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Fenêtres sur le passé

1893

​

Une femme tue son mari à Plonéour Lanvern

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Source : La Dépêche de Brest 21 juillet 1893

 

Deux femmes, deux sœurs, sont assises sur le banc des accusés.

 

L'une, Marie-Jeanne Tanguy, veuve Clorennec, est âgée de 20 ans seulement.

C'est une robuste campagnarde, aux hanches solides, aux épaules carrées, et dont la physionomie reflète l'indifférence la plus complète. 

L'autre, Marie Tanguy, âgée de 23 ans, a la même taille épaisse et lourde ;

sa physionomie cependant est' plus ouverte. 

Toutes deux, d'ailleurs, ont la même assurance ou, pour mieux dire, le même air placide,

et se tiennent immobiles et côte à côte sur le banc.

 

Aux pièces à conviction, on remarque une corde et un verre de table, d'assez grande dimension,

et dont le pied brisé a été remplacé par une espèce de socle en bois.

 

M. le substitut Labordette occupe le siège du ministère public

Me de Chamaillard et Me de Chabre sont assis au banc de la défense.

 

Après l'accomplissement des formalités d'usage, le greffier donne lecture de l'acte d'accusation, qui est ainsi conçu :

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Marie-Jeanne Tanguy, âgée de 20 ans, épousait le 7 février 1893, Jean-Marie Clorennec, âgé de 31 ans,

cultivateur en la commune de Plonéour-Lanvern, et allait habiter chez sa belle-mère, au village de Fao-Youen.

En contractant ce mariage, elle obéissait plutôt à des calculs d'intérêt qu'à des sentiments d'affection

pour son fiancé.

Elle parait même avoir subi dans une certaine mesure l'ascendant de sa famille et plus particulièrement l'influence

de Marie Tanguy, sa sœur, qui la poussait à cette union.

 

Un mariage formé sous de tels auspices ne devait pas être heureux.

Marie-Jeanne Tanguy manifesta aussitôt à son mari une profonde antipathie.

Celui-ci se mit à boire avec excès, mais sans jamais exercer sur sa femme aucun mauvais traitement.

​

La femme Clorennec ne dissimula pas ses sentiments et on la vit exprimer plus d'une fois sa résolution de mettre fin à la vie commune.

 

Elle en arriva bientôt à s'accoutumer à la pensée d'attenter à la vie

de son époux et à préméditer l'odieux forfait qui devait recevoir

son exécution le 11 mai 1893.

 

Vers la fin d'avril, c'est-à-dire environ quinze jours avant le crime,

elle fit part de son projet à sa sœur Marie.

 

La mort de Clorennec fut décidée, mais, sur les conseils de

Marie Tanguy, il fut convenu que, pour arriver plus facilement

à ses fins, la femme Clorennec achèterait de l'eau-de-vie

et enivrerait son mari au point de lui ôter toute résistance.

 

Marie-Jeanne Tanguy se procura immédiatement un litre d'eau-de-vie, qu'elle acheta au bourg de Plonéour.

 

Le 10 mai, avec la complicité de sa sœur Marie, elle attira Clorennec

au moulin du Fao, où habitaient ses parents.

 

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Elle et sa sœur lui versèrent cinq verres d'eau-de-vie, qu'il absorba.

Lorsque les deux femmes comprirent que l’ivresse était complète, elles le prirent chacune par un bras

et l'entraînèrent au dehors.

Une femme Draoulec les accompagna pendant quelque temps, mais en entendant la femme Clorennec

déclarer qu'elle allait assassiner son mari, elle se retira.

 

La nuit était venue.

Les deux femmes suivaient avec leur victime un chemin désert autre que celui qui conduisait au domicile

de Clorennec.

Marie-Jeanne Tanguy avait pris la précaution d'emporter avec elle une corde,

mais elle n'eut pas besoin d’en faire usage.

Elle renversa soudain son mari sur le sentier et, appuyant le genou sur sa poitrine,

elle lui comprima violemment la gorge avec la main droite.

​

Le malheureux râlait et son état d'ivresse ne lui permettait

pas de se défendre ; ses forces diminuaient.

Pour en finir, Marie Tanguy, plaçant sa main sur celle de sa sœur, coopéra à l'assassinat et Clorennec ne tarda pas à expirer.

 

Les deux femmes jetèrent dans une ornière les sabots

de leur victime et déposèrent le cadavre de la façon qui leur parut

la plus propre à faire supposer une mort accidentelle.

 

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Les constatations relevées sur le cadavre établissent que la mort a été occasionnée par la suffocation,

accélérée peut-être par la quantité considérable d'alcool que Clorennec avait ingérée.

 

Marie-Jeanne Tanguy, après quelques dénégations, a du reste, avoué toutes les circonstances de l'assassinat.

 

Marie Tanguy, elle, proteste de son innocence, mais sa présence continuelle à toutes les phases du crime,

la façon dont elle a contribué à enivrer son beau-frère dans un but qu'elle connaissait, le récit de sa sœur,

tout concourt à ne laisser aucun doute sur sa culpabilité.

 

Les deux accusées n'ont pas d'antécédents judiciaires.

 

Cette lecture terminée, le président préside à l'interrogatoire des accusées :

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Au point de vue de la probité, le président fait connaître que l'accusée a été renvoyée de chez M. Cossec,

où elle était domestique, parce que ce dernier la soupçonnait de l'avoir volé.

 

D. — Connaissiez-vous Clorennec ?

R. — Oui, je l'ai toujours connu.

D. — Avez-vous consenti à vous marier?

R. — Il m'a demandée en mariage deux fois.

D'abord, j'ai dit que je ne voulais pas me marier.

C'est uniquement sur les instances de ma sœur, qui est ici, que je l'ai épousé.

Je ne sais pas pourquoi elle me tourmentait ainsi.

Elle me disait qu'il fallait me marier avec Clorennec.

 

D. — Qu'est-ce que cela pouvait faire à votre sœur ?

R. — Je ne saurais le dire.

D. — Vous avez un caractère énergique, vous n'étiez pas sous la domination de votre sœur,

et si vous n'aviez pas voulu, vous n'auriez pas épousé Clorennec.

R. — Je me suis mariée pour satisfaire au désir de ma sœur.

Le président. — On ne se marie pas pour faire plaisir à sa sœur, voyons ?

 

Pas de réponse.

​

D. — Vous n'aviez pas à vous plaindre de vos beaux-parents.

R. — Il n'y avait que ma belle-sœur qui fût dure pour moi.

D. — Vous viviez avec eux et, sur votre désir,

votre mari a consenti à aller habiter ailleurs ?

R. — Je n'ai rien su de cela.

D. — Mais si.

Vous êtes vous-même allée, le 11 mai, avec votre belle-mère, chercher une ferme à Landudec.

R. — Ce n'était pas pour moi, c'était pour ma belle-mère,

qui voulait quitter le moulin.

 

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D. — Qu'avez-vous à reprocher à votre mari ?

R. — Il était presque toujours malade, et, dans la ferme, on disait que j'étais seule à travailler.

D. — Vous détestiez votre mari parce qu'il toussait, avez-vous dit ?

R. — Je ne l'aimais pas non plus.

D. — Alors, il ne fallait pas le prendre.

R. — Si j'avais su, je ne me serais pas mariée, certainement.

 

D. — Ce qui prouve que vous détestiez votre mari, c'est qu'un jour que vous êtes allée le chercher à l'auberge,

vous avez dit : « Si je ne le tue pas, je me tuerai moi-même. »

R. — Oui, j'ai dit cela.

D. — Et vous avez préféré tuer votre mari ?

R. — Il faut croire.

 

D — Votre mari n'était pas méchant pour vous?

R. — Je ne peux pas dire cela.

D. — Il toussait et il buvait, avez-vous dit, et c'est uniquement pour cela que vous l'avez tué.

Vous avez pris la résolution de l'assassiner quinze jours avant sa mort et vous étiez bien décidée

à chercher une occasion favorable ?

R. — Oui.

 

D. — Vous avez fait part de cette intention à votre sœur ?

R. — Oui. Je me suis plainte à elle de mon mari, et elle m'a dit qu'avec de la boisson il ne serait pas difficile

de s'en débarrasser.

 

D. — Alors, sur les conseils de votre sœur, vous avez acheté une bouteille d'eau-de-vie,

quinze jours avant l'assassinat ?

R. — Oui.

 

Nous arrivons à la scène du crime, dont le président résume brièvement les détails.

La veuve Clorennec fait des aveux formels et déclare que sa sœur l'a aidée de son plein consentement,

notamment en mettant la main sur la sienne, quand elle pressait le cou de son mari.

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D. — Vous êtes célibataire et vous avez un enfant naturel de onze mois ?

R. — Oui.

 

D. — Est-il vrai que vous avez poussé votre sœur à se marier avec Clorennec ?

 

R. — Ce n'est pas vrai.

Je lui ai dit, comme tout le monde, que c'était un bon parti.

D'ailleurs, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas épouser Clorennec, et je ne pouvais pas la forcer à se marier,

si elle n'était consentante.

 

D. — Après le mariage, votre sœur vous a fait des confidences ?

R. — Non.

D. — Cependant, vous avez reconnu que, quinze jours avant l'assassinat, votre sœur vous avait fait part

de son intention de tuer son mari ?

R. — Elle n'a pas dit cela.

Le président. — Mais si, elle vous l'a dit.

​

La veuve Clorennec confirme ce détail.

 

Marie Tanguy persiste à nier.

 

D. — Vous saviez que votre sœur avait acheté

une bouteille d'eau-de-vie ?

R. — Oui, mais je ne savais pas pourquoi.

 

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D. — Quelques jours avant le crime, votre sœur vous a fait part de son idée de donner la mort à son mari ?

R. — Elle m'a dit qu'elle le tuerait à la prochaine occasion.

D. — Vous avez vous-même versé trois verres d'eau-de-vie à Clorennec ?

R. — Non.

D. — Mais vous l'avez reconnu.

R. — Je n'ai jamais dit cela.

 

Marie Tanguy nie les détails de l'assassinat, en ce qui concerne sa coopération,

notamment le fait d'avoir mis sa main sur celle de sa sœur au moment où celle-ci étranglait son mari.

 

D. — Que faisiez-vous alors pendant ce temps ?

R. — J'étais à quatre pas de là, contre le talus.

 

Les témoins sont ensuite entendus.

Ils sont au nombre de douze, cités par l'accusation.

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1. — M. MÉNARDEAU, maréchal des logis de gendarmerie à Plogastel Saint-Germain, a édifié dans cette affaire

une enquête très habilement dirigée.

Lorsque le parquet de Quimper se transporta sur les lieux, M. le docteur Homery, qui l'accompagnait,

émit l'avis que la mort de Clorennec était due à une congestion pulmonaire, sans qu'il fût établi

que cette congestion était le résultat d'un crime.

M. Ménardeau n'en continua pas moins ses investigations, interrogeant les voisins, les familles Tanguy et Clorennec, et finalement il obtint des deux accusées les aveux les plus complets.

 

Sa déposition n'est que le résumé des procès-verbaux qu'il a rédigés et dont nous retrouverons plus loin

certains détails.

​

2. — CLORENNEC (Corentin), 44 ans, cultivateur à Fao-Youen, déclare que le 13 au matin, vers 4 h. 1/2, en se rendant à la messe

au bourg de Plonéour, il a trouvé sur un sentier,

non loin du moulin de Callac, à gauche et a 60 mètres environ

de la route de Créach-Rhu à Plonéour, le cadavre de son frère,

Jean-Marie Clorennec.

 

Le témoin ignorait alors la cause de cette mort qui, cependant,

ne lui paraissait pas naturelle.

 

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3. — LAGADIC (Françoise), veuve CLORENNEC, 60 ans, mère de la victime, déclare :

 

Mon fils s'est marié trois mois avant le crime ;

j'ai entendu dire que ma bru n'avait pas consenti très volontiers au mariage et qu'elle avait cédé aux sollicitations

de ses parents.

Dès les premiers jours du mariage, elle n'était pas aimable pour son mari et lui répondait mal.

Mon fils avait soupé le soir, vers 8 h. 1/2, et était allé chercher sa femme chez ses beaux-parents, au moulin du Fao.

Son beau-frère Jean-Marie était venu le prendre.

Mon fils n'était pas du tout en état d'ivresse quand il a quitté la maison.

Il n'y est pas revenu, et c'est le lendemain matin, en se rendant à la messe,

que mon fils aîné Corentin a trouvé son cadavre.

 

J'ai été fort étonnée de cette mort et tout le monde aussi.

J'ai de suite porté mes soupçons sur ma bru, que mon fils était allé chercher, et qui,

pour la première fois depuis son mariage, n'était pas venue coucher à la maison.

​

4 — Alain CLORENNEC, 30 ans, déclare, comme sa mère,

que Marie-Jeanne Tanguy n'avait consenti à se marier

que sur les instances de sa mère et de sa sœur aînée.

Après son mariage, elle est venue habiter à Fao-Youen avec son mari,

la veuve Clorennec, le témoin et sa femme.

 

Nous vivions tous en bonne intelligence, dit Alain Clorennec, cependant Marie Jeanne ne semblait pas aimer son mari ;

pour le moindre motif, elle le boudait.

Jamais mon frère, je puis le dire, n'a exercé de violences sur elle ;

il s'enivrait assez souvent, mais il n'était pas violent.

J'ai entendu, plusieurs fois, ma mère demander à Marie Jeanne Tanguy d'aller chercher son mari attardé dans quelque auberge ;

elle répondait :

« Il peut crever, s'il veut ; je ne me dérangerai pas pour lui ! »

Une fois même, elle a ajouté : « Si je vais le chercher, je le tuerai ! »

 

Le témoin avait des pressentiments de ce qui devait se passer et,

un jour qu'il travaillait aux champs avec son frère,

il le prévint de se mettre sur ses gardes.

 

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Le témoin ajoute : — Quand on m'a appris la mort de mon frère, je n'ai pas tout d'abord pensé à un crime ;

mais ma mère, qui est arrivée peu de temps après moi sur les lieux, s'est écriée, à la vue du cadavre :

« Mon fils a été tué ! »

 

Aussitôt, j'ai vu les sabots piqués dans une mare voisine du cadavre, j'ai pensé que cet endroit n'était pas le chemin que devait suivre mon frère pour se rendre à la maison, et j'ai été convaincu qu'il y avait eu crime.

 

Sur interpellation du président : — Ma belle-sœur n'a manifesté aucun chagrin, si bien que plusieurs voisins,

frappés de son attitude, ont porté ses soupçons sur elle.

​

5. — TANGUY (Noël), 13 ans, frère des deux accusées, dit n'avoir jamais entendu sa sœur Marie-Jeanne

se plaindre de son mari.

C'est moi, déclara-t-il, qui suis allé, sur la recommandation de ma sœur Marie, chercher son mari à Fao-Youen.

J'ai soupé là avec la famille Clorennec, puis je suis revenu avec mon beau-frère au moulin du Faou.

J'ai alors vu ma sœur Marie verser à Clorennec trois verres d’eau-de-vie dans un verre qu'elle remplissait jusqu'à la raie.

Je suis allé me coucher et ne sais ce qui s'est passé ensuite.

 

Dans la soirée, j'avais entendu ma sœur dire à Clorennec qu'elle désirait aller habiter du côté de Landudec,

mais mon beau-frère répondait qu'il ne voulait pas.

 

Marie Tanguy. — Je n'ai pas dit à mon frère d’aller chercher Clorennec.

​

Marie Jeanne Tanguy. — Comme mon frère n'était pas rentré

à la maison et que je craignais de ne pas le rencontrer,

j’ai prié ma sœur Marie de dire à mon frère d'aller le chercher

pour venir, dans la soirée, au moulin du Faou,

et elle savait pourquoi je voulais qu'il vint me chercher.

 

Marie Tanguy. — Ma sœur ne m'avait fait

aucune recommandation de ce genre.

 

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La veille, elle était venue au moulin et m'avait dit que, le lendemain, elle irait à Landudec,

que son mari viendrait la chercher le soir, et qu'elle trouverait là l'occasion de le tuer,

occasion qu'elle cherchait depuis longtemps.

​

6. — TANGUY (Corentine), femme DRAOULEC, était avec ses sœurs Marie et Marie-Jeanne et son frère Noël,

lorsqu'on a fait boire de l'eau-de-vie au malheureux Clorennec.

Le témoin nie en avoir versé à ce dernier.

 

Marie Tanguy. — Je l'ai pourtant vue lui en verser.

 

Le témoin ajoute : — Vers dix heures du soir, ma sœur et mon beau-frère sont sortis pour se rendre chez eux,

à Fao-Youen.

Ma sœur Marie et moi, nous les avons accompagnés.

Clorennec, qui était ivre, avait besoin d'être soutenu pour marcher.

Marie-Jeanne le tenait par le bras droit et Marie par le bras gauche.

Arrivé à Keraoul, à cent mètres environ du moulin, Clorennec est tombé contre un talus.

Je les ai alors quittés, car Marie-Jeanne m'a dit que je pouvais rentrer, qu'elles pourraient, à elles deux,

reconduire Clorennec.

Rentrée au moulin, je me suis couchée sur la paille de l'écurie.

 

Le témoin, dans l'information, avait d'abord nié qu'au moment de quitter ses sœurs,

Marie-Jeanne lui avait fait connaître son projet de tuer son mari.

 

Aujourd'hui, elle reconnaît ce détail important et ajoute même qu'en rentrant,

sa sœur Marie lui a fait connaître que Marie-Jeanne avait tué Clorennec.

 

7. — M. le docteur HOMERY fait connaîtra les constatations qu'il a faites en procédant à l'examen superficiel

et à l'autopsie du cadavre de Clorennec.

Il n'avait pas cru devoir conclure tout d'abord à une intervention criminelle, parce que l'ecchymose constatée

dans la région du cou était légère, bien qu'étendue, et parce qu'aucune autre partie du corps

ne présentait de traces de violence.

​

Après avoir rapproché les constatations cadavériques

des renseignements fournis par l'enquête judiciaire,

M. le docteur Homery conclut à la mort par suffocation au moyen d'une pression exercée par une main criminelle sur la partie antérieure du cou.

La congestion pulmonaire, qui a été la conséquence des violences subies, a été favorisée par l'état pathologique de la plèvre qui,

ne permettent plus au poumon son expansion normale,

devait amener une mort rapide.

 

M. le docteur Homery ajoute que la quantité d'alcool absorbée

par Clorennec peu de temps avant sa mort a contribué à congestionner les poumons et les méninges et que, par suite de son état d'ivresse, Clorennec était dans l'impossibilité de se défendre contre son assassin, ce qui explique l'absence sur son cadavre de traces de violence

que l'on rencontre habituellement en pareil cas.

 

8. — BERNARD (Jean), 27 ans, cultivateur à Pors-Youen, dépose :

 

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Le 12 mai dernier, en arrivant sur le lieu du crime, vers huit heures du matin,

j'ai été frappé de l'attitude de Marie-Jeanne Tanguy, en ce sens qu'à chaque fois que quelqu’un arrivait

auprès du cadavre de son mari, elle baissait la tête en souriant.

Cette manière de faire m'avait fait supposer qu'elle ne devait pas être étrangère à la mort de son mari.

C'était, du reste, l'avis de tout le monde.

 

9. — COSSEC (Jean), 41 ans, cultivateur à Kerscavie, en Plonéour :

Le 12 mai dernier, lorsque je suis arrivé sur le lieu du crime,

j'ai parfaitement remarqué que Marie-Jeanne Tanguy souriait à chaque instant devant le cadavre de son mari ;

mais je n'ai guère été frappé de cette attitude, car je connais cette jeune femme depuis longtemps

et je sais qu'elle est d'une nature dure et insensible à tout ce qui peut lui arriver.

J'ai pensé, comme tout le monde, que c'était elle qui avait tué son mari.

 

Le témoin, qui a eu Marie-Jeanne Tanguy à son service de fin décembre 1889 à fin mai 1890,

a eu à lui reprocher quelques actes d'improbité.

 

10. — KERAVEC (Jean-Louis), 28 ans, aubergiste à Plonéour, déclare que, le dimanche 30 avril, une jeune sœur

de Marie-Jeanne Tanguy, âgée de 12 à 13 ans, est allée lui acheter un litre d'eau-de-vie, qu'elle a payé séance tenante.

 

Le témoin ignore l'usage qui a été fait de cette boisson.

 

11. — Catherine TANGUY, 12 ans, confirme la déposition précédente, affirmant que sa sœur Marie Jeanne, en lui envoyant prendre ce litre d'eau de vie, qu'elle a payé 1 fr. 75, ne lui a pas fait connaître l'usage qu'elle voulait en faire.

 

12. — Marguerite DANIEL, femme Alain CLORENNEC, déclare que le 1er mai, au matin, Marie-Jeanne Tanguy,

en arrivant à la maison, a demandé si son mari n'était pas arrivé :

« Je ne l'ai pas vu, disait-elle, hier soir, à mon retour de Landudec avec ma mère,

car il était parti du moulin avant mon arrivée. »

 

Elle répéta : « Mais qu'est-il devenu ? »

Le témoin lui répondit : « Votre frère Noël est venu le chercher hier soir et l'a emmené chez votre mère.

— Je sais, reprit Marie-Jeanne Tanguy ;

mais, lorsque je suis arrivée de Landudec avec ma mère, tout le monde était couché et Jean-Marie était parti.»

Marie-Jeanne Tanguy n'avait pas l'air préoccupé le moins du monde.

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L'audition des témoins terminée, M. le substitut Labordette prend la parole pour prononcer le réquisitoire.

 

L'autre jour, dit-il, on me disait à la barre que je dramatisais les faits qui vous étaient soumis.

Je ne sais si on viendra encore aujourd'hui me dire que je dramatise un crime aussi épouvantable

que celui que vous connaissez déjà.

Quoi qu'il en soit, j'aborde immédiatement les faits.

 

Si cette femme a épousé Clorennec, c'est de par sa propre volonté.

Elle n'y a été incitée par personne, et elle aurait mauvaise grâce à dire qu'elle était fatiguée, de l'existence commune.

Elle a reconnu elle-même que sa belle-mère était bonne pour elle.

En réalité, cette femme haïssait son mari.

Elle se montrait très agressive à son égard ;

elle le boudait dit-on dans l'information, et un jour qu’on lui disait d'aller le chercher au cabaret elle a répondu :

« Il peut crever, s’il veut !»

​

Voilà les aménités que cette femme servait au malheureux, qui, pourtant avait conservé sa nature première et qui était bon, conciliant.

 

Dans ces conditions, il est arrivé ce qui devait arriver. 

C'est fatal. 

Cet homme a noyé son chagrin dans l'alcool.

Un beau jour, sa mort a été résolue, et, comme cette femme

ne se sentait pas le courage d'agir seule,

elle est allée demander le concours de sa sœur.

 

C'est ici que Marie Tanguy entre en scène.

 

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M. le substitut Labordette n'a pas de peine à démontrer la culpabilité, du reste avouée, de la veuve Clorennec et la complicité de Marie Tanguy.

Il flétrit avec indignation la conduite étrange de la femme Draoulec, dont l'intervention eut pu éviter le crime, et l'attitude des deux accusées avant et après l'accomplissement du forfait.

 

Il montre que leur responsabilité est la même.

 

Il dit un mot de la préméditation et termina en disant :

« Devant la gravité de la mission qui vous est dévolue, vous ne devez pas voir que les accusées.

Rappelez-vous, messieurs, la scène du 11 mai.

Je vous abandonne ces deux femmes.

Jugez-les.

Vous avez juré de ne pas trahir les intérêts de la société.

Ces intérêts, je vous les ai présentés; je les remets avec confiance entre vos mains. »

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Les plaidoiries.jpg

​

Me de Chamaillard présente la défense de la veuve Clorennec.

 

« Messieurs, dit-il, les affaires se succèdent devant vous et ne se ressemblent pas, notamment dans les éléments

de discussion qu'on doit vous présenter.

Hier, je reconnaissais l'intention coupable, aujourd'hui mon rôle est renversé.

Je reconnais l'intention homicide.

Je reconnais la préméditation, elle est établie.

Seulement, il y a un point sur lequel nous ne sommes pas d'accord, M. le procureur de la République et moi.

Est-il démontré que ce sont les faits accomplis par les accusées qui ont amené la mort de Clorennec ?

Voilà la question, et elle est grave, vous voyez, car il s'agit de la peine de mort. »

 

Telle est la base de la discussion à laquelle se livre Me de Chamaillard, qui montre les contradictions des conclusions du médecin légiste, admettant d'abord l'idée d'une mort naturelle, puis, après les aveux faits par la veuve Clorennec, modifiant son premier rapport, qu'il avait peut-être jeté au panier, et concluant formellement au crime d'assassinat.

​

Continuant sa discussion, le défenseur se demande si la congestion pulmonaire n'était pas déclarée

avant l'intervention des accusées.

La question est délicate, dit-il.

J'aime mieux la plaider que la résoudre.

Qui dit que les accusées sont les auteurs directs de la mort de Clorennec ?

C'est un moribond, dont on n'a peut-être pas diminué l'existence d'une minute.

Aussi, c'est le doute que je plaide devant vous, doute dont je n'ai pas besoin de rappeler l'importance

en matière criminelle.

 

Le défenseur estime que le véritable terrain du débat est plutôt la question de coups ou violences ;

mais c'est affaire à l'accusation de poser cette question, et, dit en terminant Me de Chamaillard,

si l'accusation ne prend pas cette initiative, je me vois forcé de demander l'acquittement et je vous le demande

au nom de la loi, au nom des principes juridiques, si sévères à administrer, surtout en matière criminelle.

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Me de Chabre, plaidant pour Marie Tanguy, se borne à constater, comme Me de Chamaillard,

les contradictions du médecin-légiste et combat les hypothèses et objections présentées par le ministère public.

Quel est, dit-il, l'intérêt de Marie Tanguy ?

Car, quand on attente à la vie humaine, on doit avoir un intérêt, on doit avoir un but.

Hé bien, je cherche le mobile du crime, je ne le trouve pas.

 

On vous dira que c'était par regret d'avoir poussé sa sœur à se marier, mais cela n'est pas démontré.

Donc l'intérêt, le mobile n'existent pas, et alors on peut se demander si cette fille est complice de l'assassin.

​

Les preuves de l'accusation sont extrêmement fragiles.

Pour prouver la participation de Marie Tanguy au crime,

il n'y a que la déclaration de la veuve Clorennec.

Or, c'est la déclaration de l'accusée, et elle a varié à l'infini.

​

Quand on se trouve en présence d'une accusation aussi grave,

il faut des preuves complètes, et ce n'est pas sur la déclaration d'une accusée qu'on échafaude un verdict.

Ma cliente a simplement assisté au crime.

Elle a commis une action que tout le monde doit blâmer ;

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mais, par le fait de son abstention, elle n'est pas coupable, elle n'est pas complice,

et l'élément de culpabilités disparaît.

 

Me de Chabre termine en demandant l'acquittement de sa cliente.

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Marie Tanguy est acquittée.

 

La veuve Clorennec est condamnée aux travaux forcés à perpétuité.

Elle n'a pas une larme, pas une impression ne se lit sur son visage.

​

L'autre s'en va en pleurant.

​

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