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Fenêtres sur le passé

1894

Le climat marin d'Ouessant et la Scrofule

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Source : Je Journal de clinique et de thérapeutique infantiles 2 août 1894

 

L'Ile d'Ouessant semble une parcelle détachée de la presqu'île du Finistère ;

elle est assez écartée de la côte bretonne et très isolée.

La mer voisine est semée d'écueils et de récifs, des brumes épaisses et de grandes tempêtes règnent souvent

dans ces parages redoutés des navigateurs.

Les communications avec le continent ont lieu par un petit vapeur qui part du Conquet pour faire le service postal deux fois par semaine, quand le temps le permet.

 

Confinée dans son île par sa situation géographique, la population ouessantine est donc très autonome ;

elle compte environ 2,300 habitants.

On remarque que les hommes sont en général de haute taille, qu'ils ont le plus souvent les yeux bleus, roux ou gris,

et les cheveux bruns et que leur type ethnique se rapproche de celui des Anglo-Saxons

qui ont émigré à Ouessant à diverses reprises.

Le climat d'Ouessant est tout spécial ;

la température ne s'abaisse pas, dans les mois les plus froids,

au-dessous de 0, et la plus haute température de l'année en 1882

a été de 24°,5.

La plus forte moyenne mensuelle a été de 16°,3 au mois d’août

et la plus faible de 8°,5 en février.

 

Mais si la température est relativement clémente,

les vents du sud-ouest régnant habituellement,

sont d'une force et d'une violence extrêmes :

lorsqu'ils soufflent en ouragan il est impossible à un homme

qui marche d'avancer.

 

En 1882, il y eut cent cinquante-cinq jours pluvieux, la pluie évaluée au pluviomètre a atteint une hauteur de 0 m. 853 millim.

Ces pluies sont souvent torrentielles et d'une désespérante ténacité ; d'où l'extrême humidité qu'elles entretiennent.

 

Les brumes communes, comme nous l'avons déjà dit,

sont une conséquence des vents régnants.

Le sol de l'île est peu fécond ;

une partie seulement des terrains est cultivée par les femmes

qui sèment et récoltent l'orge dont on se sert pour faire le pain.

La grande végétation, les arbres font entièrement défaut.

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De très grandes surfaces sont incultes, l'herbe qui les recouvre est courte et maigre ;

elle est tondue par des petits moutons d'une race spéciale qui se multiplient en liberté.

 

La vente de ces moutons, dont le prix n'excède pas 5 francs, est une des ressources principales des Ouessantins.

La pêche des crustacés, des langoustes qui pullulent autour des rochers et des rives de l'île, est très productive en été.

Ouessant est bien pourvue de sources vives dont les eaux claires et limpides jaillissent en divers endroits.

Les maladies contagieuses et épidémiques qui atteignent les enfants seraient assez rares.

En 1882, le Dr Bohéas signale une légère épidémie de rougeole,

il n'a jamais observé de scarlatine pendant son séjour.

Cependant en 1876, 60 enfants moururent du croup.

 

L'île n'est que rarement éprouvée par les épidémies,

la scrofule n'en est pas moins répandue parmi les enfants

et la tuberculose parmi les adultes.

 

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« La scrofule à Ouessant, dit M. Bohéas, est une des maladies les plus répandues et, avec la phtisie sa compagne, constitue un des signes les plus indéniables de la dégénérescence de cette race.

Presque, toutes les manifestations scrofuleuses ont été observées, et cela sur nombre de sujets ;

notons, par ordre de fréquence, l'impétigo du cuir chevelu chez les enfants, les vastes eczémas,

les adénites scrofuleuses souvent suppurées ;

du côté des muqueuses, des conjonctives, blépharites, kératites, des coryzas chroniques ;

du côté du système osseux, des tumeurs blanches anciennes guéries par ankylose,

dont une, chez une femme de 47 ans, profondément débilitée, suppure encore par des trajets fistuleux

et donne naissance à des abcès, après avoir été opérée, dit la malade, pour la première fois, il y a trente-neuf ans (cette femme alors en avait 8) ;

enfin un mal de Pott chez un garçon de 12 ans avec déviation de la colonne vertébrale sans abcès

par congestion apparents ».

Les Ouessantins qui fournissent un contingent d'excellents marins à la flotte sont presque tous pêcheurs.

Ils laissent aux femmes les travaux des champs et celles-ci sont vraiment épuisées

par ce rude labeur qui n'est même pas interrompu pendant l'état de grossesse le plus avancé.

Ces malheureuses mettent leur point d'honneur à se relever très rapidement de leurs couches ;

vingt-quatre ou quarante-huit heures après l'accouchement, elles quittent le lit pour reprendre leurs occupations.

Pendant que la mère est aux champs, le nourrisson est délaissé ;

on réussit à l'empêcher de crier en lui faisant téter un chiffon contenant un mélange de sucre et de biscuit pilé.

 

Bien peu de mères allaitent leurs enfants, même jusqu'à six mois, d'où la mortalité excessive dans le premier âge.

De 1872 à 1882, sur 605 décès on relève, outre 37 enfants mort-nés, 120 enfants morts avant l'âge de 3 ans, proportion égale à 15 de la mortalité générale.

 

L'année 1876 n'est pas comprise dans cette statistique ;

60 enfants moururent du croup et 18 personnes périrent avec le bateau-poste.

J'ai inspecté, lors de ma visite, l'école des petites filles

et j'y ai rencontré plusieurs enfants scrofuleux.

 

Le Dr Caraës, médecin de la marine, résidant à Ouessant

depuis un an, a bien voulu m'adresser, en date du 20 août 1891,

les renseignements suivants :

 

« J'ai aussi examiné les enfants des écoles, il y a trois semaines

et je dois avouer que je n'ai trouvé que 8 cas de scrofule chez des enfants nés de parents ouessantins. 

« Je puis cependant vous assurer qu'il y a beaucoup de scrofuleux dans l'île, surtout parmi les grandes personnes ». 

Le rôle du « consanguinisme » dans l'étiologie de la scrofule

est absolument évident dans cette île.

Toute la population se compose d'un petit nombre de familles

et on ne trouve à Ouessant que quelques noms patronymiques.

 

Les Ouessantins ont une grande aversion pour l'étranger et ils se marient,

à peu près tous, entre parents plus ou moins rapprochés.

 

Mais l'influence du milieu, des mauvaises conditions hygiéniques,

vient corroborer les effets du « consanguinisme ».

 

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L'alimentation des adultes consiste essentiellement dans du pain d'orge noir et dans un gâteau d'orge compact nommé « faire », dans du porc salé, du poisson sec et salé, rarement du poisson frais, du lait caillé avec des pommes de terre.

 

Malgré l'influence prépondérante du clergé sur cette population très religieuse, l'alcoolisme aigu et chronique

est extrêmement fréquent.

 

Hommes et femmes se livrent à cette déplorable passion.

En 1882, il y avait 17 débits de boissons dans l'île, et il n'est pas probable que leur nombre ait diminué depuis cette époque.

 

L'habitation.

Les maisons sont généralement orientées de l'est à l'ouest

dans le sens de la longueur; les ouvertures par conséquent

sont dirigées au nord et au sud.

Presque toutes les maisons sont construites sur le même type.

Au milieu, un couloir bordé d'armoires et de lits clos ;

de chaque côté de ce couloir une entrée sombre fait pénétrer

dans une pièce réduite, mal aérée, encombrée.

Ces deux pièces sont souvent habitées

par deux familles différentes.

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Deux et quelquefois quatre lits clos-sont symétriquement disposés.

Une large cheminée, à l'antique, constitue encore par son tirage le meilleur moyen d'aération.

Le tout est mal éclairé par deux petites fenêtres opposées.

La bouse de vache séchée, le varech sont le combustible ordinaire.

 

Il n'y a pas d'autres pavés que le sol qui est souvent boueux et creusé de trous,

l'eau séjourne et entretient une humidité constante.

Les lits sont de vastes armoires complètement closes sauf,

bien entendu, sur le devant,

où existe une ouverture pour s'introduire.

 

Une paillasse, un ou deux draps et quelques couvertures remplacées par les vêtements chez les indigents,

composent toute la literie.

Dans cet antre obscur grouillent quelquefois ensemble tous

les membres d'une même famille, maris, femmes et enfants mêlés. (Détails empruntés à la thèse du Dr Bohéas.)

 

Que l'hygiène de la peau soit négligée par cette population,

il n'y a pas lieu d'en être surpris ;

les Ouessantins, comme toute la race bretonne,

semblent avoir une horreur pour l'eau de mer ;

on ne voit guère que les petits garçons se baigner.

 

Malgré toutes ces conditions d'hygiène sociale si défavorables, les qualités morales ne font pas défaut aux Ouessantins.

Les hommes sont d'intrépides marins, soit qu'ils fassent partie des équipages de notre flotte, soit que, de retour dans leur île

ils bravent les intempéries, sur leurs frêles embarcations,

pour se livrer à la pêche.

 

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L'habitant d'Ouessant est d'un caractère affable, doux et pacifique.

Le vol est rare, les attentats aux mœurs et à la pudeur presque sans exemple, les attentats à la vie inconnus.

Ce petit peuple, sauf les cas de rixe et d'ivresse bruyante, se passe fort bien de gendarmes,

ce qui est tout à son honneur (Bohéas).

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