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Fenêtres sur le passé
1894
Un portefaix assassin rue Suffren à Brest

Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1894
La rue Suffren a été mise en émoi hier matin, à 9 h. 1/2, par un drame sanglant.
Un portefaix a frappé sa maîtresse de deux coups de couteau, l'un dans le dos, l'autre, très grave,
au-dessus du sein gauche.
Depuis quelque temps, une fille de mœurs légères, nommée Maria Pony, avait pour amant un ajusteur mécanicien, sans travail, nommé Ollier (Émile).
Ollier était arrivé à Brest au commencement de janvier, venant de Paris.
Il travaillait quelquefois au déchargement des navires charbonniers au port de commerce, mais le plus souvent il se tenait dans le groupe de commissionnaires qui stationnent près du grand pont, au bas de la rue de Siam.
Comme la plupart des filles de cette catégorie, Maria Pony, qui est âgée de 22 ans, entretenait Ollier avec le produit
« de son travail ».
L'ex-ajusteur connaissait parfaitement la source de l'argent que lui passait sa maîtresse.
Quoi qu'il en ait dit après le meurtre, il n'ignorait pas qu'elle se livrait à la prostitution.

Avant-hier soir, vers 7 h. 1/4, Maria Pony fit la rencontre d'un marin en instance de réforme, actuellement à la division des équipages delà flotte, le sieur T...
Elle se rendit avec lui chez M. Vigier, débitant rue Suffren, 32, et où ils retinrent une chambre pour la nuit.
Ils y revinrent après être allés à Saint-Martin, où habite le tuteur du marin, y dînèrent et montèrent ensuite dans la chambre qu'ils avaient retenue, au premier étage sur le devant.
Ollier couchait aussi de temps en temps chez M. Vigier.
Il parut à son tour dans la soirée, prit diverses consommations et coucha dans une chambre du 3e étage.
Le lendemain matin, à cinq heures, il frappait à la porte de Maria Pony ; mais le marin étant encore là,
elle ne lui ouvrit pas.
Le portefaix sembla en prendre son parti.
Il sortit de la maison, descendit jusqu'au petit pont et aida deux autres commissionnaires à porter des malles.
Ce travail lui ayant procuré quelque argent, il avala coup sur coup plusieurs verres de tafia et, à sept heures, il revint frapper à la porte de sa maîtresse.
Le marin étant parti, Maria Pony ouvrit.
Ollier paraissait très exalté.
Il se jeta sur le lit tout habillé et, d'après lui, reprocha vivement à sa maîtresse son genre de vie.
Celle-ci, qui n'était sans doute habituée à de pareils reproches et qui savait surtout que Ollier en voulait à son argent, se contenta de lui rire au nez.
Ollier, de plus en plus furieux, quitta la chambre de sa maîtresse en l'insultant et descendit s'attabler dans le débit de M. Vigier, où il prit un café.
À 8 h. 1/2, Maria Pony descend à son tour et Ollier, la voyant dans la rue, l'interpelle :
— Maria, veux-tu prendre un café avec moi ?
— Non, répond Maria. Si je veux prendre un café, j'ai de l'argent.
Le débitant, M. Vigier, intervient alors et dit à Maria de lui rendre la clé de sa chambre.
— Oh ! S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir, je vais vous la chercher.
Et elle remonte au premier étage.

Tout à coup, Ollier, qui était toujours attablé dans le débit, se lève, sort par une petite porte donnant sur l'entrée et grimpe l'escalier.
Il rejoint la fille Pony au moment où celle-ci fermait à clé la porte de la chambre.
Une discussion d'une extrême violence a lieu entre eux, puis, au paroxysme de la colère, Ollier tire un couteau et frappe sa maîtresse dans le dos.
Maria Pony pousse un cri de douleur et veut fuir, mais elle n'en a pas le temps.
Ollier frappe une seconde fois, et l'arme pénètre profondément au-dessus du sein gauche.
Pendant que sa victime pousse des cris plaintifs, le portefaix referme son couteau, le remet dans sa poche, puis descend tranquillement l'escalier.
Maria Pony, au bras d'une voisine, la femme Anaïs Jégou, arrive à son tour dans la rue.
Le sang couvre sa poitrine et son dos.
C'est à peine si elle tient debout.
— Ah ! Que je souffre ! Que je souffre ! dit-elle.
Juste à ce moment, le brigadier Michas, chef de la sûreté, et l'agent Floch, montaient la rue Suffren.
M. Michas s'approche et reçoit dans ses bras Maria Pony, qui perd connaissance, après avoir indiqué aux agents le meurtrier, qui descendait la rue.
M. Michas et l'agent Floch coururent aussitôt après lui et l'arrêtèrent près de l'escalier du Commandant.
« J'allais justement, dit-il, me constituer prisonnier au poste de police. »
M. Michas, incrédule par profession, n'ajoute qu'une foi relative à cette déclaration.
Il menotte solidement le meurtrier et le conduit au poste de la mairie, où on le fouille.
Le couteau dont s'est servi Ollier, et qu'il a encore sur lui, est un couteau de poche, à manche de corne et à deux lames.
Une de ces lames, très affilée, a dix centimètres de long.
Elle est encore rouge de sang.
Au poste, Ollier manifeste une insensibilité extrême.
Pendant que les agents écrivent, il roule une cigarette et l'allume tranquillement à un bec de gaz.
M. Michas, ayant mis le meurtrier en lieu sûr, revient avec des agents et un cadre dans la rue Suffren.
Maria Pony y est déposée et conduite chez M. Bourdeau, pharmacien, rue de Traverse, où le docteur Bonain lui fait un pansement provisoire, puis elle est conduite à l'hospice civil et placée à la salle Sainte-Marie.
Quelques instants après, le docteur Caradec arrive, examine les blessures, dont l'une, celle au-dessus du sein gauche très profonde, est, par suite, très grave.
Le poumon a dû être atteint.
L'autre plaie est moins profonde et bien moins grave.
Le docteur Caradec lave les plaies et arrête l'hémorragie.
Il fait ensuite deux points de suture à la plaie du sein.
La blessée, presque évanouie, pousse de longs soupirs.

Pendant qu'on transporte la victime à l'hospice, M. Guibaud, commissaire de police du 2e arrondissement, se rend sur les lieux du meurtre.
Solidement garrotté, le meurtrier y est également conduit par plusieurs agents.
Pour arriver jusqu'au numéro 32, il traverse une foule de curieux qui ont envahi la rue Suffren et qui murmurent sur son passage.
Lui, très calme, marche la tête haute.
On le fait monter au premier étage.
Comme le corridor qui donne accès à la chambre où Maria a passé la nuit est très sombre, on allume une bougie et alors on aperçoit des taches de sang près de la porte.
— C'est vous qui l'avez frappée ? lui dit M. Guibaud.
— Oui, dit-il.
Et, se tournant vers les agents :
— J'ai soif, donnez-moi de l'eau !
À ce moment, il simule l'ivresse.
— C'est ici, sur le palier, que vous l'avez frappée ? lui dit encore le commissaire.
— Je ne sais pas, fait-il, si c'est ici ou dans la rue.
Et comme les agents le tiennent de près :
— Ne me serrez pas tant, leur dit-il.
J'ai commis une faute, je l'expierai.
Les constatations sont terminées.
Chose étrange, la femme Vigier, dont la chambre est contiguë à celle de Maria Pony, et qui était couchée avec ses enfants, n'a rien entendu.
Le meurtrier est ensuite conduit au bureau de M. Guibaud, qui le soumet à un court interrogatoire.
Une femme Jacolot, qui a entendu la discussion entre les deux amants est également entendue par M. Guibaud, qui fait ensuite conduire Ollier au parquet, où il est écroué dans la prison du palais.

À une heure de l'après-midi, le meurtrier est extrait de la prison et conduit, menottes aux mains, dans la salle d'attente de l'hospice.
Ollier a toujours soif.
Il demande encore de l'eau.
Depuis le matin, il en a bu, dit-on, près de six litres.
Apercevant le concierge de l'hospice, il lui demandé, faisant allusion à sa maîtresse :
« Est-elle morte ? »
Sur la réponse négative du concierge, il reprend son air indifférent.
À deux heures, MM. Guicheteau, juge d'instruction ;
Manceau, juge suppléant, remplaçant M. Frétaud, procureur de la République ;
Anner, médecin-légiste ;
Combes, commis-greffier, et Guibaud, commissaire de police, se rendent à l'hospice et vont immédiatement à la salle Sainte-Marie.
La victime, Maria Pony, est au lit n° 11.
De temps à autre, elle pousse des gémissements.
Le visage est pâle et les yeux sont clos.
« Depuis son arrivée à l'hospice, dit la sœur, on a changé trois fois sa chemise, tant le sang coulait des deux plaies.
De plus, elle crache le sang à pleine bouche. »
Le docteur Anner s'approche du lit et lui demande son nom :
« Maria Pony », répond-elle d'une voix très faible.
M. Anner examine ensuite les blessures du sein et du dos.
Malgré les précautions que prend le docteur pour ne pas la déranger, la victime gémit chaque fois qu'il la touche.
Son état est, d'ailleurs, tellement grave, qu'on n'ose pas sonder la plaie du sein.
Après cet examen, les magistrats font apporter les effets que portait la victime.
La chemise est rouge comme si elle avait été trempée dans un bain de sang.
Dans le corsage, on remarque très bien les trous faits par la lame du couteau.
Pendant qu'on installe une table pour le greffier, une douzaine de femmes, alitées dans la salle, ouvrent des yeux étonnés.
Au bout, à gauche en entrant, au lit n° 2, se tient, assise sur son lit la femme Le Goff, la victime de l'incendie de la rue Kéravel.
La tête et les mains sont enveloppées de toile et de ouate.
M. Anner ne voyant pas d'inconvénient à ce que l'on interroge Maria Pony pendant un quart d'heure, M. Guicheteau lui pose quelques questions auxquelles elle répond d'une voix affaiblie et en poussant des gémissements.
Elle accuse naturellement Ollier.
À 2 h. 20, les magistrats se retirent, et, jugeant une confrontation inutile, ordonnent de reconduire le meurtrier à la prison du palais.
Dans l'après-midi, vers 3 h. 1/2, M. Guicheteau l'a interrogé longuement.
Ollier reconnaît son crime et dit que c'est par jalousie qu'il a frappé.
Dans la soirée, il a été transféré au Bouguen par la voiture cellulaire.

Grand, les cheveux et la moustache rouges, Ollier (Émile), qui est vêtu de coutil bleu, comme les portefaix, est né à Dunkerque le 7 janvier 1866.
Il est arrivé à Brest au commencement de janvier, venant de Paris, où il avait habité pendant deux ans, 25, rue des Cévennes.
Ajusteur-mécanicien, il était sans travail depuis son départ de Paris, et il est arrivé à Brest si dépourvu de ressources, qu'il fut admis au bureau de bienfaisance en attendant son admission a l'hospice, car il était atteint d'une maladie honteuse.
Le 6 janvier, il entrait, en effet à l'hospice et était placé à la salle des consignés.
Le 29 mars dernier, étant à peu près guéri, il s’évada de l’hospice, vers dix heures du soir, en escaladant le mur qui donne sur la rue Traverse.
Depuis cette époque, il travaillait avec les portefaix, soit près du pont, soit au port de commerce.
La victime, Maria Pony, est née à Tréguier (Côtes du Nord), le 24 août 1872.
Elle faisait partie de l’armée des filles soumises.
Comme Ollier, elle n’a pas de domicile fixe.

Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1894

Source : La Dépêche de Brest 14 avril 1894
Maria Pony, la victime du crime de la rue Suffren, a pu dormir un peu l'avant-dernière nuit.
Hier matin, son état s'était légèrement amélioré et, dans la journée, elle a pu causer avec la religieuse qui la garde.
Elle se plaint cependant de ressentir de vives douleurs qui lui font, de temps en temps, pousser des cris.
M. le docteur Caradec, dans le service duquel se trouve la salle Sainte Marie, a visité de nouveau hier la blessée et a renouvelé les pansements.
Aujourd'hui, le docteur Anner se rendra à l'hospice pour examiner la blessure au point de vue médico-légal.
Quant à Ollier, il a été extrait hier matin de la prison du Bouguen et conduit au palais, dans la voiture cellulaire, sous la surveillance spéciale du brigadier de police Le Hir.
Amené, à deux heures, dans le cabinet de M. Guicheteau, juge d'instruction, il a été interrogé jusqu'à trois heures et demie.
Ollier a de nouveau reconnu les faits, mais il a affirmé que la jalousie seule l'avait fait agir.
Sur ce point, nous croyons savoir que les renseignements recueillis démolissent son système de défense.
On sait en effet parfaitement que c'est le refus de Maria Pony de lui remettre une certaine partie de l'argent du marin qui l'a poussé à se venger de la façon que l'on sait.
*
**
Source : La Dépêche de Brest 15 avril 1894
L'état de Maria Pony, la victime du crime de la rue Suffren, s'est aggravé dans la nuit de vendredi à samedi et est resté grave hier toute la journée.
M. le docteur Anner, médecin-légiste, qui s'était rendu hier matin, à S h. 1/2, à l'hospice, n'a cru devoir, vu cet état, sonder la profondeur des plaies.
Un assez grand nombre de personnes, habitent pour la plupart la rue Suffren, ont demandé à voir la blessée ; mais l'autorisation leur a été refusée.
Ollier, le meurtrier, n'a pas été conduit hier au palais.
Nous croyons savoir que la justice recherche ce qu'il a fait à Paris, pendant les deux années qu'il y a demeuré, habitant 25, rue des Carmes.
Un petit détail à son sujet.
Pendant son séjour à l'hospice, à la salle des consignés, on ne l'appelait que « le fabricant de fausse monnaie *».
Personne n'a pu nous dire pourquoi.
(*) (NDLR : Voir en fin de page dans la liste des condamnations)
*
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Source : La Dépêche de Brest 16 avril 1894
L'avant-dernière nuit a été très mauvaise pour la victime d'Ollier.
Maria Pony ne peut plus respirer qu'avec beaucoup de difficulté.
Elle a été transportée hier matin dans un cabinet spécial, qui se trouve au bout de la salle Sainte Marie.
Seul, son frère, matelot à bord du Jemmapes, est autorisé à la visiter.
Malgré la gravité de son état, la malade a manifesté hier le désir d'avoir du tabac à priser, et l'on s'est empressé d'accéder à son désir.
Source : La Dépêche de Brest 17 avril 1894

Source : La Dépêche de Brest 18 avril 1894

Source : La Dépêche de Brest 24 avril 1894
L'état de Maria Pony, la victime du crime de la rue Suffren, reste toujours grave.
Maria Pony est atteinte d'un épanchement du poumon gauche, qui a été, on le sait, atteint par la lame du couteau du meurtrier.
La moindre quinte de toux lui fait rendre beaucoup de sang par la bouche, et l'on ne sait encore quelles seront les suites de ses blessures.
En tous cas, les médecins ne se sont pas encore prononcés.
*
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Source : La Dépêche de Brest 6 mai 1894

Source : La Dépêche de Brest 23 mai 1894

Source : La Dépêche de Brest 15 juin 1894
On se souvient du crime qui mit en émoi, le 12 avril, la rue Suffren.
Un portefaix, ancien mécanicien, Ollier (Émile), avait, vers 9 h. 1/2 du matin, frappé sa maîtresse, la fille Maria Pony, âgée de 22 ans, de deux coups de couteau, l'un dans le dos, l'autre, très grave, au-dessus du sein gauche.
Ce dernier coup avait perforé le poumon.
Ollier fut arrêté quelques minutes après.
Quant à Maria Pony, elle fut transportée à l'hospice civil, où elle fut placée d'urgence à la salle Sainte-Marie.
Malgré tous les soins dont elle était l'objet, un abcès fétide se formait il y a quelques jours dans le poumon perforé, et dès lors ce n'était plus qu'une question de temps pour la victime d'Ollier.
En effet, hier matin, à une heure, la fille Pony a succombé à ses horribles souffrances.
Le corps a été aussitôt transporté à la salle de la morgue de l'hospice, en attendant les ordres du parquet.
Prévenu dès la première heure de la mort de Maria Pony, M. Frétaud, procureur de la République, a eu aussitôt un entretien avec M, Guicheteau, juge d'instruction, à la suite duquel l'autopsie du corps a été jugée indispensable.
Cette autopsie aura lieu aujourd'hui à l'hospice.
En l'absence de M. Anner, médecin légiste, retenu chez lui par la maladie, c'est M. le docteur Mahéo qui procédera, en présence des magistrats, à cette opération, qui aura lieu à neuf heures.
Maria Pony, âgée de 21 ans et 10 mois, était née à Tréguier (Côtes-du-Nord) le 24 août 1872.
Elle faisait partie de ces malheureuses qui courent la nuit par les rues de la ville, s'offrant aux passants attardés.
L'heure des obsèques n'est pas encore fixée.
Il est probable qu'Ollier sera confronté avec le cadavre de sa maîtresse.
*
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Source : La Dépêche de Brest 16 juin 1894
Comme nous l'avons annoncé, l'autopsie de Maria Pony, la victime du crime de la rue Suffren, a été faite hier matin.
Dès neuf heures, Ollier, solidement menotté et conduit par un agent et le brigadier Le Hir, qui étaient allés le chercher au Bouguen, par ordre de M. Frétaud, procureur de la République, arrivait à l'hospice.
L'ex-mécanicien, qui a beaucoup maigri depuis son crime, était vêtu de coton bleu et portait un chapeau de paille.
Il marchait la tête basse.
À 9 h. 1/4, MM. Frétaud, procureur de la République, Guicheteau, juge d'instruction, Mahéo, médecin-légiste, et Combes, commis-greffier, arrivent à l'hospice et se rendent aussitôt à la salle d'autopsie.
Le corps de Maria Pony est enveloppé d'un drap blanc.
Sur l'ordre de M. Guicheteau, Ollier est amené :
« Je ne veux pas assister à l'autopsie », dit-il.
— Bien, lui répond le magistrat, mais reconnaissez-vous là le cadavre de Maria Pony ?
Et en même temps le docteur Mahéo découvre le corps de la victime.
Ollier s'avance ; il tient son chapeau à la main.
Il jette un regard oblique sur le corps de sa maîtresse et paraît ému.
— Voilà le corps de votre victime, lui dit M. Frétaud, de celle que vous avez tuée !
En sortant de la salle d'autopsie, Ollier répond au procureur :
« Oh ! Elle avait une maladie de cœur.
Depuis longtemps, elle crachait le sang.
Tout le monde peut vous le dire. »
M. Mahéo procède ensuite à l'autopsie et constate que le poumon gauche, qui avait été perforé par la lame du couteau d'Ollier, n'existe plus.
La malheureuse a craché peu à peu cet organe.
Quant au cœur, contrairement aux dires d'Ollier, le médecin-légiste constate qu'il est très sain.
En résumé, la mort est le résultat du coup porté par Ollier.
Par suite de la mort de Maria Pony, la classification de cette affaire,
qui avait été jusqu'ici « tentative de meurtre », change et devient « meurtre ».
Ollier comparaîtra devant les assises du Finistère le mois prochain.
Les obsèques de Maria Pony ont eu lieu hier, à quatre heures du soir, à la chapelle de l’hospice.
L'inhumation a été faite au cimetière de Kerfautras.

Source : La Dépêche de Brest 22 juillet 1894
L'auteur du crime de la rue Suffren, Ollier (Fulcran-Valérie-Saturnin-Émile), est âgé de 28 ans.
Originaire de Dunkerque, il se dit mécanicien, mais il y a beau temps qu'il a mis de côté ses outils pour exercer la profession moins fatigante et plus lucrative de souteneur.
Ollier est assisté de Me Le Bail.
M. le substitut Vidal occupe le siège du ministère public.

Le 12 avril 1894, vers dix heures du matin, le brigadier de police Michas, passant dans la rue Suffren, fut accosté par la fille soumise Maria Pony, qui, toute effarée, lui dit qu'elle venait de recevoir des coups de couteau et tomba sans connaissance à ses pieds.
Presqu'en même temps, il arrêta le meurtrier, qui n'était autre que le nommé Ollier (Fulcran), se disant mécanicien et qui, fouillé, fut trouvé porteur d'un couteau ensanglanté.
La victime, qui avait été frappée de cette arme au-dessus du sein gauche et à l'épaule du même côté, fut immédiatement transférée à l'hospice civil.
Sommairement entendue, en raison de son état d'affaissement extrême, elle déclara qu'elle avait passé la nuit dans sa chambre, rue Suffren, 32, avec un nommé Jacques Turpin.
Dans la matinée, vers 5 h. 1/2, Ollier, avec lequel elle entretenait des relations intimes depuis huit jours seulement, était venu vainement frapper à sa porte et, vers 7 h. 1/2, après le départ de Turpin, s'était présenté de nouveau et lui avait adressé des reproches dans les termes les plus grossiers.
Elle s'était alors levée et était descendue suivie d'Ollier, puis elle était remontée, toujours suivie de l'accusé, qui, sur le palier du 1er étage, après l'avoir saisie à la gorge et menacée de son couteau, lui en avait porté deux coups dans le dos et dans la poitrine, qu'alors elle avait fui appelant les agents, et s'était évanouie.
Interrogé à son tour, Ollier prétendit qu'il avait frappé la fille Pony sans intention de la tuer, mais cette intention homicide est établie par ses menaces, l'usage d'une arme meurtrière, la violence et la réitération des coups portés.
L'homicide par lui était prémédité.
En effet, quand il sut que Turpin passait la nuit avec la fille Pony, il dit « que le lendemain matin, il irait chez elle, enfoncerait la porte et que, si elle ne lui donnait huit francs, sa peau trinquerait, et qu'il l'enverrait là-bas !... »
Il a été démontré, du reste, que la question d'argent entrait pour beaucoup dans ses préoccupations et que, malgré ses dires, il se faisait nourrir par cette fille depuis qu'il la fréquentait.
Dès son premier examen, le jour même du crime, le médecin-expert avait pressenti les terribles conséquences des blessures.
Peu à peu, des désordres internes s'aggravèrent et une mort plus ou moins prochaine parut inévitable.
Cette fille, en effet, succomba le 14 juin.
L'autopsie a démontré que Maria Pony était morte d'une infection purulente du poumon gauche, qui s'était étendue au foie et était la conséquence certaine de la plaie pénétrante existant à la poitrine et de l'hémothorax qui s'en était suivi.
Ollier a, malgré sa jeunesse, de déplorables antécédents.
Depuis son arrivée à Brest, il vivait dans l'oisiveté et la débauche et passait pour un souteneur.

Le président commence l'interrogatoire de l'accusé.
D. — Vous avez comparu cinq fois devant la justice ?
R. — C'est exact.
Le président. — Le relevé de votre casier judiciaire parle d'une façon suffisamment éloquente contre vous.
De plus, vous avez la réputation d'un souteneur.
Vous vous faisiez héberger par les filles publiques, et huit jours avant le crime, vous viviez aux crochets de la fille Pony.
On ne sache pas que vous ayez eu d'autres discussions avant celle qui a précédé immédiatement la scène du crime.
D. — Vous avez appris le métier de mécanicien, mais vous ne travailliez pas ?
R. — Je ne pouvais pas, j'étais malade.
D. — Vous appartenez à une honorable famille.
Votre père était officier de paix à Lyon.
Mais vous étiez enclin à la paresse.
Vous avez quitté furtivement la maison paternelle après avoir volé des effets, que vous avez engagés au mont-de-piété.
Voilà votre passé.
Qu'avez-vous à dire ?
Ollier ne dit mot.
D. — Quand êtes-vous arrivé à Brest ?
R. — Le 5 décembre
D. — Vous n'aviez pas de ressources depuis quelque temps, notamment dans les huit jours qui ont précédé la mort de la fille Pony.
Celle-ci avait reçu Turpin et vous saviez qu'ils devaient coucher ensemble.
R. — Non, Turpin devait rentrer du quartier.
D. — Le lendemain matin, après être venu frapper à la porte de la fille Pony, vous avez eu une discussion avec elle, non au point de vue affection, mais parce qu'elle n'a pas voulu vous remettre la plus grande partie de ce qu'elle avait gagné dans la nuit.
Vous avez alors saisi votre couteau, vous lui en avez porté des coups.
Elle s'est sauvée dans la rue, où elle est tombée aux pieds d'un agent.
R. — C'est vrai.
D. — Cette fille succombait le 14 juin.
R. — Je le reconnais.
D. — Vous aviez résolu de tuer cette fille, et la preuve, c'est que quand vous avez su que Turpin devait passer la nuit avec elle, vous avez dit que le lendemain matin vous iriez chez elle et que si elle ne vous donnait pas d'argent, sa peau trinquerait et vous l'enverriez là-bas...
Ollier ne répond pas.
D. — Persistez-vous à dire que vous n'aviez pas l'intention de la tuer V
R. — Oui.
J'ai trouvé dans la nuit Turpin qui allait se coucher avec Maria Pony.
Je suis sorti et j'ai dit à un ami, que je rencontrai, que je saurais le lendemain si j'étais, oui ou non son amant et si elle me prenait pour un c...
Le président. — Les filles de ce genre n'ont pas d'amants, elles n'ont que des souteneurs.
Ollier. — Je n'ai pas enfoncé la porte, comme on le prétend.
J'ai même frappé avec discrétion et la question d'argent n'y était pour rien.
D. — Quand vous ne passiez pas la nuit avec la fille Pony, vous aviez l'habitude de passer chez elle le lendemain matin.
N'était-ce pas pour lui demander de l'argent ?
R. — Jamais.
Au contraire, je lui donnais très souvent de l'argent.
D. — Cette fille payait le plus souvent dans les cafés et les débits, où vous alliez ensemble.
R. — Une fois seulement, à la maison Vigier.
C'est elle qui avait mon argent.
D. — Combien avez-vous porté de coups à la fille Pony ?
R. — Deux coups.
D. — Pour quel motif, voyons ?
R. — Je suis allé le matin trouver Turpin et je lui ai dit qu'il était un imbécile, qu'il était soldat et qu'il fallait rentrer en prison parce qu'il avait découché.
D. — Vous rencontrez Turpin, vous causez amicalement avec lui.
Vous prétendez avoir de l'amitié pour la fille Pony et vous montez chez elle pour lui faire des reproches ?
R. — Je me suis couché et j'ai voulu savoir ce qu'elle pensait faire.
Alors, elle s'est levée.
D. — Pourquoi n'avez-vous rien dit la veille quand vous avez vu Turpin aller coucher avec elle ?
J'aurais compris votre accès de colère à ce moment.
Au contraire, vous ne manifestez aucune indignation et c'est le lendemain que vous frappez cette fille ?
R. — Le soir, je n'ai pas eu le temps d'intervenir.
Le lendemain matin, quand elle s'est levée et comme elle descendait, je l'ai suivie et je l'ai invitée à prendre du café.
Elle a refusé et elle est remontée.
Je l'ai suivie et alors elle m'a dit qu'elle recevrait encore Turpin.
D. — Vous avez dit à Maria Pony que si elle ne vous donnait pas les huit francs que Turpin lui avait remis, sa peau trinquerait et que vous l'enverriez « là-bas ».
Ceci prouve que vous connaissiez le marché fait avec Turpin ?
R. — Mais non, je n'avais aucun motif pour cela.
Je n'avais pas à la menacer.
Je lui ai fait des reproches pour avoir couché avec Turpin, et c'est cela seulement qui a motivé la scène.
D. — Vous avez prétendu que vous étiez ivre ?
R. — J'étais complètement à jeun.

L'interrogatoire terminé, on passe à l'audition des témoins, qui sont au nombre de dix.
M. GUIBAUD, commissaire de police, donne des détails généraux sur cette affaire.
S'étant rendu sur le lieu du crime quelques instants après son accomplissement, il a interrogé Ollier, qui lui a répondu presque textuellement ceci :
« Je reconnais avoir frappé ma maîtresse, la fille Pony, de deux coups de couteau et lui avoir fait les deux blessures qu'elle porte. Je reconnais aussi le couteau que vous me montrez pour être celui dont je me suis servi.
J'étais fou. Je ne puis attribuer mon crime qu'à la jalousie. »
M. MICHAS (Gilles), brigadier de police à Brest, raconte comment la fille Pony est tombée à ses pieds et l'arrestation du meurtrier.
Il ajoute :
« J'ai appris que le 11 avril, Ollier avait tenu dans le débit Vatard, rue du Petit Moulin, le propos suivant à l'adresse de la fille Pony : « Elle est avec un marin, mais il faudra bien qu'elle crache de l'argent ! »
D'après le témoin, l'accusé n'était pas très ivre.
Le docteur ANNER, qui a examiné la victime après le crime, a constaté deux coups de couteau.
Lors de ce premier examen, l'honorable expert faisait immédiatement toutes ses réserves sur l'issue, qui pouvait être fatale à courte échéance et après avoir suivi les diverses phases de la maladie, déclarait en résumé, le 10 juin :
« La fille Pony paraît ne pas devoir résister au coup de couteau qu'elle a reçu ; la vaste suppuration de l'abcès pulmonaire la mine sourdement et doit avoir pour conséquence la mort.
Quant à la date, il est impossible de la donner. »
Le docteur MAHÉO, qui a procédé, le 15 juin, à l'autopsie du cadavre de la fille Pony, déclare que la mort est due à l’infection de la cavité thoracique, ainsi que l'indiquait la présence de l'abcès métastatique trouvé dans le foie.
Les causes des accidents, ajoute l'honorable expert, ont été une plaie pénétrante de la poitrine et l'hémothorax, qui en a été la conséquence de dernier accident, caractérisé par un épanchement de sang dans la cavité pleurale, doit être attribué à la section d'une intercostale (artère) antérieure plutôt qu’à un autre vaisseau.
L'audience est suspendue 6 h. 3/4.
Elle sera reprise à neuf heures pour la suite de l'audition des témoins, le réquisitoire et la plaidoirie.
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Source : La Dépêche de Brest 24 juillet 1894

Bagnes de Guyane
Embarqué en décembre 1894 sur le « Ville de Saint-Nazaire » pour le bagne en Guyane.
1905 - Travaux forcés à perpétuité transformée en 20 ans.
Évadé le 25 octobre 1906
Réintégré le 18 mars 1907
10 juin 1907 – Condamné à 2 ans de travaux forcés pour évasion.
Évadé le 13 septembre 1907
Réintégré le 18 septembre 1924
17 ans de cavale !
Décédé le 18 juillet 1928 à 58 ans.


