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Fenêtres sur le passé

1893

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Le temps des galères

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On les aurait mouillés très loin ; ils devaient tirer à toute volée ;

comme les canonnières à tranches du Pe-che-li,

ils n'avaient d'autre protection que leur petitesse. 

Ces chalands furent prêts à la conclusion de la paix.

 

Je me souviens encore avoir vu à Gorée, remplissant les fonctions de citerne,

une goélette mise en chantier pour porter un mortier. 

C'était une des bombardes construites à la fin de la guerre pour opérer dans la Baltique.

Ces bombardes ne furent prêtes qu'à la conclusion de la paix.

 

D'où je tire cette conclusion :

Que nous ayons presque toujours manqué du matériel voulu pour opérer contre la terre,

et que le matériel qu'il a fallu improviser à cet effet, au moment même où on en avait le plus besoin,

est toujours arrivé comme les carabiniers d'Offenbach.

 

Les petites canonnières de Chine et les batteries flottantes de Kinburu sont seules arrivées à temps.

 

Notons que les batteries flottantes construites en vue de l'attaque des fortifications

ont très convenablement rempli leur office.

 

Nos imposantes escadres se sont trouvées impuissantes contre les batteries de Sébastopol et de la Baltique.

 

Inutile dans la guerre d'Italie, notre flotte s'est montrée absolument impuissante dans la guerre de 1870, où nous luttions pour la vie.

(Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée, j'ai dit impuissante et non pas inutile, car elle nous a rendu

le très grand service de nous conserver la liberté de la mer ;

mais impuissante contre la terre, elle a été réduite à un rôle des plus effacés,

à un rôle très justement dépourvu de gloire.)

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Canonnière Olry.jpg

Il est donc établi par l'histoire de ces derniers temps que les flottes actuelles sont condamnées à la stérilité dans les guerres européennes quand elles manquent de moyens spéciaux et appropriés

pour attaquer le littoral.

 

Si la défense de nos côtes est des plus imparfaites,

— même nulle à certains égards, — rien n'est prévu

dans notre matériel naval pour l'attaque des côtes ennemies.

 

 

Source : La Dépêche de Brest 15 février 1893

 

Auteur : Contre-amiral Réveillère.

 

La marine, depuis de longues années, n'a peut-être pas possédé de plus belle intelligence

que l'amiral de Gueydon, mais certainement il fut l'intelligence la mieux équilibrée.

 

Extrêmement audacieux dans ses conceptions, il ne quittait jamais cependant le terrain

de la pratique immédiate.

 

Personne n'a plus ardemment poursuivi le progrès sans verser dans l’utopie.

 

Une des paroles qui m'ont frappé, quand j'eus l'honneur de l'entendre,

dans sa retraite de Kerlaran, est celle-ci :

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« La vapeur nous ramène au temps des galères. »

 

Les grands travaux historiques de l’amiral Jurien de la Gravière l'avaient conduit

à une conclusion identique.

 

L'amiral de Gueydon ajouta :

 

« On reverra quelque chose d’analogue à ce qui se passait

quand les pirates barbaresques ravageaient les côtes de Provence.»

 

Les surprises, les coups d’audace sur les côtes joueront le premier rôle

dans la prochaine guerre.

 

Sur cette matière, la manière de voir de l’éminent amiral se rapproche sensiblement

des théories de la jeune école ;

celle-ci regarde, en effet, comme possible, de saccager le littoral pendant que les grands cuirassés promèneront solennellement leur pavillon dans les solitudes de la grande bleue.

 

Ce fut encore la même pensée qui conduisit l'amiral Aube à sa conception du bateau-canon.

 

Je me, souviens avoir vu dans le port de Brest (je ne me rappelle plus, par exemple,

si ce fut après la guerre d’Italie ou la guerre de Crimée) des chalands inventés

pour opérer contre la terre.

 

Ces chalands, non pontés, devaient porter en tout une pièce et fort peu de munitions ;

— personnel et matériel devaient être constamment renouvelés et approvisionnés par l'escadre.

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Amiral Réveillère

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Vice-Amiral de Gueydon

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Amiral Jurien de la Gravière

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Amiral Aube

Qu'est-ce qu'un amiral ?

J'ai entendu répondre :

« C'est un marin qui manœuvre une escadre comme un capitaine manœuvre un bâtiment. »

 

Cette définition très juste a le tort d'être fort incomplète. 

Quand on avait dit d'un amiral de la vieille marine :

« Il manœuvre son escadre comme un youyou »,

on en avait fait le plus bel éloge possible alors pour un amiral, en temps de paix.

 

De ceci il arrive que nos amiraux, par tradition, par goût, par amour du côté purement marin de leur situation,

sont très naturellement portés à considérer les combats d'escadre comme la grande affaire,

souvent même l'unique affaire, et par suite à mettre la guerre des côtes tout à fait en arrière-plan.

Eh bien, je crains que ce ne soit pas tenir suffisamment compte de la révolution introduite par la vapeur

dans la guerre maritime. 

Je ne dis pas que le rôle des escadres est terminé, mais je crois fort que la défense

et l'attaque des côtes doit être la principale préoccupation présente des marins.

 

On dira :

« Pour attaquer sérieusement la côte ennemie, il faut être maître de la mer ». 

C'était vrai jadis... Aujourd'hui, cet « il faut » est-il bien exact ? 

À coup sûr, être maître de la mer est un gros avantage ; nul ne songe à le contester. 

Mais est-il possible, sans être maître de la mer, de ravager la côte ennemie ? 

La jeune école le prétend, et je ne crois pas qu'elle ait tout à fait tort.

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À mon sens, la vapeur a complètement changé le point de vue

auquel doivent se placer les personnes à qui incombe la lourde responsabilité de la direction à donner à notre matériel naval :

L'accessoire est devenu le principal, le principal est devenu l'accessoire.

 

L'objectif que doivent constamment se proposer ceux qui président aux destinées de notre marine, c'est la défense et l'attaque des côtes.

 

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Bateau canon Gabriel Charme

Et l'on ne peut s'empêcher d'éprouver une vive appréhension, quand on voit le vague sentiment de ce besoin aboutir à d'aussi étranges conceptions que celle de nos canonnières cuirassées.

 

Devant de pareilles œuvres, on ne peut s'empêcher de se demander si les promoteurs de semblables élucubrations

se rendaient bien compte de la résistance et de la puissance des fortifications modernes

 

Qu'est-ce que ces malheureux navires pourraient bien faire contre la plus mince batterie datant même de vingt ans ?

 

Concluons :

 

À n'en pas douter, l'impuissance absolue de notre marine dans les dernières guerres tient à ce fait :

en temps de paix, on n'a songé aux combats d'escadres, on n'a rien préparé pour l'attaque des côtes,

on ne s'est point suffisamment rendu compte « que la vapeur nous ramène au temps des galères ».

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