top of page

Fenêtres sur le passé

1894

Fratricide à Cléder

 

Le crime de Cléder.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 12 juin 1894

 

Fratricide 12 juin 1894.jpg

​

Source : La Dépêche de Brest 13 juin 1894

 

Voici quelques renseignements sur ce crime, qui a provoqué une certaine émotion dans la commune de Cléder :

 

Dimanche, vers dix heures et demie du matin, la veuve Kerléguer, mère de la victime, racontait à ses voisins qu'elle venait de trouver son fils Charles, âgé de 51 ans, dans un champ de lande bordant la route de Cléder à Tréflaouénan, étendu sur le dos, la tête contre le talus, et ne donnant plus signe de vie.

Elle ajoutait que dans la matinée son fils s'était plaint de maux de tête, qu'il était sorti de la maison se dirigeant vers ce champ, où il allait souvent, faire la sieste le dimanche, et, qu'inquiète de ne pas le voir rentrer, elle s'était alors mise à sa recherche.

Son fils était, disait-elle, un paresseux et un ivrogne.

 

Divers témoins ont déclaré que vers huit heures et demie du matin, ils avaient vu la victime, la tête enveloppée d'un linge et sortant à ce moment de son domicile.

À l'un d'eux qui lui disait :

« Tiens Charles, qu'est-ce que tu as donc ? »

Kerléguer répondit :

« J'ai été à moitié assommé d'un coup de sabot par mon frère Yves ».

Le même témoin a également déclaré que le même soir le frère de la victime lui adressa cette parole :

« C'est vous qui me ferez condamner. »

 

Kerléguer (Yves), qui est âgé de 35 ans, marié, sans enfants, et exerce la profession de tailleur d'habits, comme son frère a reconnu que dans la matinée il avait eu une vive discussion avec son frère au sujet d’un pantalon, mais il a nié l'avoir frappé.

 

L'autopsie a établi que la victime avait succombé aux suites d'un violent coup qui lui avait été porté au côté droit de la tête.

 

M. Samson, procureur de la République, est rentré à Morlaix ce matin, à huit heures, venant de Saint-Pol de Léon.

Le bruit a couru à Morlaix, dans l'après-midi que Kerléguer était entré dans la voie des aveux.

Il est impossible de se prononcer sur cette question, à moins d’être dans le secret des dieux.

 

À huit heures ce soir, les magistrats n’étaient pas de retour de Cléder.

L'enquête se poursuit donc, car on ne peut s'expliquer autrement le long séjour des magistrats, si l'assassin a fait des aveux.

Y aurait-il des complices ?

Quel est le rôle joué dans ce drame de famille par la mère et la sœur du meurtrier ?

Elles nient avoir tenu certains propos très compromettants devant un témoin, qui persiste énergiquement dans sa déclaration.

 

À demain pour de nouveaux détails.

​

Tailleur _01.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 14 juin 1894

 

14 juin 1894.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 20 juillet 1894

 

Assises Finistère 20 juil 1894.jpg
Coups mortels.jpg

​

Yves Kerléguer, âgé de 35 ans, après avoir fait cinq ans de service dans la flotte, est revenu exercer dans son pays la profession de tailleur.

Il passe à Cléder pour avoir une grande violence de caractère.

Son frère Charles, qui exerçait aussi à Cléder la même profession que lui, avait également un assez mauvais caractère et des habitudes d'intempérance.

Une vive mésintelligence, née de jalousie de métier ou de questions d'intérêt, s'éleva entre les deux frères ;

des querelles eurent lieu entre eux, et Yves Kerléguer, très violent, frappa même son frère.

 

Le dimanche 10 juin, entre 6 h. 1/2 et 7 heures du matin, une nouvelle querelle s'éleva.

Si l'on en croit le témoignage de leur mère, qui, dans l'instruction, s'est efforcée de justifier ou excuser son fils Yves, celui-ci aurait été saisi à la gorge par son frère Charles, qui voulait l'empêcher d'emporter son pantalon.

C'est alors que l'accusé poussa violemment contre la muraille son frère Charles, dont la tête fut ainsi projetée sur l'angle formé par une fenêtre.

Ce choc détermina une fracture du crâne au-dessus de l'oreille droite.

 

Mais les faits ne se seraient pas passés ainsi d'après la victime, qui, avant de mourir, raconta la scène à divers témoins.

Son frère Yves s'était jeté sur lui, l'avait roulé à terre, lui portant un violent coup de sabot, qui l'avait envoyé se heurter la tête contre le mur.

Il ajoutait : « Yves m'avait bien dit qu'il ne me manquerait pas, cette fois il est bien venu à bout de moi ! »

Une heure après, sa mère alla le trouver dans un champ, où il avait eu la force d'aller s'étendre, mais elle ne put le ramener chez elle, et il y mourut entre dix et onze heures du matin.

 

L'autopsie a constaté que la fracture du crâne avait amené un épanchement sanguin qui devait rapidement déterminer la mort.

 

Malgré la gravité des charges relevées contre lui, l'accusé prétend n'avoir exercé sur son frère aucun acte de violence.

 

Ces dénégations sont en contradiction flagrante avec les moyens de défense plus ou moins habilement imaginés par une mère désireuse de sauver son fils, avec les accusations de son frère, avec les témoignages recueillis et avec toutes les constatations effectuées sur le lieu du crime.

 

Kerléguer (Yves) n'a pas d'antécédents judiciaires.

Ministère public, M. Drouot.

Défenseur, M* Bourgeois, du barreau de Morlaix.

​

Interrogatoire.jpg

​

Le président. — Vous vous adonniez parfois à la boisson.

Vous aviez rapporté du régiment des habitudes d'irritabilité et de violences et, chose bizarre, vous frappiez de préférence les vieillards et les enfants qui vous approchaient.

Je vois cela dans la procédure.

R. — Ce n'est pas vrai.

 

D. — Il parait qu'une très vive, très grande mésintelligence, provenant de jalousie de métier et en même temps de questions d'intérêt, s'est élevé entre vous et votre frère ;

vous l'auriez même souvent menacé et frappé brutalement ?

R. — Jamais.

 

Le président rappelle les détails de la scène du 10 juin et il demande à l'accusé ce qu'il a à dire.

Kerléguer. — C'est moi qui était obligé de fuir devant lui.

 

D. — J'ai sous les yeux les conclusions du docteur Bagot.

Selon lui, la mort de la victime est le résultat direct d'une fracture du crâne.

D'un autre côté, comment expliquez-vous le sang trouvé sur la muraille de l'appartement ?

R. — Je ne saurais vous le dire.

Pas un chrétien de la commune de Cléder ne pourra dire que j'ai frappé mon frère.

 

D. - Vous avez un accusateur d'outre-tombe, qui est votre frère.

De plus, les dépositions de votre mère et de votre sœur laissent bien entendre que vous avez frappé votre frère, et l'accusation dira que c'est à vos coups qu'il a succombé.

R. — Ma mère et ma sœur étaient à la messe.

 

L'accusé fournit toujours les mêmes explications, parlant avec animation et volubilité.

 

Le président. — Vous voyez que votre tempérament vous emporte.

Vous ne pouvez vous contenir.

La façon dont vous parlez indique bien la violence de votre caractère.

​

Les débats.jpg

​

On passe aux dépositions des témoins, au nombre de onze, et dont quelques-unes embarrassent l'accusé.

 

M. Drouot, procureur de la République, dit que l'affaire est navrante de simplicité.

Il développe et fait ressortir très nettement les charges de l'accusation, réclamant du jury une condamnation qui s'impose, sans toutefois s'opposer à la clémence.

 

Me Bourgeois, du barreau de Morlaix, plaide l'accident et sollicite du jury un verdict d'acquittement, qui sera, dit-il, accueilli favorablement par la population tout entière de Cléder, où Kerléguer est honorablement connu.

​

Le verdict.jpg
Cléder _24.jpg
bottom of page