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Fenêtres sur le passé

1895

Dans l'Argoat

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Source : La Dépêche de Brest 7 octobre 1895

 

Auteur : Anatole Le Braz

 

Je viens de pèleriner pendant un mois à travers les bourgades et les hameaux

de la Bretagne intérieure.

C'est une région encore peu connue.

Les petits chemins de fer économiques commencent à la pénétrer de part en part, mais, jusqu'à présent, leurs wagonnets y circulent le plus souvent à vide.

Les touristes n'ont pas encore découvert ces mystérieuses solitudes.

Ils préfèrent s'en tenir aux « curiosités », déjà fortement banalisées, du littoral, et, par conséquent, à la conception d'une Bretagne conforme au type classique, âpre, grise, dénudée, tempétueuse.

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C'est tout au plus si une migration de peintres et, à leur suite, quelques voyageurs ont poussé une pointe

vers le Huelgoat.

Le reste de l'immense étendue de pays que bordent, au nord, les pentes rousses de l'Arrée, au sud,

les contreforts schisteux de la Montagne-Noire, a gardé intactes la fraîcheur de sa physionomie primitive,

sa séduction de terre inviolée.

 

Les Bretons, dans leur langue, l'appellent l’Argoat, la « contrée des bois »,

par opposition à l’Armor, au « pays de la mer ».

Et c'est, en effet, son caractère le plus saillant d'être une terre boisée, verdoyante à perte de vue, où les taillis d'aulnes et de coudriers moutonnent su flanc des hauteurs, où s'élancent du creux des gorges de majestueuses hêtraies semblables à de vastes églises végétales.

Par-là, elle contraste singulièrement avec la zone côtière, presque partout dépourvue d'arbres et qui n'a, l'été, pour la défendre des ardeurs du soleil, que l'ombre courte de ses haies d'ajoncs.

Par-là aussi, elle vous donne le sentiment et comme la révélation

d'une Bretagne nouvelle, d'une Bretagne riante et, en quelque sorte, idyllique, toute de grâce, de douceur, d'intimité, absolument différente

de celle que l'on visite et que l'on décrit.

Les Guides l'ignorent, et il n'y a pas à leur en vouloir :

ils n'y trouveraient à signaler à leur clientèle aucune de ces « beautés »

sur lesquelles leur prose uniformément admirative a coutume de s'extasier, encore que la procession de pierre des Kragou soit parmi les plus étranges profils de roches qui se puissent voir et qu'il y ait peu de panoramas comparables à celui dont on jouit du sommet du Ménez Mikêl.

Le charme de cette nature est moins dans tel ou tel de ses aspects

que dans la subtile, l'indéfinissable harmonie de l'ensemble.

Vallées sinueuses et profondes, collines aux contours délicats,

horizons d'une souplesse merveilleuse et de teintes finement nuancées, tout, ici, respire vraiment le je ne sais quoi d'enveloppant et de prenant

par où le pays breton, au dire de M. Brunetière, se distingue des autres pays.

Peut-être est-ce pour cette raison que le peuple a fait de cette partie retirée de la province le séjour de prédilection de Viviane.

Elle passe pour y avoir vécu, pour y exercer, de notre temps encore, ses prestiges et ses enchantements.

Les bûcherons et les sabotiers, qui forment, en ce terroir, l'élément le plus considérable de la population, racontent à qui veut les entendre

qu'il leur est arrivé plus d'une fois, au lever du soleil ou à son coucher,

de surprendre la fée celtique penchée sur le miroir d'une source et lissant

ses cheveux d'or.

« Toutes nos rivières, affirment-ils, se renvoient l'une à l'autre son image. »

Et les rivières sont nombreuses dans l'Argoat !...

C'est la contrée des eaux non moins que des bois.

Là sont les fontaines glacées dont parle le poète, et, comme aux jours lointains où il les chanta, une vénération immémoriale les entoure.

Rares sont celles que n'encadre point un mur en pierres de taille, naïvement sculptées.

Le plus souvent, le bassin est protégé par un édicule, presque un temple.

Car les eaux vives sont sacrées :

une divinité tutélaire habite leurs profondeurs, et le bruit de l'onde

qui s'épanche n'est autre que le murmure de sa voix.

Le christianisme, il est vrai, l'a baptisée d'un nom nouveau,

emprunté au calendrier de ses vierges ou de ses saints ;

il a modifié le sens de sa légende, mais, ce qu'il n'a pu faire,

c'est changer sa vieille petite âme païenne.

Elle est demeurée ce qu'elle était aux anciens âges, et,

aujourd'hui comme alors, c'est à elle que vont les prières,

à elle aussi les pieuses et rustiques offrandes.

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Ferdinand Brunetière

Né le 19 juillet 1849 à Toulon

Décédé le 9 décembre 1906  à Paris

Critique littéraire

Prix Bordin (1883)

Prix Jean-Reynaud (1909)

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La Dame du Lac

Speed Lancelot (1860-1931)

The Legends of King Arthur and His Knights, 1912

Que si vous voulez voir célébrer le culte des fontaines

dans toute sa splendeur, allez au pardon de Bulat.

Il a lieu dans la dernière quinzaine de septembre.

Le train de Guingamp à Carhaix vous débarquera en pleine lande, parmi les brousses et les bruyères,

à la solitaire station de Pont-Melvez.

Le propre de ces lignes de l'Argoat est, pour ainsi dire,

de ne passer nulle part, de n'avoir l'air de rien desservir,

et leurs gares font l'effet de maisons de bergers,

perdues dans la steppe.

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Ne vous découragez point, toutefois ;

devant vous s'acheminent, par les sentiers, de longues files de pèlerins : suivez-les ;

elles convergent toutes vers Bulat dont la haute flèche élégante, une des plus ajourées de Bretagne, surgit peu à peu, par-delà des dos blonds de collines, dans l'estompe légère du matin.

La bourgade est chétive,

— un pauvre village des monts, fait d'un presbytère, d'une école et de trois ou quatre auberges.

Le paysage, en revanche, est délicieux et l'église est admirable.

Mérimée, si je ne me trompe, la visita, au cours d'une de ses tournées d'inspection dans l'Ouest,

et en reçut une impression très forte.

L'ossuaire surtout le frappa, par la saisissante étrangeté des figures macabres qui la décorent.

La Mort y est représentée dans les attitudes les plus diverses, avec une fougue de ciseau vraiment tragique,

et il y a telle contorsion de squelette hurleur que l'on n'oublie plus.

Bulat n'aurait que son église que ce serait assez pour sa gloire ;

mais elle ne serait probablement pas devenue la grande capitale religieuse de l’Arrée, si elle n'avait eu ses fontaines.

Elle est proprement la cité des fontaines.

Nulle autre ne mériterait mieux le nom de Kerfeunteun, décerné jadis, par les vieux chefs de clan, à tant de localité bretonnes.

De quelque côté qu'on y entre,

on est salué par le clair chant des sources.

Elles coulent limpides et intarissables, imprégnant l'atmosphère d'une exquise odeur de mousse humide, versant à toutes choses la vie et la fraîcheur.

Les montagnards d'alentour, les gens mêmes de la plaine

et ceux de la mer leur viennent demander, selon les cas, soit la force, soit la guérison ;

les jeunes filles les consultent, pour connaître leur destin ;

les jeunes femmes y laissent tomber une à une les épingles

de leur corsage, afin que leurs entrailles soient fécondes

et leurs mamelles gonflées d'un lait nourrissant.

Le pardon de Bulat est, en réalité, leur fête.

Les pompes de l’office à l'église ne sont qu'un accessoire ;

la véritable cérémonie s'accomplit auprès des fontaines.

Des vieilles vous tendent l'eau sainte, puisée dans une écuelle, et, moyennant une obole, vous enseignent les paroles qu'il faut dire,

les rites qu'il faut pratiquer.

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Chaque source a ainsi son collège de prêtresses en haillons, aux traits ridés, aux lèvres marmottantes.

Elles vous content, entre temps, d'adorables histoires, car elles ont des façons ingénues de pontifier.

J'ai passé, quant à moi, des heures charmantes en leur compagnie,

assis sur la margelle monumentale de la fontaine des Sept-Saints.

 

— Autrefois, me disait l'une d'elles, avant la Révolution, pas un Breton n'eût manque de faire le pèlerinage

des sept évêchés, d'Aleth à Vannes, par Dol, Saint-Brieuc, Tréguier, Saint-Pol et Quimper-Corentin.

D'aucuns le faisaient en corps de chemise, nu-tête et nu-pieds.

Tous, au retour, se rendaient à Bulat.

Ils trempaient leur visage et leurs mains dans chacun des sept bassins que voici et se relevaient dispos.

Ces ondes ont en elles toute la vertu de la terre bretonne. ..

 

Que les excursionnistes à billets circulaires se tiennent donc pour avertis !

S'ils veulent secouer toute fatigue, qu'ils fassent un crochet vers la fontaine des Sept-Saints

avant de se diriger sur Paris.

Je puis du moins les garantir que l'eau en est excellente.

 

A. Le Braz.

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