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Fenêtres sur le passé

1893

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Un douanier qui tue sa femme

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Source : La Dépêche de Brest 25 avril 1893

 

Un terrible drame de la jalousie s'est déroulé hier soir au port de commerce.

 

Un douanier a tué sa femme d'un coup de fusil Lebel.

 

Ce crime, qui a soulevé une vive émotion au port de commerce, où la victime était très estimée,

a été commis dans les circonstances suivantes :

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Dans la maison portant le n° 38 du quai de la Douane et 49 de la rue du Chemin de Fer, habitaient au 3e étage,

dans une chambre donnant sur la cour, le nommé Caudal (Charles), âgé de 33 ans, préposé des douanes,

et sa femme, âgée de 31 ans.

 

Il y a trois semaines environ, on avait enterré le seul enfant issu de ce mariage, une petite fille âgée de 26 mois.

 

Hier, après avoir déjeuné, Caudal, qui n'était pas de service, sortait de chez lui

et entrait au poste de la caserne des douanes pour jouer aux cartes avec des camarades.

 

De son côté, sa femme se rendait au lavoir de Poullic al-Lor pour y laver un paquet de linge.

 

Pendant tout le temps qu'il passa au poste, Caudal parut très calme.

 

Son visage ne trahissait aucune surexcitation et il plaisantait avec ses camarades.

 

Rien, en un mot, ne laissait prévoir que, quelques heures après, il deviendrait le meurtrier de sa femme.

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Un peu avant 4 h. 1/2, il quittait le poste en disant :

« Il est temps que je parte ; j'ai du travail pressé à faire chez moi. »

 

Et il partit.

 

Arrivé chez lui, Caudal ferma ses persiennes,

puis il les rouvrit et les referma à diverses reprises.

 

Les voisins remarquèrent ce manège

et ne purent s'empêcher de dire :

« Comme il est drôle aujourd'hui, monsieur Caudal.

Il ferme et il ouvre ses persiennes à chaque instant ! »

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En réalité, le douanier guettait sa femme, et les persiennes ne furent définitivement closes que lorsque celle-ci, revenant du lavoir, monta chez elle.

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Mme Caudel ne se doutait de rien.

 

Au troisième étage, elle ouvrit sa porte, qui n'était pas fermée à clef, et se dirigea vers une table en bois blanc,

placée près de la fenêtre, pour y déposer son paquet de linge.

 

L'obscurité qui régnait dans l'appartement ne lui avait pas permis de voir son mari,

dissimulé derrière la porte et tenant en main son fusil Lebel chargé de deux balles.

 

Elle avait à peine déposé son paquet qu'une détonation se faisait entendre et qu'une balle,

pénétrant par le côté droit, la traversait de part en part et allait se loger dans le mur.

 

Poussant un grand cri, la pauvre femme traversa la chambre et le palier en courant

et vint se réfugier chez une de ses voisines, Mme Corbin, où elle s'affaissait sur une chaise.

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Pendant que son mari s'enfermait chez lui à double tour,

Mme Caudal se délassait elle-même et disait aux personnes

qui l'entouraient :

« C'est fini pour moi. Je suis tuée ! »

 

On l'étendit sur le lit de Mme Corbin

et on lui prodigua tous les soins nécessaires, mais inutilement.

 

La balle du Lebel avait fait son œuvre, et la mort était imminente.

 

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Cependant, elle conservait toute sa connaissance et adressait quelques paroles aux voisines

qui l'entouraient en pleurant, vivement émues par ce terrible drame.

 

Elle répéta encore deux ou trois fois :

« C'est la fin ! » et elle expirait vingt minutes après, dans les bras de Mlle Fléchant, une de ses voisines.

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Pendant ce temps, la police et les douaniers accouraient et arrivaient devant la porte du logement de Caudal.

 

En entendant frapper à sa porte, celui-ci enjamba la fenêtre et se suspendit dans le vide.

 

Quelques personnes lui crièrent :

« Retirez-vous, vous allez vous tuer ! »

 

Caudal, à la force des poignets, remonta alors sur la fenêtre et rentra dans sa chambre.

 

Puis, ouvrant sa porte, il présenta son fusil à M. Corbin, pendant que les agents et les douaniers se saisissaient de lui, lui passaient les menottes et le conduisaient au poste de la douane,

où il était gardé à vue en attendant l'arrivée du parquet, qui ne tardait pas à se rendre sur les lieux.

 

MM. Guicheteau, juge d'instruction, et Bouisson, substitut du procureur de la République,

qu'accompagnent le docteur Anner, MM. Renault, commissaire central, et Cureau, commissaire du 2e arrondissement, entrent d'abord dans la chambre des époux Caudal.

 

La balle, qui a pénétré dans le mur de six centimètres environ, est extraite et saisie, ainsi que le fusil,

et la position du meurtrier et de la victime exactement établie.

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Les magistrats passent ensuite dans la chambre de Mme Corbin, où repose le corps de Mme Caudal.

 

Le meurtrier, menotté et entouré de douaniers et d'agents, est aussitôt amené.

​

Le docteur Anner constate, ainsi que nous le disons plus haut,

que la balle, pénétrant par le côté droit,

est sortie par le côté gauche, perforant les intestins.

 

Puis M. Guicheteau, s'adressant à Caudal, lui demande :

— Vous reconnaissez votre femme ?

— C'est vous qui l'avez tuée ? 

 

Caudal s'avance près du lit.

 

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À la vue de sa femme morte, mais dont les yeux sont restés tragiquement ouverts,

il a un mouvement de recul et répond :

— Oui, c'est moi qui l'ai tuée l

— Aviez-vous des discussions avec votre femme ? ajoute le juge d'instruction.

— Non, jamais.

 

Et Caudal, dont l'indifférence est stupéfiante, tire de sa poche du tabac et du papier et se met à rouler une cigarette. 

Aucune trace d'émotion sur son visage, et il est reconduit au poste de la douane aussi calme

que quand il a été amené.

 

Il est alors question de transporter le cadavre à l'hospice,

mais les voisines interviennent et demandent qu'on leur laisse le corps de celle qui fut leur amie. 

Les magistrats y consentent et se retirent après avoir fait fermer à clef une armoire

où se trouve une somme de 160 francs.

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Après avoir servi pendant cinq ans comme clairon dans l’infanterie de marine,

Caudal entrait en 1887 comme simple préposé dans les douanes. 

Gai, jovial, il était très estimé de ses chefs et de ses camarades.

 

Il y a un an, son caractère changea tout à coup et il devint taciturne et morose. 

Par moments, il déraisonnait.

« Les gendarmes me cherchent, disait-il, les glas sonnent pour moi ! »

 

La jalousie, une jalousie féroce, était la cause de ce changement d'humeur. 

Sa femme, dont la conduite était cependant exempte de tout reproche,

était l'objet de scènes épouvantables et l'état mental de Caudal s'aggravait.

 

Il y a quelque temps, il était obligé d'entrer à l'hôpital de la marine, où il resta un mois. 

Une amélioration s'étant produite dans son état, il put reprendre son service, mais, à la fin de février,

on fut obligé de l'interner à l'asile de Quimper. 

Il n'en sortit qu'aux premiers jours d'avril. 

Le médecin de cet établissement aurait déclaré que Caudal n'était pas un fou, mais un simple maniaque.

 

Quoi qu'il en soit, depuis son retour à Brest, sa jalousie avait pris un caractère encore plus tyrannique. 

Il enfermait sa femme et la menaçait souvent de la tuer.

 

Il y a trois ou quatre jours encore, la malheureuse, se plaignant à une de ses voisines, lui disait :

« J'ai peur. Il faut que je le quitte, car je crains un malheur. »

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Mme Caudal, la victime, était née à Vannes.

 

Orpheline, elle avait été élevée chez les sœurs de la Providence,

avec qui elle entretenait une correspondance assez suivie.

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D'humeur douce et très obligeante,

elle était très aimée des personnes qui la connaissaient.

 

Ses obsèques auront lieu sans doute demain,

mais l'heure n'en est pas encore fixée.

 

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Caudal a un frère capucin à Nantes, le père Ladislas, et sa mère, Mme veuve Caudal, habite Vannes.

 

Tous deux ont été prévenus télégraphiquement.

 

L'émotion produite au port de commerce par ce drame sanglant a été naturellement très vive, et un grand nombre

de curieux ont stationné, devant la maison où il s'est déroulé, jusqu'à une heure assez avancée de la soirée.

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Source : La Dépêche de Brest 26 avril 1893

 

Caudal, le douanier qui a tué sa femme, a été extrait hier matin du Bouguen et conduit au palais. 

C'est un homme de petite taille, au visage rouge barré par de fortes moustaches blondes. 

Il est vêtu d'un pantalon et d'un veston de molleton bleu et coiffé d'un chapeau noir mou. 

Il continue à avoir l'air très calme.

 

Interrogé, à deux heures, par M. Frétaud, procureur de la République, il a répondu posément :

« Je ne sais pas pourquoi j'ai tué ma femme.

Je ne m'explique pas ce qui a pu me pousser à la tuer. »

 

Interrogé ensuite par M. Guicheteau, juge d'instruction, il lui a fait la même réponse. 

Le soir, la voiture cellulaire l'a ramené au Bouguen.

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Caudal est-il réellement fou ?

 

Voici, à ce sujet, ce que nous avons appris :

Dès qu'on s'aperçut à la douane que Caudal donnait des signes d'aliénation mentale, M. Belly, capitaine des douanes, le fit visiter par le docteur Bonain, médecin de l'administration, qui constata des troubles cérébraux et le fit conduire, en décembre dernier, à l'hôpital de la marine, où il resta un mois.

 

Puis, paraissant complètement remis, il reprit son service.

 

Mais cette amélioration ne fut que passagère, et sa femme, qu'il menaçait sans cesse,

dut prévenir de nouveau le capitaine Belly.

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Celui-ci lui fit retirer ses armes et le fit entrer, en février dernier,

à l'hospice civil. 

Le 5 mars, l'hospice de Brest le transférait à l’asile Saint-Athanase, à Quimper.

 

Seize jours après, le douanier Caudal se trouvait mieux,

et le directeur de l'établissement délivrait le 21 mars

le certificat suivant :

 

« Je soussigné, docteur, directeur de l'asile public des aliénés de Quimper certifie que le nommé Caudal (Charles), douanier, placé d'office à l'asile le 5 mars I893 est atteint de lypémanie caractérisée par une dépression générale

des facultés intellectuelles et des idées de persécution. 

« Au moment de son admission, il imaginait que des ennemis en voulaient à sa vie et qu'on le conduisait au supplice. 

Depuis son entrée, l'état général s'est sensiblement amélioré ; il s'est mis au travail. 

La convalescence s'affirme de plus en plus et, si aucune complication ne survient nous pensons qu'il pourra prochainement quitter l'asile et reprendre son service.

« Néanmoins, un congé d'un mois lui est nécessaire. »

 

Signé : « HOMERY. »

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Les prévisions du docteur se réalisèrent.

 

Le 8 avril, Caudal, dont l'état s'était amélioré, quittait l'asile Saint-Athanase et le 11 courant,

il se présentait devant son capitaine, lui disant qu'il allait mieux,

et « que s'il était resté à Quimper, il serait devenu tout à fait fou. »

 

Le capitaine lui fit rendre ses armes tout en ordonnant de le surveiller attentivement ;

mais sa folie, qui était décidément incurable, le reprenait peu de temps après,

et les scènes recommencèrent dans le ménage. 

Dans ces derniers jours, l'exaltation de Caudal contre sa femme était très grande

mais celle-ci n'osait pas aller se plaindre au capitaine, de crainte de nuire à son mari.

 

Elle faisait donc ses tristes confidences à ses voisines et, il y a quatre jours, elle disait à l'une d'elles, Mme Guéguen, qui habite au 2e étage :

« Je ne puis plus rester avec lui, il me tuera ; il faut que je le quitte. »

 

Quand elle remonta chez elle, son mari lui dit :

« Tu viens encore de dire du mal de moi à Mme Guéguen.

J'ai tout entendu, car j'avais collé mon oreille contre le plancher.

Prends garde ! »

 

Il semble résulter de tout ceci que les facultés de Caudal étaient profondément altérées, mais c'est à la justice qu'il appartient d'éclaircir ce point.

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M. Cureau, commissaire de police du 1er arrondissement,

a continué hier matin l'enquête commencée avant-hier soir.

 

Ce magistrat n'a pas entendu moins de dix témoins.

 

À 3 h. 1/2, il allait lui-même porter son procès-verbal

à M. Frétaud, procureur de la République,

avec lequel il a eu une assez longue conférence.

 

À 4 h. 1/2, M. Cureau, accompagné d'un agent,

se rendait de nouveau au port de commerce et interrogeait de nouveaux témoins.

 

Les diverses dépositions ont confirmé le récit que nous avons fait du drame.

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Le corps de Mme Caudal a été mis en bière hier soir.

 

La jeune femme qui, jeune fille, se nommait Anic (Marie-Jeanne), était née à Baud (Morbihan). 

C'est le 20 août 1889 qu'elle contractait avec Caudal cette union, qui devait finir si tragiquement. 

Le frère du meurtrier, le père Ladislas, capucin à Nantes,

s'est excusé par dépêche de ne pouvoir assister aux obsèques de sa belle-sœur. 

Quant à Mme veuve Caudal, belle-mère de la victime, qui habite Nantes, elle est arrivée hier soir à Brest.

 

Les obsèques de Mme Caudal auront lieu aujourd'hui, à deux heures de l'après-midi.

 

Une souscription a été ouverte hier matin parmi les douaniers pour l'achat d'une couronne,

qui sera déposée sur le cercueil. 

Une autre couronne sera offerte par les voisines.

 

L'émotion est toujours très vive au port de commerce, où le drame fait les frais de toutes les conversations.

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Source : La Dépêche de Brest 11 mai 1893

 

Le douanier Caudal, qui a tué dernièrement sa femme avec son fusil Lebel,

a été visité par le docteur Anner, médecin-légiste, commis par le parquet pour examiner son état mental. 

De l'examen du docteur Anner, il résulte que Caudal est inconscient, qu’il n'est nullement responsable

de ses actes. 

C'est, d'ailleurs, l'effet qu'il avait produit sur M. Frétaud, procureur de la République, lorsque celui-ci l'interrogea.

 

Caudal va donc être transféré dans un asile d'aliénés.

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