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Fenêtres sur le passé
1894
Notre Marine
par le contre-amiral Vallon
Source : La Dépêche de Brest 2 janvier 1894
Auteur : Contre-amiral Vallon.
Il y a des réformes considérables à faire dans la marine et la première
est d'établir les responsabilités dans le personnel dirigeant.
En supprimant le conseil d'amirauté, mort de ses dernières œuvres,
on l'a remplacé par un comité d'inspecteurs généraux
qui n'en a même plus l'autorité.
Le rôle de ce comité, mal défini dès l'origine, n'a apporté aucune amélioration visible au fonctionnement de l'administration ;
ses membres, le président excepté, sont nommés au hasard des promotions qui appellent les derniers choisis aux postes qui ne devraient appartenir qu'aux officiers généraux ayant déjà donné des preuves de leur expérience dans les arsenaux.
Amiral Vallon
Quand je me reporte à l'inspection du vice-amiral de Gueydon, il y a une vingtaine d'années,
je demeure absolument partisan de l'inspecteur unique, omnipotent, armé des pleins pouvoirs du ministre
et dont l'ancienneté défie toute manifestation d'amour-propre des préfets maritimes et des chefs d'escadre.
Son rapport si remarquable, portant sur toute autre chose que la largeur des galons de casquette et la longueur de la barbe et des cheveux, fit faire un pas à la marine.
— Que ne lui donne-t-on un successeur ?
La marine n'a pas encore de conseil supérieur permanent et responsable
qui remplacerait non seulement le défunt conseil d'amirauté,
mais aussi le conseil des travaux et certaines commissions dont l'action
sur le matériel naval ne paraît pas justifiée par les résultats.
L'organisation d'un conseil supérieur permanent en trois sections
(personnel, matériel et travaux, comptabilité) a déjà souvent été traitée revue ;
elle a eu, elle aura toujours le don d'exciter les clameurs ;
je n'y reviendrai pas pour le moment.
Vice amiral de Gueydon
L'action du conseil des travaux enlève, à l'initiative de nos jeunes ingénieurs, le succès que leur vaudraient
leur remarquable instruction et leur travail ;
elle leur enlève aussi la responsabilité et ne peut que leur inspirer le découragement quand ils voient leur œuvre remaniée, défigurée par une réunion anonyme rarement bien inspirée dans ses modifications.
Si, d'une part, le conseil des travaux couvre le ministre sans se découvrir lui-même,
il maintient l'effort dans les limites étroites d'une « école routinière » dont il ne permet pas qu'on s'écarte.
N'inventez rien en dehors de lui, ce serait peine perdue !
— Ainsi s'amoindrit le goût des recherches et restons-nous à la remorque des inventions étrangères.
Pour juger cette haute école, il suffit de se rappeler le temps encore rapproché de nous où elle enseignait,
au nom de la science, que les métaux connus n'avaient pas assez de cohésion pour supporter sans rupture la force nécessaire aux vitesses de plus de 16 à 17 nœuds et que, d'ailleurs,
ces allures ne pouvaient convenir aux constructions légères.
Le progrès y a répondu par des vitesses de 22 nœuds données à des croiseurs-cuirassés de 9,000 tonnes et de 20 nœuds aux torpilleurs de 160 tonnes, et le génie, dégagé d'entraves,
se propose de pousser au-delà.
— De même, la vitesse initiale des projectiles ne pouvait,
d'après les formules, dépasser 600 mètres à la seconde ;
elle va en atteindre 1.000 et rendre la grosse artillerie aussi inutile qu'elle est encombrante.
Puis arrive un jour ou les torpilleurs de 35 mètres manquent
de stabilité, où les cuirassés eux-mêmes ont un équilibre menaçant et le ministre ému ne sait à qui s'en prendre ;
personne n'est responsable !
On dit du Magenta des choses vraies,
d'autres qui appellent une explication.
Il est trop vrai qu'il manque de vitesse ;
cela tient à ce que nous persistons à construire de lourdes masses dans des conditions qui ne peuvent la donner.
La vitesse ne s'acquiert, à tonnage égal, que par le sacrifice partiel du poids des cuirassés et de l'artillerie à celui des machines
et de leur approvisionnement.
Nous construisons trop pesant en coques et trop léger
quand il s'agit des engins moteurs, et, les accidents prévus
des chaudières du Dupuy de Lôme et du Coëtlogon
en sont la regrettable démonstration.
Abondance d'épaisseur et de résistance n'a jamais été un défaut dans un appareil évaporatoire.
Ce que l'on exagère, je crois, c'est le manque de stabilité
du Magenta.
La stabilité de plateforme, c'est-à-dire l'immobilité relative
du bâtiment par grosse mer, est une qualité indispensable
au jeu de l'artillerie ;
elle ne s'obtient qu'au détriment de la stabilité statique,
en élevant le centre de gravité.
Seulement il y a un point qu'il ne faut pas dépasser.
Le Suffren, que j'ai eu l’honneur de commander,
possédait une remarquable stabilité de plate-forme.
Dans la Manche, par grosse houle, mon matelot d'arrière (1)
qui commandait le Colbert me disait :
« Votre bateau se comporte admirablement et tandis
que nous ne pouvions songer à démarrer un seul de nos canons,
il n'avait pas des roulis de 5 degrés ;
le Suffren me faisait l'effet d'un horizon artificiel sur lequel j'aurais pu prendre hauteur ;
vous auriez détruit le reste de la division navale sans que notre artillerie pût vous rendre un seul coup.»
Et c'était vrai.
(1) Le commandant, aujourd'hui l'amiral C. Fleuriot de Langle.
Seulement arrivé à 25 ou 26 degrés déclinaison,
le couple de redressement devenu négatif, le Suffren se fût retourné la quille en l'air, comme la Victoria sur la côte de Syrie.
Jamais vraisemblablement, le Magenta n'aura à constater
des roulis de 15° (30° d'un bord sur l'autre) ;
le Suffren n'a jamais, pendant mon commandement,
dépassé l'inclinaison de 16° sous l'action combinée du roulis
et de sa voilure.
Aujourd'hui, j'estime que le conseil des travaux l'a absolument gâté en déchargeant ses hauts par un décuirassement partiel
et la suppression de sa mâture.
Il ne faut donc, sauf renseignements complémentaires,
reprocher au Magenta que son manque de vitesse,
défaut commun aux cuirassés d'escadre anglais, qui, comme
les nôtres, dépassent difficilement 14 nœuds en service courant.
Dupuy de Lôme
Coëtlogon
Amiral
Fleuriot de Langle
Suffren