessures volontaires.

 

Dans la partie de la salle réservée au public, on remarque une vingtaine de cultivateurs de Plouguerneau,

venus à Brest pour le marché et qui en ont profité pour assister à l'audience.

L'arme avec laquelle Abiven a frappé sa femme, une hachette de dimensions modestes,

est placée devant le tribunal comme pièce à conviction.

 

Le prévenu, qui est âgé de 39 ans, est un homme d'assez grande taille, à la figure sèche et osseuse.

Sa femme, entendue la première, essaie d'atténuer sa culpabilité en déclarant ne plus se souvenir de certains détails, très importants cependant.

​

Elle était couchée dans une chambre du 2e étage quand, furieux, son mari surgit devant elle, armé de sa hache.

« Tu ne viens pas pour moi avec cette hache ? » lui dit-elle ;

et sans répondre à cette question, Abiven lui en porta

un violent coup de son arme sur la tête.

Ses cheveux, heureusement, amortirent le coup, qu'elle avait d'ailleurs paré en partie et qui, sans cela, aurait eu

des conséquences plus graves.

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— Vous êtes souvent battue par votre mari ? lui demande le président.

— Oh ! oui, bien souvent.

 

— Que vous reproche-t-il ?

— Quand il est ivre, il me dit que je ne l'aime pas et que mon désir eût été de me marier avec un marin,

plutôt qu'avec lui.

 

La femme Abiven raconte ensuite tous les mauvais traitements que son mari lui fait subir depuis huit ans.

Il y a cinq ans, alors qu'elle était enceinte, Abiven la renversa, lui sauta sur le ventre et la piétina.

Plus récemment, il lui a brisé deux dents d'un coup de poing.

 

Marie-Anne Le Berre, 18 ans, repasseuse, qui, le 25, travaillait chez Abiven,

déclare que ce jour-là celui-ci était ivre comme d'habitude.

 

Après l'audition d'un troisième et dernier témoin, un garçon boulanger nommé Le Caze (René),

le président interroge Abiven.

 

— Vous n'avez pas encore été condamné, mais c'est uniquement parce que votre femme n'a pas, jusqu'à ce jour, porté plainte contre vous.

Depuis huit ans vous lui faites subir un véritable martyre ?

C'est moi qui ai été frappé et non ma femme.

J'étais au 1er étage de ma maison, quand ma belle-sœur et la fille Le Berre sont venues me saisir et me frapper.

L'une d'elles disait même en me rouant de coups : « Il n'en a pas encore assez !... »

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— Et la hache, comment expliquez-vous qu'elle se soit trouvée

entre vos mains ?

— Je ne me souviens pas.

Les coups que j'avais reçus m'avaient fait tellement de mal,

que j'en ai perdu la tête.

 

— Le 5 courant, vous avez porté à votre femme un coup de poing d'une telle violence que vous lui avez brisé deux dents ?

C'est elle qui m'avait dit de lui arracher ces dents.

Je n'ai même pas voulu le faire, car je savais bien qu'elle m'aurait

plus tard accusé de les lui avoir brisées en la frappant.

 

Cette explication a le don de mettre l'auditoire en gaieté.

 

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M. Chardon, substitut du procureur de la République, prend ensuite la parole et dit que le parquet a cru devoir correctionnaliser l'affaire, car il n'a pas vu, dans les faits reprochés à Abiven, la tentative de meurtre prévue et punie par l'article 309 du code pénal.

D'autre part, il n'y a pas eu pour la victime d'incapacité de travail et la blessure est légère.

 

Le ministère public ne retient donc l'inculpé que pour le délit de coups et blessures, mais il relève contre lui

la circonstance de préméditation prévue par le paragraphe 2 de l'article 311 du code pénal. .

 

Après une courte délibération, Abiven est condamné à deux ans de prison et 50 francs d'amende.

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