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Fenêtres sur le passé

1894

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Somnambules trop lucides

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Source : La Dépêche de Brest 22 décembre 1894

 

L'affaire des femmes Cucu et Pansard, les deux somnambules poursuivies pour avoir fait chanter dans les grands prix

un honorable gentleman, qui escomptait d'une façon par trop naïve

le décès de sa femme, afin de pouvoir convoler avec sa belle-sœur,

avait attiré hier, au palais, une nombreuse affluence.

 

La cause justifiait, d'ailleurs, cet empressement,

car elle a ouvert un jour curieux non seulement

sur les procédés ordinaires et extraordinaires des marchandes d'avenir, mais aussi sur la crédulité vraiment fantastique de leurs clients.

 

Les inculpées ne rappellent en aucune façon les brunes gitanes

aux cheveux luisants qui, dans les foires,

vous invitent à franchir le seuil de leur roulotte.

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Elles sont, d'ailleurs, nées en Bretagne, et ce n'est pas par tradition qu'elles lisent dans les cartes ou le marc de café.

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C'est à la foire de Gouesnou que M. de B..., le plaignant, a pris contact avec les prévenues.

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Apercevant la voiture de la femme Cucu,

sur laquelle se détachaient ces mots engageants :

« Somnambule de 1ère classe de la faculté de Paris », il entra.

 

La femme Pansard était avec la femme Cucu.

 

« Vous aimez, lui dirent-elles, — c'est M. de B... qui parle —

une jeune personne dont vous voulez être aimé.

Il faut pour cela que votre femme disparaisse.

La chose n'est pas impossible.

Ça vous coûtera 121 fr. pour commencer. »

 

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« Le 27 octobre, le jour de la foire de Saint-Renan, continue M. de B...,

je retournai chez les deux somnambules pour leur remettre la somme demandée.

Ce n'est pas assez, me dit alors la femme Pansard.

Il nous faut une provision de 500 fr. pour commencer nos expériences. »

 

M. de B .., toujours bon prince, donna les 500 francs et les expériences commencèrent.

On essaya d'abord de l'endormir avec des passes magnétiques.

Les passes ne réussissant pas, on passa aux lignes de la main, mais ce n'était que de la Saint-Jean auprès du reste.

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La femme Pansard déposa un crucifix dans une assiette où se trouvait de l'éther auquel elle mit le feu ;

puis les deux femmes s'agenouillèrent et récitèrent trois Pater et trois Ave.

L'éther consumé, la femme Pansard remit à M. de B... un morceau de fil et l'invita à y faire trois nœuds.

Les nœuds faits, le fil fut placé sur le crucifix.

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« Si les nœuds disparaissent, ajoutèrent les deux commères, le succès de votre entreprise est assuré.»

Et les nœuds disparurent.

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M. de B... ne s'était pas aperçu que les deux femmes

avaient substitué un morceau de fil intact à celui noué par lui.

 

Il partit plein de confiance avec un flacon contenant une eau merveilleuse.

Il lui suffirait d'en répandre quelques gouttes sur le parquet

de la chambre de sa femme pour hâter la fin de celle-ci.

 

Le 3 novembre, M. de B... retrouve les deux voyantes à Saint-Renan.

Elles lui demandent de nouveau 500 fr. Il transige pour 250 fr.

 

Enfin, il les voit une dernière fois à Brest.

Mais les écailles tombent de ses yeux et il dépose une plainte au parquet.

 

C'est, à quelque chose près, ce que dit M. de B... dans sa déposition.

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II nie cependant avoir dit aux prévenues qu'il voulait se défaire de sa femme.

 

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Il leur a seulement demandé de lui faire connaître le nom de la personne qu'il aimait et de lui procurer sa photographie.

 

Le président procède ensuite à l'interrogatoire des inculpées.

 

Stéphan (Marie), femme Pansard, est née à Quimper le 26 septembre 1866.

 

Elle déclare ne pas avoir de domicile fixe et être mère de quatre enfants.

Son casier judiciaire mentionne une condamnation à un mois de prison, qui lui a été infligée

par le tribunal de Château Gonthier, pour escroquerie d'une somme de 46 fr. et d'une montre

au préjudice d'un cultivateur besogneux auquel elle avait promis de faire découvrir un trésor.

 

Détail curieux : la femme Pansard ne sait ni lire ni écrire sauf dans l'avenir.

 

« Je me trouvais, à Gouesnou, dans la voiture de Mme Cucu, dit-elle, quand M.de B... est venu me demander

si j'étais capable de lui dire le nom de sa belle-sœur et de lui procurer sa photographie.

— Si vous pouviez faire disparaître ma femme, ajouta-t-il, je vous donnerais tout ce que vous voudrez.

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Je lui répondis que je pouvais lui faire connaître le nom et lui procurer le portrait de sa belle-sœur, mais qu'il n'était pas dans mes capacités de faire disparaître

sa femme. »

 

D. — Lui avez-vous dit le nom de sa belle-sœur ?

— Oui, mais préalablement la femme Cucu le lui avait habilement fait dire.

(Rires.)

 

Jupin (Marie), femme Cucu, est née le 11 juin 1871 à Lambézellec.

Elle habite Douarnenez, dit-elle.

 

À une question du président, elle déclare que M. de B... lui avait proposé

de lui donner mille francs pour faire disparaître sa femme.

Je lui ai répondu que nous ne pouvions faire mourir personne.

 

La femme Pansard, interrompant. —

Il avait même des cheveux de sa femme et un couteau.

— Oui, reprend la femme Cucu.

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M. Chardon, substitut du procureur de la République, après avoir rappelé l'affaire, trouve dans les agissements

des prévenues les manœuvres frauduleuses prévues et punies par l'art. 405 du code pénal.

 

Me Henri Le Calloch, qui défend la femme Pansard, estime, au contraire, que les sommes versées par M. de B...

aux deux prévenues l'ont été volontairement, en paiement de consultations demandées

et même recherchées avec persistance.

 

Me Dubois, pour la femme Cucu, soutient la même thèse.

 

Mais il ne faut pas que l'horoscope, même lorsqu'il a le caractère spécial que l'on vient de voir, confine à l'escroquerie.

 

Le tribunal l'apprend aux prévenues en condamnant à vingt jours de prison la femme Pansard

et à dix jours de la même peine la femme Cucu.

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