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Fenêtres sur le passé

1892

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Le recteur de Ploudaniel,

son coup de gaule et le cri de : " Vive la République ! "

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Source : La Dépêche de Brest 23 juillet 1892

 

Encore un recteur, mais cette fois comme prévenu.

 

Le 1er mai dernier, jour d'élections municipales, vers neuf heures et demie du soir, M. Rohou, recteur de Ploudaniel, donnait un coup de gaule de noisetier dans la figure à un électeur qui passait auprès du presbytère en criant :

Vive la République !

 

Grand, sec, le visage dur, le prévenu Rohou (Jean) est né le 23 mai 1830 à Roscoff.

Il est assisté de Me Guéneau de Mussy.

 

Dans l'auditoire, composé en grande partie de cultivateurs, sont quelques ecclésiastiques.

 

Le premier témoin, le gendarme Daniel, de Lesneven, a rencontré, le soir du 1er mai, près du presbytère, un électeur, Théven, qui, quelques instants auparavant, avait été « battu par M. le recteur ».

Il l'a invité à venir le lendemain déposer une plainte à la caserne ;

mais Théven, qui était sur le point de quitter sa place et craignait d'en trouver difficilement une nouvelle, refusa.

Ce n'est que le 9 juin, une fois placé, qu'il est venu déposer sa plainte.

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Me de Mussy. — N'est-ce pas la municipalité actuelle qui aurait inspiré Théven ?

Le maire, par exemple, ou un adjoint ?

Le procureur fait observer que les maires sont les auxiliaires du parquet et qu'ils doivent dénoncer à la justice les faits répréhensibles

qui se passent dans leurs communes.

 

Le plaignant, Théven (Jean-Marie), âgé de 28 ans,

domestique à Kervilian, en Ploudaniel, raconte ensuite les faits.

Le 1er mai, vers 9 h. ½ du soir, il passait près du presbytère, criant :

Vive la République ! quand l'un des vicaires vint lui dire

« qu'il n'était pas dans la bonne voie ».

Le recteur lui demanda ensuite son nom, et, sur sa réponse qu'il

« n'en avait pas », lui porta un coup de baguette sur le nez.

 

Après avoir dit pourquoi il n'a pas porté plainte plus tôt,

Théven rapporte que, s'étant présenté, il y a quelque temps,

au presbytère pour demander au recteur s'il se rappelait le coup

qu'il lui avait porté, ce dernier lui répondit :

« Si tu as des témoins, tu n'as qu'à m'envoyer au Bouguen. »

 

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Piriou (Yves), 15 ans, cultivateur à à Cun-Neuve-Kernaou, en Ploudaniel, a vu le recteur frapper Théven,

qui porta aussitôt son mouchoir à son nez pour éponger le sang.

 

D. — Théven avait-il crié autre chose que : Vive la République ?

 

R. — Non.

 

Le Maistre (Jean-Louis), 31 ans, cultivateur à Kervenn, en Ploudaniel, rentrait chez lui, en compagnie du nommé

Favé (Laurent), quand il a assisté à la scène.

Il rapporte, en outre, ce propos que leur a tenu, à Favé et à lui, le vicaire Le Moal :

« Vous n'êtes pas de bons chrétiens, si vous ne venez pas tirer cet homme et le piétiner. »

Cet homme, c'était Théven.

​

Favé (Laurent), 24 ans, cultivateur à Kervenn,

fait la même déposition.

 

Le témoin suivant, Léost (Jean), 44 ans, a été cité par le prévenu.

Théven lui aurait dit que ce n'était pas lui qui poursuivait

le recteur, mais les gendarmes.

 

Le prévenu est appelé à son tour.

Il prend une prise de tabac et s'approche du tribunal.

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Tout d'abord, il déclare ne pas se rappeler exactement les faits, n'ayant pas « sténographié ce qui s'est dit ».

Il se rappelle seulement avoir demandé son nom, à Théven, et comme celui-ci lui répondait :

« Kol digol », soit en français « ne perd ni ne gagne », il lui a « allongé sa gaule sur le nez ».

Et le prévenu reproduit le geste devant le tribunal.

 

— Comment expliquez-vous ce geste de votre part ? demande le président.

 

— Théven avait dit à l'un de mes vicaires, M. Thomas, en le tutoyant, qu'il aurait bien dû donner l'absolution

à tous ceux qui la méritaient.

 

— Enfin, vous reconnaissez le fait ?

 

— Je ne le nie pas.

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M. Frétaud prononce un réquisitoire remarquable,

par lequel il réclame l'application de la loi. Théven a été frappé pour avoir poussé un cri légal,

un cri qui ne doit offusquer personne, pas même le clergé, qui, dit-on, se rallie, et frappé par qui ?

On a retenu le propos de ce vicaire invitant Le Maistre et Favé

à piétiner Théven.

Est-ce là le langage d'un prêtre ?

C'est là une excitation aux voies de fait, au délit, peut-être au crime.

 

Me Guéneau de Mussy s'efforce de disculper son client en lisant d'abord des certificats

que le recteur s'est fait délivrer contre Théven.

 

Le procureur réplique que cela est contraire à tous les usages, et qu'au surplus le prévenu a la réputation

d'un homme très violent et très brutal.

 

Le défenseur poursuit sa plaidoirie en atténuant autant que possible, les propos tenus par le vicaire.

Finalement, il déclare s'en remettre à la sagacité des juges.

 

Le tribunal rend un jugement par lequel, considérant que l'intervention du recteur a été intempestive

et que son caractère de prêtre, loin d'être une excuse, constitue, au contraire, une aggravation,

il condamne l'abbé Rohou à cinquante francs d'amende seulement.

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