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Fenêtres sur le passé
1895
Argol, tentative d'assassinat sur un curé
Source : La Dépêche de Brest 7 février 1895
Si la vengeance ne s'en mêle pas, tirer sur un de ses concitoyens comme on tire sur un vulgaire lapin,
n'est pas le fait d'un homme dont le cerveau est bien équilibré.
Quelle singulière idée a donc eue l'accusé en tirant sur le recteur d'Argol ?
C'est sans doute ce que vont nous apprendre les débats.
L'accusé, Jacques Gourmelen, âgé de 32 ans habite la commune d'Argol.
C'est un solide campagnard, de taille très élevée, aux traits durs et énergiques.
Me Le Bail est au banc de la défense.
Me Drouot occupe le siège du ministère public.
On aperçoit comme pièces à conviction : tout un costume de prêtre, un fusil Lefaucheux, des cartouches, de la poudre, des plombs, etc.
Le 26 décembre 1894, vers 4 h. 1/2 de l'après-midi, M. Dagorn, recteur de Landévennec, se trouvait,
en compagnie de l'abbé Pailler, vicaire d'Argol, dans l'arrière-magasin de la dame Kérest, commerçante au bourg, quand un sieur Jacques Gourmelen, cultivateur au village de Quévellec, entra dans la boutique,
portant un fusil en bandoulière.
Gourmelen qui chassait depuis le matin, était visiblement pris de boisson.
Il paraissait très surexcité et essaya de s'approcher des deux ecclésiastiques, qu'il apercevait par la porte entr'ouverte.
« Il faut que je tue ceux-là ! » disait-il.
« Tout à l'heure, ils auront des prunes ! »
La dame Kérest parvint cependant à le faire sortir, sur la promesse de lui payer à boire, et le conduisit au débit
de la veuve Mérour, situé de l'autre côté de la place.
Gourmelen ne resta qu'un moment dans cette auberge et sortit après avoir vidé un verre d'eau-de-vie.
Quelques minutes après, une détonation mettait tout le bourg en émoi.
Gourmelen, posté devant la maison Mérour, venait de tirer,
a une distance d'environ quarante mètres, un coup de fusil
sur l'abbé Dagorn, qui se disposait à traverser le cimetière
pour se rendre au presbytère.
Le gendre de la dame Kérest et sa domestique avaient vu,
du seuil de leur demeure, Gourmelen mettre l'abbé en joue et le tenir au bout de son fusil durant plusieurs secondes avant de presser la détente.
L'abbé lui-même avait aperçu le geste menaçant, qu'il avait supposé, comme les autres témoins de la scène, n'être qu'une plaisanterie d'ivrogne.
Un grand nombre de plombs n° 3, 4 et 5 avaient atteint M. Dagorn, criblant ses vêtements et son chapeau.
Huit avaient pénétré plus ou moins profondément dans le côté droit de la face et dans la région du cou.
Profitant de l'émotion générale, Gourmelen avait pu se retirer sans être inquiété et rentrer chez lui, où il était arrêté,
le lendemain, encore sous l'influence de la boisson.
L'instruction a permis d'établir que l'attentat dont Gourmelen s'était rendu coupable n'était pas seulement
l'acte irréfléchi d'un ivrogne, mais l'assouvissement d'une rancune exaspérée par l'ivresse.
Quelques jours auparavant, Gourmelen avait eu un motif d'irritation contre l'abbé Pailler, vicaire d'Argol,
qui à raison de son peu de zèle religieux, avait fait des difficultés pour l'accepter comme parrain à un baptême.
L'accusé en avait éprouvé un certain ressentiment, et le souvenir de cette humiliation, s'exaspérant sous l'empire de l’ivresse, avait fait naître dans son esprit, momentanément obscurci, l'idée de la vengeance poussée jusqu'au crime.
Il n'est pas douteux, en effet, que dans la journée du 26 décembre, la pensée de tuer M. Pailler n'a cessé de le hanter, et M. Dagorn, qu'il ne connaissait pas, n'était pas la victime qu'il voulait atteindre.
Déjà, à son arrivée au bourg, vers trois heures, dans le débit
de la veuve Capitaine, il avait, en voyant passer M Pailler,
tenu ce propos :
« Il mériterait que je lui envoie un coup de fusil pour ne m'avoir pas accepté comme parrain », et il avait fait mine d'épauler.
Pius tard, invité par un sieur Joncour à décharger son arme,
il répondit :
« J'ai deux coups à tirer, ce sera pour celui qui me cherchera affaire.»
Enfin, peu de temps avant d'entrer chez la dame Kérest,
où il devait tenir les propos si caractéristiques rapportés plus haut, il avait,
en apercevant de l'auberge Gallou M. Pailler, accompagné de M. Dagorn, murmuré, d'un ton menaçant :
« Bande de rosses ! »
D'ailleurs, l'ivresse ne lui avait pas enlevé la conscience de ses actes, car, quelques
quelques après son crime, il déclarait au sieur Millour qui venait de le désarmer, qu'il avait honte de traverser la place après ce qu'il avait fait, et, un peu plus tard, il demandait s'il l'avait tué raide.
Le lendemain, bien qu'encore sous l'influence de la boisson, il déclarait qu'il était perdu et que les histoires
de baptême étaient la cause de tout.
Les blessures du recteur de Landévennec, qui eussent pu être mortelles, n'ont pas, par un heureux hasard,
amené de sérieuses complications, et M. Dagorn a pu reprendre l'exercice de son ministère.
Gourmelen est un cultivateur aisé, d'un caractère assez paisible,
quand il est à jeun, mais méchant et dangereux quand il a bu.
Sans être alcoolique, il s’enivrait souvent, surtout à l'époque de la chasse.
Le 11 février 1892, il a été condamné à vingt jours d'emprisonnement et 100 fr. d'amende, pour avoir, étant ivre,
fait à l'aide d'un couteau, des blessures assez graves à deux personnes.
D. — Vous appartenez à une famille honorable.
Vous étiez dans une situation de fortune aisée.
Vous avez reçu une instruction favorable.
Vous étiez donc dans les meilleures conditions pour vivre heureux, en parfait honnête homme.
Malheureusement, vous aviez une passion funeste : vous aimiez à boire, et jamais vous ne laissiez passer l'occasion de vous enivrer.
Est-ce vrai cela ?
R. — Quelquefois.
D. — Vous dirigiez bien votre exploitation jusqu'à l'ouverture de la chasse.
C'était votre seconde passion.
Alors vous couriez les champs et vous ne pouviez pas passer devant les auberges sans entrer et vous enivrer ?
R. — Oui.
D. — Vous deviez cependant connaître les effets de l'ivresse sur votre caractère.
Ils vous ont déjà conduit en prison.
Quand vous avez bu, vous êtes extrêmement méchant et dangereux.
À l'appui de cette réflexion, le président cite deux scènes de coups de couteau d'une extrême gravité, relevées dans l'information contre Gourmelen, puis il dit :
— Vous voyez jusqu'où peut vous conduire l'ivresse.
Vous avez cependant continué à vous enivrer.
D. — Le 26 décembre, vous êtes allé chercher votre camarade Perfezou.
Vous avez chassé quelque temps puis vous êtes entré dans une auberge à Pont Lorbic où vous vous êtes enivré avec de l'eau de vie.
Vous êtes sorti, mais pas avec des idées de chasse.
En venant au bourg, vous avez rencontré l'abbé Pailler sur la route ?
R. - Oui.
D. — Vous avez échangé des propos insignifiants, c'est à-dire rien
qui put faire présager ce que vous alliez faire plus tard.
Qu'avez-vous fait ensuite '?
R. — Je ne sais pas.
Le président. — Voyons, voyons, on ne perd pas la mémoire instantanément, même quand on a bu quelques verres d'eau-de-vie.
Le président retrace à grands traits les charges de l'accusation.
Gourmelen dit qu'il ne se rappelle de rien.
Impossible de lui arracher une explication.
Dans ces conditions, le président est obligé de faire tous les frais
de l'interrogatoire.
Il insiste sur les propos graves tenus ce jour-là par l'accusé, qui disait notamment, quelques instants avant le crime :
« Si je tuais quelqu'un ? »
D. — Vous voyez quels sentiments mauvais bouillonnaient en vous.
Vous aviez l'esprit hanté par des idées de meurtre.
Gourmelen ne dit mot.
D. — Qu'alliez-vous faire chez la dame Kérest ?
Pas de réponse.
Pas de réponse.
Le président. — L'accusation vous dira qu'ayant vu les deux ecclésiastiques entrer, vous êtes allé chez elle avec l’intention de décharger votre fusil sur eux.
Pas de réponse.
D. — Quand la dame Kérest vous mettait dehors, vous avez dit à Millour :
« Il faut que je tue ceux-là ! »
N'est-ce pas la vo Ion té d'un homme qui va persister pendant un certain temps, c'est-à-dire la préméditation ?
Pas de réponse.
D. — On vous voit attendre, devant le débit Mérour, le passage des ecclésiastiques.
Ces derniers sortent.
L'abbé Pailler va voir un malade.
M. Dagorn va à la poste.
Il revient le premier et, au moment où il met la main sur la grille
pour traverser le cimetière, vous le mettez en joue pendant
sept ou huit secondes, et vous, chasseur expérimenté,
quand vous l'avez bien vu au bout de votre fusil, vous avez fait feu.
Vous savez comment M. Dagorn a été atteint.
Quels plombs aviez-vous dans votre fusil ?
R. — Les numéros 3, 4 et 5, mais moins de numéro 3.
D. — Plombs déjà assez gros.
Vous avez tiré à quarante mètres.
À cette distance, vous savez qu'on peut tuer quelqu'un, et si M. Dagorn n'a pas été atteint mortellement,
ce n'est pas de votre faute.
Pas de réponse.
Le président. — Eh bien, en agissant ainsi, vous avez commis une tentative d'assassinat.
D. — Vous en vouliez à l'abbé Pailler ?
Ici vous allez pouvoir répondre.
R. — Je ne lui en voulais pas.
D. — Mais si, vous lui en vouliez, parce qu’il avait hésité à vous accepter comme parrain.
Cet ecclésiastique se plaçait purement, au point de vue religieux.
Cependant, il a fini par vous accepter.
Mais vous lui aviez tenu rancune de son hésitation ?
Toujours pas de réponse.
M. Drouot, procureur de la République — À quel moment avez-vous commencé à vous rappeler ce que vous aviez fait ?
R. — Le lendemain matin.
À ce moment, la salle est comble.
On remarque plusieurs prêtres dans l'enceinte.
Le président fait passer le plan des lieux aux jurés.
Cette affaire comprend seize témoins à charge.
Voici les dépositions les plus intéressantes :
M. DUSSEAUO, maréchal des logis de gendarmerie à Crozon,
fait connaître le résultat de l'enquête à laquelle il s'est livré.
Il n'a pu, dit-il, interroger Gourmelen le soir même du crime, à raison de d'ivresse de cet homme.
Ayant interrogé Gourmelen le lendemain, ce dernier répondu qu'il se souvenait bien être allé faire une partie de chasse la veille, mais qu'il ne se rappelait pas du tout ce qu’il avait fait, car il était complètement ivre.
M. Dusseaud déclare que l'accusé passe dans le pays pour un homme très violent et presque fou
quand il est sous l'influence de la boisson ;
à jeun, c'est un homme d'un caractère tranquille.
M. l'abbé DAGOHN est ensuite introduit.
Voici en substance ce qu'il déclare :
Le 26 décembre, j'étais allé à Argol pour, présenter mon vicaire
au recteur de cette commune.
En revenant, accompagné de l'abbé Pailler, je rentrai
chez Mme Kérest, où nous causâmes quelque temps,
mais nous fûmes gênés par un individu qui faisait du bruit dans la boutique : « C'est Jacquez-Vras », me dit-on.
On ajouta que c’était un homme dangereux ;
on dut le mettre à la porte.
Au bout de quelques instants, l'abbé Pailler et moi nous sortîmes ;
l'abbé Pailler alla voir un malade et moi, j'allai au bureau de poste.
Je pris ensuite le chemin du presbytère.
J'allais atteindre la grille du cimetière lorsque, détournant par hasard les yeux du côté de la place, je vis, en face
de l'auberge Mérour, l'homme que Mme Kérest avait mis hors de chez elle.
Il avait un fusil en bandoulière, et je fus très surpris de voir qu'il retirait son fusil de dessus son épaule
et me mettait en joue.
Je fis même cette réflexion :
« Tiens, est-ce qu'il veut tirer sur moi ? »
Je continuai ma marche.
Tout à coup, je ressentis une vive douleur et je reçus la décharge du fusil au côté droit de la face et sur le côté droit
de la partie supérieure du corps.
Je pus franchir la grille.
J'étais couvert de sang.
Sentant que j'allais défaillir, je m'appuyai sur une pierre mais on accourut et on me transporta au presbytère,
où je reçus l'Extrême-Onction.
Croyant que j'allais mourir, je demandai une feuille de papier timbré et je fis mon testament.
Je suppliai ensuite qu'on me transportât au bourg de Landévennec, voulant mourir au milieu de mes paroissiens.
C'est M. le docteur Mailliu, médecin de la marine à bord de la Sèmiramis, qui m'a donné les premiers soins
et m'a conduit dans sa voiture à Landévennec.
Sur interpellation : — Je ne connaissais pas I’accusé, qui a du se tromper en me prenant pour l'abbé Pailler, à qui il en voulait,
d'après ce que venait de me dire ce dernier chez Mme Kérest.
L'abbé Dagorn se plaint actuellement da surdité de l’oreille droite
et d'une certaine gêne dans la mâchoire.
L'abbé PAILLIER raconte la scène que nous connaissons déjà
et qui s'est passée chez Mme Kérest.
Aussitôt après le coup de fusil, il arriva au presbytère où il trouva l'abbé Dagorn, la figure en sang.
Ce dernier lui dit :
« Voilà ce qui est arrivé. »
M. Pailler répondit : « Vous avez reçu le coup de fusil qui m'était destiné. »
À ce sujet, le témoin parle des difficultés qu'il fit avant d'accepter Gourmelen comme parrain de la petite Millour,
les lois de l'Église lui interdisant d'accepter en cette qualité un individu qui ne pratique pas ses devoirs religieux.
L'abbé céda aux prières de la femme de Gourmelen, espérant que celte bienveillance ramènerait ce dernier
à de meilleurs sentiments.
D. — Pour vous faire revenir sur votre décision, la femme Gourmelen ne vous a-t-elle pas fait une réflexion
assez significative ?
R. — Si, je me rappelle qu'elle m'a dit :
« Vous connaissez mon mari.
Si vous le refusez, il vous jouera un mauvais tour ; il pourrait même vous tirer un coup de fusil, étant ivre »
L'abbé Pailler se hâte de dire qu'en cédant il n'a pas obéi à cette crainte.
Le docteur BALEY, médecin à Châteaulin, énumère les constatations qu'il a faites sur l’abbé Dagorn, quatre jours après le crime.
L'honorable médecin-expert, qui visite également l'accusé Gourmelen, dit que ce dernier a manifesté devant lui des regrets de sa tentative criminelle.
Yves Millour, Mme Kerest, Jean-Pierre Millour, le second maître
de mousqueterie Alix, la veuve Gallou, Marie-Louise Lebaut,
Jean-Marie Joncour et Jean-Pierre Thomas, de Telgruc, ont entendu l'accusé proférer ses menaces ou assisté à la scène du crime.
Marie-Anne PRIGENT, veuve CAPITAINE, aubergiste au bourg d'Argol, déclare que le 26 décembre, Gourmelen, étant dans son débit, dit en voyant passer l'abbé Pailler :
« II mériterait, celui-là, que je lui envoie un coup de fusil, car il n'a pas voulu me recevoir comme parrain. »
En même temps, il faisait mine avec les doigts, tout en conservant
son fusil sur l'épaule, de mettre en joue M. Pailler
Cette déposition est pour ainsi dire arrachée au témoin,
qui parait visiblement embarrassé.
Pendant l'audition des témoins, on voit entrer plusieurs prêtres qui viennent suivre, les débats.
Suspension d'audience à six heures l'audience est suspendue jusqu'à huit heures pour le réquisitoire,
la plaidoirie et le verdict.
À huit heures quelques minutes, l’audience est reprise.
Me Le Bail dépose des conclusions tendant à ce que soit posée la question subsidiaire
de coups et blessures volontaires.
M. Drouot procureur de la République maintient entièrement la qualification donnée par l'accusation.
Le président dit qu'il sera fait droit aux conclusions du défenseur.
À ce moment, la salle est entièrement comble, et c’est au milieu du plus religieux silence que le procureur prononce
son réquisitoire.
Voici, en résumé, ce que dit l'honorable magistrat :
« Les faits ne sont que trop constants.
L'intention homicide est-elle discutable à travers le mutisme voulu de cet homme, ne voit-on pas,
par sa conduite elle-même, les motifs qui l'ont dictée ?
« La nature de l'arme employée, les propos sauvages tenus antérieurement, poursuite acharnée contre les deux prêtres dans le débit de tabac et jusque la rue, le guet-apens en pleine place publique, la précaution prise de réclamer
l’arme avant de quitter Argol en fugitif, rien n’est plus net, de plus précis, de plus significatif. »
L’ivresse n'a jamais été une excuse.
Il ne suffit pas de s'enivrer pour commettre impunément ensuite tous les crimes.
D'ailleurs cette ivresse n'était pas aussi grande qu’on le dit.
Comment la concilier avec cette suite dans les actes et les idées,
surtout avec la façon dont Gourmelen est rentré chez lui, après le crime ?
« Déjà deux fois, cet homme a donné, pour des motifs futiles,
des coups de couteaux à son oncle, presque un vieillard,
et à un passant inoffensif.
II a de ce chef été condamné par le tribunal de Châteaulin
à la prison et à l'amende.
L'unique atténuation qu'on trouve dans la cause est que la victime a survécu, encore qu'elle soit menacée
d'une infirmité permanente.
Qu’il en profite pour sauver sa tête, encore qu’à proprement parler
il n'y ait point de circonstances atténuantes. »
« Aussi, faut-il ici, non pas une condamnation insignifiante et peu proportionnée aux faits mais un de ces verdicts
sans haine et sans crainte, donnant satisfaction à la justice et faisant droit à la plainte qui se fonde sur les principes
les plus élémentaires d’humanité. »
Ce réquisitoire, beaucoup trop raccourci, produit une vive sensation dans le prétoire.
Le télégraphe fermant à neuf heures, nous ne pourrons donner que demain la défense et le verdict.
« Déjà deux fois, cet homme a donné, pour des motifs futiles,
des coups de couteaux à son oncle, presque un vieillard,
et à un passant inoffensif.
II a de ce chef été condamné par le tribunal de Châteaulin
à la prison et à l'amende.
L'unique atténuation qu'on trouve dans la cause est que la victime
a survécu, encore qu'elle soit menacée d'une infirmité permanente.
Qu’il en profite pour sauver sa tête, encore qu’à proprement parler
il n'y ait point de circonstances atténuantes. »
*
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Source : La Dépêche de Brest 8 février 1895
Il est environ 9 h. 1/2 du soir lorsque M' Le Bail présente la défense de Gourmelen.
« Avant de répondre au réquisitoire de M. le procureur de la République, je dois, dit, en résumé l'honorable défenseur, vous indiquer le but vers lequel je marche.
Dès le premier jour où j'ai examiné le dossier, dès le premier moment où j'ai été chargé de la défense de cet homme,
je me suis dit que, dans une affaire comme celle-ci il ne pouvait pas être question d'acquittement.
Aussi je me hâte de dire que j'accepte le terrain de discussion que m’offre M. le procureur de la République.
Oui, mon client a contrevenu aux lois naturelles qui imposent le respect de la vie humaine ;
il a contrevenu aux lois civiques en menaçant la vie d'un citoyen ;
il atteint une tête, il doit la payer, il la paiera. »
« Le point sur lequel nous varions, le ministère public et moi, c'est celui-ci :
Oui ou non, Gourmelen a-t-il voulu donner la mort à M. l'abbé Dagorn ?
Si telle n'a pas, été son intention, dit le défenseur, cette affaire ne doit-elle pas être ramenée à cette question
de coups et blessures que je vais vous soumettre ? »
Me Le Bail fait ici une digression.
« Je ne prononcerai, dit-il, aucune parole amère contre
qui que ce soit, mais je dois cependant vous mettre sous les yeux certains réquisitoires hebdomadaires répandus chaque dimanche dans le pays où nous vivons.
Vous connaissez, messieurs, cette puissance irrésistible de la presse, les germes et les fruits qu'elle porte.
Eh bien, pendant qu'on instruisait contre mon client,
pendant cette période terrible où, isolé, sans défense,
il attendait son sort, à des intervalles réguliers,
on excitait contre lui l’opinion publique. »
À l'appui de ces réflexions, Me Le Bail lit un long article de journal.
« Ces mœurs-là, ajoute le défenseur, ne sont pas tolérables.
« Aujourd'hui, continue Me Le Bail, c'est un prêtre qui vient demander justice, ou plutôt c'est M. le procureur de la République qui vient de la demander pour lui.
Dieu merci, celui qu'on a atteint n'a pas été frappé à mort
L'affaire relatée par le Courrier du Finistère
Janvier et février 1895
dans cette enceinte, il a été même l'objet de la vénération et du respect de tous.
Mais mon client, lui, il faut aussi le prendre tel qu'il est. »
Le défenseur, après s'être expliqué sur ce dernier point, rentre dans le champ de la discussion et essaie de démontrer que l'élément intentionnel n'existe pas.
En terminant, Me Le Bail, faisant appel aux sentiments de pitié du jury,
demande de ne pas frapper son client impitoyablement.
La loi, dit-il, a été violée dans la personne d'un citoyen français; il faut que cette loi soit appliquée.
Punissez, mais punissez avec modération ! »
Reconnu coupable de tentative de meurtre, avec admission de circonstances atténuantes.
Jacques Gourmelen est condamné à dix années de réclusion, sans interdiction de séjour, et par corps aux frais.
L'audience est levée.
Il est onze heures et demie.
La foule s'écoule sans bruit ni murmures.